28 septembre 2025
Le « Liv inik an kreyòl », marqueur fondamental de l’échec didactique, pédagogique et de gouvernance du système éducatif haïtien
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Le « Liv inik an kreyòl », marqueur fondamental de l’échec didactique, pédagogique et de gouvernance du système éducatif haïtien

Par Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

Conseiller spécial, Conseil national d’administration

du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)
Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)
Membre du Comité international de mise à jour du Dictionnaire des francophones

Montréal, le 28 septembre 2025

« Le ‘’Rapport mondial sur la corruption : l’éducation’’ fait la lumière sur les diverses formes que peut prendre la corruption dans l’éducation. Il montre que, dans tous les cas, la corruption dans l’éducation agit comme un obstacle dangereux à un enseignement de qualité supérieure et au développement économique et social. Elle compromet les bénéfices académiques qu’offrent les établissements d’enseignement (…) et peut mener à la ruine de la réputation de l’ensemble du système d’enseignement (…) d’un pays. Pour déterminer le meilleur moyen de progresser, le ’Rapport mondial sur la corruption : l’éducation’’ met également en exergue les approches novatrices à la lutte contre la corruption dans le secteur de l’éducation » (Transparency International, « Rapport mondial sur la corruption : l’éducation », 2013).

Dans le courriel adressé à un enseignant en poste à Fort-Liberté, nous avons évoqué les récentes et délictueuses manœuvres d’une puissante organisation internationale du secteur de l’éducation en lien avec le système éducatif haïtien. Cette organisation internationale a pour nom Global partnership for Education (GPE) / Partenariat mondial pour l’éducation. Créé avec l’appui financier de puissants lobbies américains, le GPE a pour mission d’instituer un « nouvel ordre éducatif mondial » conforme aux vues hégémoniques et techno-populistes de ces lobbies tout en oeuvrant à supplanter l’UNESCO. Partenaire stratégique et financier généreux, en Haïti, du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, le Partenariat mondial pour l’éducation reçoit un appui financier majeur des États-Unis. Washington a en effet « contribué à hauteur de 931 millions de dollars au fonds du GPE, ce qui en fait le cinquième plus grand donateur » (voir les données consignées dans la rubrique « Engagement pour la période 2021-2025 : 480 000 000 $ US », source : « Les États-Unis et le GPE », site officiel du Partenariat mondial pour l’éducation.) 

Le courriel dont il est ici question comprenait en pièce jointe notre article intitulé « Un Haïtien au cœur de la gouvernance éducative mondiale : Nesmy Manigat promu par le GPE » ou l’éloge de la corruption, du népotisme et de l’impunité ». Daté du 13 septembre 2025, cet article a été amplement diffusé en Haïti sur les 17 plateformes régionales du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH). Il est également paru aux États-Unis sur Rezonòdwès et en Martinique sur Fondas kreyòl et Madinin’Art.

Cet article démontre, références documentaires à l’appui, que GLOBAL PARTNERSHIP FOR EDUCATION (GPE) / PARTENARIAT MONDIAL POUR L’ÉDUCATION A DÉLIBÉRÉMENT CHOISI DE FERMER LES YEUX SUR LA CORRUPTION ET LE DÉTOURNEMENT DE MILLIONS DE DOLLARS AYANT EU COURS DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF NATIONAL DURANT LES DEUX MANDATURES DE NESMY MANIGAT À LA DIRECTION DE L’ÉDUCATION NATIONALE D’HAÏTI. Nous avons en effet démontré que le Partenariat mondial pour l’éducation a choisi de promouvoir la corruptive délinquance institutionnelle en « récompensant » l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat : il est du sérail, il a auparavant été, de 2021 à 2023, le « serviable » Président du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement du Partenariat mondial pour l’éducation… Apre nou se nou

Pour rappel : dans cet article nous avons rigoureusement démontré que la « nomination-promotion » de Nesmy Manigat –la « vedette médiatique du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste–, comme envoyé et conseiller de haut niveau du GPE constitue, explicitement, un éloge délictueux de la corruption et de la prévarication dans le secteur éducatif national haïtien. Et sur le registre de la reddition institutionnelle de compte, cette « nomination-promotion » constitue également un plaidoyer, à l’échelle internationale, en faveur de l’impunité comme vecteur associé à la gouvernance de l’éducation.

