Projet constitutionnel en Haïti : entre illégalité référendaire, exclusion de la diaspora et dérive fédéraliste – l’alerte argumentée de Jerry Tardieu.
Député Tardieu :« … Larticle 10 renvoi à une loi sur la nationalité qui date de 1984 sous l’ère Duvalier, laquelle prévoit que la double nationalité n’est permise sous aucun prétexte.«
Dans un texte publié dans Le Nouvelliste des 24-25 mai 2025, dont une copie a été partagée avec Rezo Nòdwès par l’auteur lui-même, Jerry Tardieu,— ancien député de la République et président de la Commission spéciale chargée de l’amendement constitutionnel lors de la 50e législature — formule une critique juridiquement argumentée de l’avant-projet de Constitution PHTK-CPT soumis mercredi dernier par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le Premier ministre de faco, Alix Didier Fils-Aimé.
Qualifiant ce projet de « juridiquement vicié », M. Tardieu en dénonce les fondements contraires à l’ordre constitutionnel établi par la Loi fondamentale de 1987, tout en soulignant les risques qu’un tel texte ferait peser sur la gouvernabilité de l’État et sur la représentation équitable de la diaspora haïtienne dans l’espace civique national. En invoquant une série de vices juridiques, politiques et structurels, il qualifie le projet d’« inacceptable » et alerte sur ses conséquences : il « rendrait Haïti tragiquement ingouvernable et mettrait la diaspora totalement hors-jeu ». Il convient de rappeler qu’avant 2024, dans le cadre d’une tournée en Amérique du Nord consacrée à la réforme constitutionnelle, M. Tardieu s’était toujours exprimé en faveur d’un amendement strictement conforme aux mécanismes prévus par la Constitution de 1987, notamment ses articles 282 à 284. Il s’était également opposé, de manière constante et publique, à toute tentative de révision par voie référendaire.
L’ancien parlementaire, également coordonnateur du GTC (Groupe de travail sur la Constitution) en 2024, rappelle que ce projet de réforme s’inscrit hors du cadre prescrit par la Constitution haïtienne de 1987. Notons, toutefois, que celle-ci, en son article 284.3, interdit formellement tout référendum constitutionnel : « Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie référendaire est formellement interdite ».
Plus encore, Jerry Tardieu attire l’attention sur les conséquences politiques et sociales de ce texte, en particulier la marginalisation de la diaspora haïtienne : « Ce projet de nouvelle constitution rendrait Haïti tragiquement ingouvernable et mettrait la diaspora hors-jeu ». Or, cette exclusion contredit l’esprit même de la Constitution de 1987, qui avait reconnu aux Haïtiens vivant à l’étranger leur citoyenneté pleine et entière. Il rappelle qu’il s’agit là d’un retour en arrière sans précédent : « Ce serait la première fois dans l’histoire constitutionnelle d’Haïti que la diaspora haïtienne ne jouirait d’aucun droit de vote », note-t-il avec gravité.
Autre point saillant de sa critique : l’instauration de gouverneurs de départements, élus localement et dotés d’une autonomie administrative élargie, ce que Tardieu assimile à une tentative de fédéralisation rampante de l’État haïtien. « Jamais une telle formule n’a été proposée au GTC par les acteurs de la vie nationale. Jamais ! » déclare-t-il, ajoutant que « l’efficacité de la mauvaise gouvernance » ne saurait servir de prétexte à une rupture aussi radicale avec le principe d’unité nationale.
En outre, il observe un silence suspect sur les institutions indépendantes telles que la Cour Supérieure des Comptes (CSCCA), le Conseil électoral permanent ou le Conseil constitutionnel. L’avant-projet « ne dit rien sur ces institutions qui pourtant sont censées garantir la séparation des pouvoirs ». Il y voit une volonté de concentration du pouvoir, sans contre-pouvoirs crédibles, dans un contexte de transition marqué par la défiance.
Tardieu insiste sur la nécessité d’un respect scrupuleux de la légalité constitutionnelle comme seule voie vers une refondation politique viable. « On ne peut pas reconstruire la maison Haïti en brûlant la charte fondamentale », prévient-il, suggérant que toute réforme véritable doit s’appuyer sur un large consensus national et suivre un processus démocratique clair, avec la participation directe des institutions élues.
Si le Comité de pilotage de la Conférence nationale ne procède pas à une révision substantielle de l’avant-projet de Constitution dans le respect des normes démocratiques et constitutionnelles, le député Jerry Tardieu déclare qu’il s’y opposera avec la plus grande fermeté. Il appelle les forces vives de la nation à rejeter collectivement cette entreprise de révision illégitime, porteuse de dérives institutionnelles majeures.
Par ailleurs, selon M. Tardieu, toute initiative visant à soumettre ce projet à référendum — procédure expressément interdite par l’article 284.3 de la Constitution haïtienne de 1987, soulignons-le — ne saurait être envisagée sans la satisfaction de trois conditions préalables, indispensables à toute légitimation constitutionnelle :
Premièrement, l’instauration de conditions sécuritaires adéquates sur l’ensemble du territoire. Le député Tardieu rappelle qu’il est juridiquement et moralement inconcevable de mobiliser les citoyens à des fins électorales ou référendaires alors que l’État abdique son autorité face à des groupes armés et que l’intégrité physique des électeurs ne peut être garantie. Le droit de vote suppose la sécurité ; toute consultation dans un climat d’insécurité généralisée relève de la manipulation.
Deuxièmement, la mise en place d’une véritable Assemblée Constituante, élue ou représentative, seule instance légitime à délibérer sur l’élaboration d’un nouveau contrat constitutionnel. À défaut d’un tel organe, insiste M. Tardieu, le processus demeure vicié à sa source et ne saurait fonder un ordre juridique durable.
Troisièmement, Jerry Tardieu souligne l’exigence d’un consensus politique beaucoup plus large que celui résultant de l’accord du 3 avril 2024, déjà fragilisé par le retrait de plusieurs de ses signataires. Une réforme constitutionnelle authentique requiert l’adhésion des principaux secteurs de la vie nationale, au-delà des arrangements conjoncturels entre groupes d’influence.