6 octobre 2025
Haitian Ladies Network (HLN): un réseau au service de la visibilité et de l’influence des femmes haïtiennes
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Haitian Ladies Network (HLN): un réseau au service de la visibilité et de l’influence des femmes haïtiennes

Haïti, au féminin pluriel : vers une refondation par les marges

Si les grands récits de l’histoire haïtienne ont longtemps privilégié les figures masculines de la Révolution — Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe —, un contre-récit se dessine aujourd’hui dans les marges, porté par des organisations dirigées par des femmes qui, de Port-au-Prince à la diaspora, reconfigurent le champ politique, social et symbolique du pays. Loin d’être des auxiliaires ou des victimes passives, les femmes haïtiennes ont toujours été les architectes silencieuses du tissu national. Aujourd’hui, elles exigent non seulement la reconnaissance de ce rôle, mais aussi la redistribution réelle du pouvoir.

À travers des structures telles que le Haitian Ladies Network (HLN), le Haitian Women’s Collective (HWC) ou encore le collectif féministe Nègès Mawon, un projet inédit émerge : celui de penser Haïti non plus depuis l’État ou les élites traditionnelles, mais à partir de la communauté, de la mémoire incarnée, et d’un engagement féministe enraciné dans l’expérience quotidienne de la survie et de la création.

Le HLN, réseau transnational et intergénérationnel, déploie une vision ambitieuse : reconnecter les femmes haïtiennes du monde entier autour de cinq axes — guérison, bien-être économique, influence, transmission culturelle et lien diaspora-territoire. Loin d’être purement identitaire, cette initiative entend faire de l’appartenance une stratégie politique, et de l’héritage une matrice d’avenir. La sororité devient ici un outil de transformation sociale, un vecteur de narration collective qui échappe aux logiques victimaires imposées par les discours médiatiques dominants.

La démarche du Haitian Women’s Collective procède d’une dynamique similaire. Carine Jocely, sa fondatrice, part d’un constat simple : les femmes haïtiennes, qu’elles vivent à New York, Boston, Cap-Haïtien ou Jacmel, sont déjà à l’œuvre — elles soignent, éduquent, protègent, organisent. Mais elles le font souvent sans reconnaissance, sans appui structurel, et sans espace pour réfléchir collectivement à l’impact de leurs actions. D’où la nécessité de structurer ces forces éparses en un corps politique audible, capable d’influencer les priorités de l’aide internationale et les politiques publiques.

Or, cette lutte pour la visibilité se heurte à un paradoxe saisissant : alors que ces organisations déploient un travail de terrain décisif, elles ne reçoivent qu’une infime portion de l’aide destinée à Haïti — moins de 3 %, selon les données récentes. Un rapport d’ONU Femmes, publié en 2025, alerte sur le risque de disparition prochaine de près de la moitié des structures féminines locales, en raison du gel de financements comme ceux de l’USAID. Autrement dit, les actrices les plus engagées dans la résilience haïtienne pourraient se voir réduites au silence, faute de ressources, malgré une légitimité incontestable.

Face à cet étranglement financier, des collectifs comme Nègès Mawon opposent une pratique radicale de l’autonomie. Basé en Haïti, ce mouvement féministe conjugue art, action directe, guérison communautaire et revendications politiques. Son engagement en faveur des survivantes de violences sexistes, des artistes marginalisé·es ou des activistes menacé·es fait de lui un espace d’avant-garde, où se mêlent spiritualité, résistance et recomposition identitaire. Ce travail, profondément incarné, offre une leçon politique : la transformation ne vient pas d’en haut, mais des liens que l’on tisse dans l’ombre, des solidarités invisibles qui finissent par déplacer les structures.

Ces organisations, loin d’être de simples fournisseurs de services sociaux, participent à une redéfinition du projet haïtien lui-même. Elles interrogent le sens de la souveraineté dans un contexte de dépendance chronique à l’aide, questionnent la place des femmes dans la mémoire collective et proposent une méthodologie nouvelle de la reconstruction : lente, située, attentive aux subjectivités et aux blessures historiques.

Ainsi, parler aujourd’hui des femmes haïtiennes, c’est parler de stratégies. De récits alternatifs. De résistances quotidiennes. Mais c’est surtout refuser le fatalisme. Car, comme le rappelle avec justesse le mot d’ordre du HLN : « Haitian heritage is a living force. » Un héritage vivant, donc, qui ne se commémore pas, mais se performe, se réinvente, et s’impose.

source: The Grio (mai 2025)

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