L’analyse que nous avons fournie dans l’article « Un Haïtien au cœur de la gouvernance éducative mondiale : Nesmy Manigat promu par le GPE » ou l’éloge de la corruption, du népotisme et de l’impunité » repose sur des faits amplement documentés : (1) durant les deux mandatures de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale, Haïti a reçu des millions de dollars destinés à la réforme de son système éducatif, au renforcement de sa gouvernance, à la rénovation de ses infrastructures scolaires et à la révision du curriculum de l’École haïtienne. (2) De 2012 à 2025, aucune institution internationale ayant financé ces présumées activités n’a présenté le moindre audit des états financiers en lien avec les programmes financés. (3) Durant les deux mandatures de Nesmy Manigat, le ministère de l’Éducation nationale n’a présenté aucun audit des états financiers relatifs aux millions de dollars reçus de ses partenaires internationaux. (4) Durant ces deux mandatures le Fonds national de l’éducation, le FNE –organisme d’État placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale selon la Loi du 17 août 2017–, a été le terreau fertile d’un vaste système de corruption, de prévarication/détournement de centaines de millions de dollars amassés par le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti pour le compte du FNE. NOTE — Selon la Loi du 17 août 2017, le ministre de l’Éducation nationale est le président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation : il a l’obligation de fournir chaque année les états financiers et l’audit des états financiers du FNE… 

Nous avons procédé à l’analyse, amplement documentée, de l’invisibilisation de la corruption au Fonds national de l’éducation où, d’une année à l’autre, des centaines de millions de dollars ont été détournés au moyen d’un dispositif mafieux de prévarication dans lequel le CONATEL, la Banque de la République d’Haïti, des directeurs départementaux de l’Éducation nationale et nombre de directeurs d’écoles ont joué un rôle moteur et de premier plan. En toute rigueur, nous avons effectué le bilan analytique de l’invisibilisation de la corruption au Fonds national de l’éducation dans les articles suivants : 

1 — Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, Rezonòdwès, 20 avril 2024.


2 — La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024.   

3– Haïti : la corruption au Fonds national de l’éducation : ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti , Madinin’Art, 26 septembre 2024. 

— En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9, Haïti Inter, 7 janvier 2025.

5 — En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers , Rezonòdwès, 18 février 2025.

6 — Le parachutage de Sterline CIVIL à la direction du Fonds national de l’éducation : vers le renforcement de la corruption et de l’impunité dans le système éducatif national d’Haïti, Rezonòdwès, 5 mars 2025.

7 – L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste , Rezonòdwès, 17 juin 2025.

8– Corruption, détournement de fonds publics, népotisme : le Fonds national de l’éducation défie et échappe encore à la Justice haïtienne, Fondas kreyòl, 22 août 2025.

Ces huit articles sont accessibles sur les sites indiqués et il est invraisemblable que le Global partnership for Education (GPE) / Partenariat mondial pour l’éducation ne dispose pas dans ses archives de la totalité des documents attestant les faits de corruption et de détournement de millions de dollars au Fonds national de l’éducation durant les deux mandatures de Nesmy Manigat à l’Éducation nationale.

Il est tout aussi invraisemblable que le Global partnership for Education (GPE) / Partenariat mondial pour l’éducation n’ait pas pris récemment connaissance d’un dossier majeur relatif à la corruption au Fonds national de l’éducation. Le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine a demandé en 2024 à la Cour supérieure des comptes d’effectuer avec célérité un audit administratif et financier des 9 organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation. Qu’en est-il de ce dossier en septembre 2025 ?

