Reynoldson Mompoint
Port-au-Prince
Le 28 avril 2025
Ils ont marché sur l’histoire comme on piétine un cadavre encore chaud. Ils ont sacrifié la mémoire sur l’autel de la compromission. Aujourd’hui, Haïti, cette terre insurgée, ce bastion de la liberté noire, n’est plus qu’un terrain vague diplomatique où s’affrontent les intérêts impériaux et les ambitions mesquines d’une élite acculturée. Le Nord héroïque, bastion de résistance, de fierté, et de souveraineté, regarde impuissant le bal grotesque de Port-au-Prince, devenu capitale de la soumission.
Il y eut un temps où les hommes du Nord ne courbaient l’échine devant personne. Firmin, avec sa plume assassine et sa pensée souverainiste, osa défier l’ordre racial mondial en affirmant l’égalité absolue de tous les peuples. Anténor Firmin, cet esprit incandescent, aurait vomi devant ces dirigeants actuels, mous, dociles, pendus au téléphone d’un ambassadeur étranger comme des commis au service d’un empire. Dans ses veines coulait le sang du Roi batisseur Henri 1er.
Cabèche, lui, fut l’homme de la dignité administrative. Il croyait à une République forte, régulée, enracinée. Et que voyons-nous aujourd’hui ? Des institutions vidées de leur substance, infiltrées par les gangs, manipulées par des intérêts transnationaux. Des gouvernements provisoires sans vision, des Constitutions violées en boucle, des juges et avocats chevronnés en exil ou en fuite. Et pendant ce temps, les multinationales avancent leurs pions sur notre sol comme sur un échiquier déséquilibré.
Mais c’est Charlemagne Péralte qui crie le plus fort depuis sa tombe. Lui, l’homme de la résistance armée contre l’occupation américaine de 1915. Lui, que les Américains tuèrent comme un chien, clouèrent à une porte, exposèrent comme un trophée pour décourager l’insurrection. Et aujourd’hui ? Ce sont ses petits-fils spirituels qui réclament la même occupation, en changeant les mots : « assistance technique », « force multinationale », « sécurité humanitaire ». La novlangue de la trahison.
Le drame haïtien, c’est cette transition pathétique : d’une République forgée dans le feu de la révolution à un État clientéliste, géré comme une ONG, vendue à la découpe. Les marchands, ces faiseurs d’ombres, en symbiose avec des politiciens sans colonne vertébrale, sans gêne aucun, orchestrent la valse de la dépossession. Le peuple ? Il sert de décor misérabiliste aux rapports de l’ONU et de chair à canon dans les affrontements des gangs armés… par qui ? Par les mêmes puissances qui prônent la paix tout en vendant la guerre.
Mais ne nous y trompons pas : l’impérialisme n’a jamais quitté Haïti. Il s’est modernisé. Il a troqué les fusils contre les mémorandums, les bottes contre les projets de « renforcement des capacités », les bombes contre les sanctions sélectives. Les ambassades sont devenues les nouvelles casernes, et les ONG, les nouveaux gouverneurs.
Et dans tout cela, où est la conscience nationale ? Où sont les nouveaux Firmin ? Les héritiers de Péralte ? Les continuateurs de Cabèche ? Trop rares, trop marginalisés, trop bâillonnés. Les médias, eux, préfèrent amplifier les voix du compromis, les chantres du statu quo, les agents locaux du système mondial. On applaudit ceux qui courbent l’échine, on bâillonne ceux qui redressent la tête.
Mais l’histoire n’est jamais finie.
Il existe encore des poches de feu. Des foyers de refus. Des jeunes qui lisent, qui questionnent, qui refusent de s’agenouiller. Des paysans qui murmurent le nom de Péralte en cultivant leurs terres. Des intellectuels qui se réclament de Firmin pour réécrire notre présent. Des citoyens qui refusent la recolonisation, même grimée.
Le Nord peut encore redevenir le cœur battant de la nation. À condition qu’on cesse de se mentir, de laisser passer des politiciens gourdes. À condition qu’on nomme les choses : l’occupation, la trahison, la soumission. À condition qu’on se souvienne que la liberté n’est jamais donnée, elle se prend.
Haïti n’est pas morte. Elle attend. Elle respire encore, sous la poussière des humiliations. Et le jour viendra, tôt ou tard, où les drapeaux de la dignité recouvriront les guenilles de la trahison. Ce jour-là, Firmin sourira. Cabèche applaudira. Et Péralte renaîtra.
Reynoldson Mompoint