Au large de la côte nord-ouest d’Haïti, une petite île méconnue, l’île de la Tortue, porte en elle une histoire fascinante. Bien avant que Saint-Domingue ne devienne la « perle des Antilles » sous la domination française, cette île fut le berceau de la colonisation française dans la région, servant de première « capitale » officieuse de la colonie. Plongeons dans l’histoire de ce lieu stratégique, où flibustiers, colons et gouverneurs ont écrit les premières pages d’une épopée coloniale.
Un refuge pour les aventuriers
Dès les années 1620, l’île de la Tortue attire des aventuriers français, principalement des Normands et des Bretons. Flibustiers, boucaniers et chasseurs s’y installent, profitant de l’abandon relatif de la région par les Espagnols, qui se concentrent sur l’est d’Hispaniola. Ce rocher de seulement 180 km², avec ses falaises abruptes et ses criques abritées, offre un refuge idéal pour ces hommes vivant de piraterie et de commerce informel. L’île devient un repaire de corsaires, qui mènent des raids audacieux contre les galions espagnols chargés d’or.
Mais l’île de la Tortue est bien plus qu’un repaire de pirates. Elle marque le point de départ de la présence française dans les Caraïbes, un tremplin vers la colonisation de Saint-Domingue.
La première « capitale » française
En 1640, l’organisation de la colonie prend forme avec Jean Le Vasseur, un flibustier devenu le premier gouverneur officieux de l’île. Sous son impulsion, l’île de la Tortue se dote d’une forteresse, le fort de la Roche, et d’une administration embryonnaire. Ce bastion devient le cœur battant de la présence française, où les colons s’organisent face aux tentatives espagnoles de reprendre le contrôle.
C’est avec Bertrand d’Ogeron, nommé gouverneur en 1665 par la Compagnie des Indes occidentales, que l’île de la Tortue consolide son rôle de centre administratif. D’Ogeron, visionnaire et pragmatique, transforme ce refuge de pirates en une véritable colonie. Il encourage l’installation de colons, organise l’agriculture (tabac, indigo) et établit des relations avec les flibustiers pour sécuriser la région. L’île devient alors la « capitale » de facto de la colonie naissante, un lieu où convergent aventuriers, planteurs et administrateurs.
Un tremplin vers Saint-Domingue
Si l’île de la Tortue est restée le centre névralgique des débuts de la colonisation, sa taille limitée et ses terres peu propices à l’agriculture poussent rapidement les Français à s’étendre sur la côte nord-ouest de Saint-Domingue. Dès les années 1670, des villes comme Port-de-Paix et Le Cap-Français émergent, marquant le transfert progressif des activités vers la terre ferme. Pourtant, l’île de la Tortue reste un symbole : c’est là que tout a commencé, là que la France a posé les fondations de ce qui deviendra l’une de ses colonies les plus prospères.
Pourquoi l’île de la Tortue mérite d’être redécouverte
Aujourd’hui, l’île de la Tortue, avec ses plages tranquilles et ses vestiges historiques, est un trésor oublié. Elle incarne une page essentielle de l’histoire d’Haïti et des Caraïbes, celle des débuts audacieux de la colonisation française. En tant que première « capitale » de Saint-Domingue, elle a été le théâtre d’une rencontre entre aventuriers, colons et esclaves, posant les bases d’une société complexe qui mènera, des décennies plus tard, à la révolution haïtienne.
Visiter l’île de la Tortue, c’est plonger dans une histoire de courage, de conflits et de transformations. C’est aussi rendre hommage à un lieu qui, malgré sa petite taille, a joué un rôle démesuré dans l’histoire coloniale. Alors, pourquoi ne pas remettre l’île de la Tortue sur la carte, comme un joyau historique à explorer et à préserver ?
Elensky Fragelus