Le dispositif mafieux de corruption/prévarication au Fonds national de l’éducation ciblé par une demande du ministre Augustin Antoine auprès de la Cour supérieure des comptes

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine a en effet officiellement déposé, le 9 octobre 2024, une demande d’audit financier et administratif auprès de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA). Il a enjoint la CSCCA d’effectuer avec célérité un audit administratif et financier des 9 organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation et le Fonds national de l’éducation est l’un de ces organismes (voir notre article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA », Madinin’Art, 16 octobre 2024).

Dans sa requête le ministre Augustin Antoine enjoint la Cour supérieure des comptes d’accorder « une suite urgente à cette requête » et précise que l’audit devra être effectué « au niveau du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle ainsi que dans les directions techniquement déconcentrées et autonomes suivantes :

  • Le Programme national de cantine scolaire (PNCS) 
  • L’Unité de coordination et de programmation (UCP) 
  • La Secrétairerie d’État à l’alphabétisation (SEA) 
  • La Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO (CNHCU) 
  • L’École nationale de géologie appliquée (ENGA) 
  • L’Institut national de formation professionnelle (INFP) 
  • L’Office national de partenariat en éducation (ONAPE) 
  • L’École nationale supérieure de technologie (ENST)
  • Le Fonds national de l’éducation (FNE) ».

Quatre mois seulement après le dépôt de la requête du ministre Augustin Antoine et avant l’établissement du moindre rapport intérimaire de la Cour supérieure des comptes, le Conseil présidentiel de transition a choisi de court-circuiter l’action de la Justice en torpillant les enquêtes en cours de l’Unité de lutte contre la corruption et en passant outre de la demande d’audit du ministre Augustin Antoine auprès de la cour supérieure des comptes… L’on observe que dans la scabreuse partie de poker menteur qui s’est jouée récemment entre le PHTK néo-duvaliériste et le Conseil présidentiel de transition (le CPT) –sorte de bric à brac exécutif d’inspiration lavalassienne–, le CPT a choisi de faire la promotion du culte de l’escroquerie impunitaire en Haïti en concédant au PHTK la nomination de Sterline Civil à la direction du Fonds national de l’éducation… Le parachutage de Sterline Civil, une néophyte liée à et au service de Claude Joseph, affairiste et puissant baron mafieux du PHTK, a un temps renforcé la mainmise du PHTK sur l’appareil administratif de l’éducation en Haïti transformé en écosystème de gestion kleptocratique de la valse des millions de dollars déversés chaque année par l’International dans un système éducatif placé sous respiration artificielle… NOTE – Le Fonds national de l’éducation a fait l’objet d’une perquisition comme en fait foi un article du journal Le Nouvelliste, « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE » paru en Haïti le 4 juin 2024 : « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont perquisitionné les locaux du Fonds national de l’éducation ( FNE) ce mardi 4 juin 2024. « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph ».

