31 décembre 2025
Bâtisseurs de la mer : l’art ancestral des constructeurs de voiliers
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Bâtisseurs de la mer : l’art ancestral des constructeurs de voiliers

Sur les côtes d’Haïti et des iles adjacentes, entre les vagues et le soleil brûlant, des mains expertes sculptent le bois avec précision. À l’aide d’outils rudimentaires, sans plans formels, ni formation académique, des hommes construisent des voiliers capables de défier les vents et les marées.

Ce savoir-faire, transmis de génération en génération, reste l’un des secrets les mieux gardés du patrimoine maritime haïtien.

Un art populaire enraciné dans les traditions

Dans des régions comme La Tortue, La Gonâve, Anse-à-Galets, Jérémie, Les Cayes ou Pestel, la construction de bateaux à voile n’est pas un métier comme les autres : c’est une culture, un mode de vie.

Ces embarcations servent au transport de marchandises, à la pêche, et à la circulation entre les îles et les communes reculées. Dans une Haïti encore largement dépourvue d’infrastructures routières efficaces, la mer est souvent la seule route viable, et ces voiliers deviennent des ponts flottants entre les communautés.

Le bois, la main et l’œil

Le processus commence avec la sélection minutieuse du bois. Le campêche, le gaïac ou le bois chandelle ou autres sont souvent choisis pour leur solidité et leur résistance à l’humidité. Il n’y a pas de plan technique, pas de croquis détaillé. Le chantier prend forme à l’œil nu, guidé par l’expérience et la mémoire.

« Se lespri nou, je nou ak men nou ki bati bato a », explique Maxo, charpentier de marine à Pestel. « Chak bato gen karaktè pa li. »

Le squelette du bateau est assemblé avec des planches courbées au feu ou taillées à la scie. On utilise des clous forgés localement ou importés, parfois même des bouts de métal recyclés. Les outils sont simples : une scie, un marteau, une machette, un rabot.

Des voiles cousues main, des mâts levés à la force humaine

Une fois la coque montée, les artisans passent à l’installation du mât, souvent une longue tige de bois solide dressée manuellement par plusieurs hommes. Les voiles sont confectionnées à partir de toiles récupérées, de sacs de farine ou d’engrais, cousus ensemble à la main. Le gréement est sommaire mais fonctionnel.

Les finitions sont simples mais pleines de symboles : des couleurs vives, des noms peints à la main, parfois des dessins ou des croix de protection. Le baptême du bateau est souvent un moment de fête, où les habitants viennent assister à la mise à l’eau de l’embarcation.

Entre économie populaire et survie

Ces voiliers ne sont pas que des œuvres d’art : ce sont des outils de survie. Ils servent à transporter des personnes et des produits, entre autres, du charbon, du riz, du sel, des fruits, ou à faire la pêche sur de longues distances. Certains font des trajets réguliers entre les iles et la grande terre, ou entre deux points de la côte.

« Bato mwen an se biznis mwen, li se lekòl pitit mwen, se manje fanmi mwen », témoigne un marin.

Un savoir menacé mais vivant

Malgré leur utilité, ce métier est aujourd’hui en déclin. Le manque de soutien gouvernemental, la rareté du bois, la montée en puissance des moteurs hors-bord, et l’absence de jeunes apprentis rendent l’avenir incertain.

Certaines initiatives assez simples des communautés locales pourraient permettre de valoriser cette tradition. Par exemple, des festivals de la mer, des ateliers, et même des projets de mini-musées du patrimoine maritime.

Les voiliers d’Haïti ne sont pas de simples embarcations. Ce sont des témoins flottants d’un génie populaire, nés du bois, du vent et de la volonté. Tant que ces bateaux continueront de glisser sur les eaux haïtiennes, ils raconteront l’histoire silencieuse d’un peuple qui sait, malgré tout, naviguer vers l’espoir.

Notre envoyé spécial sur l’ile de La Tortue, Merlain Petit-Frère, lèvera bientôt le voile sur ce secteur méconnu du grand public.

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