En choisissant de faire la promotion du culte de l’escroquerie impunitaire en Haïti, le Conseil présidentiel de transition pratique lui aussi, à l’instar du PHTK, l’« amnésie sélective » et ferme les yeux sur les ravages que causent la corruption et l’impunité dans le système éducatif national comme, d’ailleurs, dans la société haïtienne tout entière. C’est donc dans le contexte d’une « amnésie politique programmée » que la presse haïtienne a rapporté la nouvelle de l’installation d’une nouvelle directrice au Fonds national de l’éducation. Sur le compte X du journal Le Nouvelliste daté du 18 février 2025, il est mentionné que « Sterline Civil a été installée, ce mardi 18 février 2025, comme nouvelle directrice générale du Fonds national de l’éducation (FNE). La cérémonie s’est déroulée en présence de plusieurs cadres du FNE et du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP). Madame Civil remplace Jean Ronald Joseph, qui a occupé le poste entre décembre 2021 et février 2025 ». Sans mentionner un fait de société pourtant déjà ciblé par divers médias locaux, à savoir la corruption au Fonds national de l’éducation, plusieurs organes de la presse haïtienne ont présenté avec complaisance la PHTKiste Sterline Civil, une jeune trentenaire, comme une juriste accomplie et une enseignante. Elle a dans un passé récent été propulsée par Claude Joseph, baron mafieux et affairiste du PHTK, d’abord au poste de directrice des Affaires consulaires —elle a donc été administrativement responsable du contrôle des passeports haïtiens habituellement émis à Washington–, et ensuite ministre-conseiller à la Mission permanente d’Haïti auprès de l’Onu… L’on note toutefois que la presse locale et internationale n’ont pas encore apporté la preuve de l’implication présumée de Sterline Civil dans le scandale des passeports à l’ambassade d’Haïti à Washington (« Le plus haut diplomate d’Haïti aux États-Unis [Bocchit Edmond] est limogé après un scandale de passeports à l’ambassade de Washington », titrait le Miami Herald, révélant les implications des proches d’Edmond Bocchit et de Claude Joseph dans des actes de corruption à l’ambassade d’Haïti à Washington » (voir l’article « Bocchit limogé : les révélations chocs de Miami Herald sur le scandale de passeports à l’ambassade d’Haïti à Washington », Rezonòdwès, 5 mai 2023).

Le parachutage de Sterline Civil à la direction du Fonds national de l’éducation par le Conseil présidentiel de transition est riche d’enseignements. Le principal enseignement est qu’il existe une systémique continuité des pratiques mafieuses au plus haut niveau de l’État haïtien : elle consiste à fermer les yeux sur la corruption et, tout en campant sur les ruines du cimetière de l’impunité, à modéliser la gouvernance politique de l’État haïtien en dehors de la Loi et en dehors de la Constitution de 1987. C’est d’ailleurs également sur ce terrain-là qu’il y a communauté de vue entre le Conseil présidentiel de transition et le PHTK néo-duvaliériste. Une telle communauté de vue trouve ses racines dans un fait historique majeur : la non déduvaliérisation de la société haïtienne tout entière, la survivance réitérée des pratiques opaques de gouvernance politique et administrative couplée aux interventions délictueuses et kleptocratiques des « intellectuels serviles » dont se sont entourés les divers régimes politiques de 1987 à nos jours. (NOTE – Sur l’héritage duvaliériste inscrit dans l’ADN du PHTK, voir la série de quatre articles de l’économiste et historien Leslie Péan intitulés « Haiti : gouvernance occulte, gouvernance inculte, gouvernance superficielle », AlterPresse, juin 2014. Leslie Péan est également l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la problématique de la corruption en Haïti, notamment « Haïti / Économie politique de la corruption – L’ensauvagement macoute et ses conséquences (1957-1990) », tome IV, Éditions Maisonneuve et Larose, 2007 ; voir aussi Pierre Fournier, « Haïti, contextes social, historique, économique et le phénomène de la corruption », Barreau de Montréal, 2016. Voir également « Le rôle des « intellectuels serviles » dans l’arsenal idéologique érigé par le cartel politico-mafieux du phtk néo-duvaliériste », par Robert Berrouët-Oriol, Fondas kreyòl, 27 novembre 2024.)

L’on observe que le parachutage de Sterline Civil à la direction du Fonds national de l’éducation s’est très récemment soldé par un piteux échec : elle a été abruptement révoquée par le Conseil présidentiel de transition qui, fidèle à ses pratiques managériales opaques, n’a pas publiquement motivé sa décision (voir l’article « Sterline Civil réagit à sa révocation décidée par le CPT », Le Placentin, 18 septembre 2025). Également, l’on observe que le Conseil présidentiel de transition n’a présenté aucun bilan analytique, aucun audit de l’administration et des états financiers du Fonds national de l’éducation dirigé ces derniers mois par Sterline Civil…

La saga du « Liv inik an kreyòl » au creux de l’échec de la gouvernance du système éducatif national haïtien sous la férule du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste

Il est attesté que le bilan des deux mandatures de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale est celui d’un retentissant échec que les institutions internationales croient pouvoir délictueusement masquer : 

  1. échec de tous les programmes dits de « réforme » du système éducatif national haïtien financés à hauteur de plusieurs millions de dollars ces douze dernières années ;
  1. échec d’une gouvernance ayant ignoré la reddition des comptes ;
  1. échec de la révision curriculaire pensée en dehors d’une politique éducative nationale ;
  1. échec quant à l’élaboration et la promulgation d’une politique du livre scolaire ; 
  1. échec quant à la nécessité d’élaborer et de promulguer un énoncé de politique linguistique éducative nationale ;
  1. échec de l’aménagement du créole, à tous les étages de l’École haïtienne, imaginé dans la négation d’un énoncé de politique linguistique éducative nationale ;
  1. échec du projet de LIV INIK AN KREYÒL. 

Le populisme linguistique, l’improvisation managériale, l’agitation propagandiste sur les réseaux sociaux et l’inexistence d’un plan directeur sont étroitement corrélés à l’absence d’une politique éducative d’État et à l’absence d’une politique linguistique éducative nationale : une telle réalité, ces douze dernières années, a été diversement commentée par les associations d’enseignants haïtiens. Ils exposent tous, dans leurs propres termes, les sept principaux échecs des deux mandatures de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale, qui sont à la fois un héritage politique et celui d’une bavarde errance managériale. Ce lourd héritage légué par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au système éducatif national haïtien est lien structurel direct avec divers diagnostics élaborés depuis plusieurs décennies tant par des experts nationaux qu’internationaux : le naufrage multifacette du système éducatif haïtien est archi connu, il a été analysé sous toutes les coutures et il est un sujet récurrent dans la presse haïtienne. Plus récemment il a été abordé dans plusieurs articles de presse, notamment « Éducation : la mise en œuvre du Plan décennal d’éducation et de formation dans l’impasse » (Le Nouvelliste, 23 septembre 2025) et « Le MENFP et ses partenaires définissent les priorités pour transformer l’éducation » (Vant bèf info, 24 septembre 2025). L’on observe, à la lecture de ces articles, que les mêmes généralités sont reprises d’une année à l’autre, les mêmes « engagements » ministériels sont copiés-collés, les mêmes « partenaires techniques et financiers internationaux » sont sollicités, et le rituel d’un énième « état des lieux » sert de paravent au déficit de vision, aux errances sinon au désengagement de l’État dans le domaine de l’éducation… Et d’un « état des lieux » à l’autre, aucun bilan analytique du projet de LIV INIK AN KREYÒL n’a été fourni par le ministère de l’Éducation nationale.

Le LIV INIK AN KREYÒL : mise en perspective

En termes de bilan analytique, il faut prendre toute la mesure qu’il y a aujourd’hui sur l’étal du ministère de l’Éducation nationale une abondante récolte de « documents majeurs d’encadrement » –qui s’empilent, se chevauchent et se contredisent parfois–, sans que l’on sache, en ce qui a trait à la gouvernance stratégique du secteur éducatif, lequel a la priorité et sert de guide premier pour l’ensemble du système éducatif national. Ces « documents majeurs d’encadrement » ont pour titre : (1) « Cadre d’orientation curriculaire pour le système éducatif haïtien / Haïti 2054 » ; (2) « Cadre pour l’élaboration de la politique linguistique du MENFP » / « Aménagement linguistique en préscolaire et fondamental ». Ce document est daté de mars 2016 et il porte la mention « Travail réalisé par Marky Jean Pierre et Darline Cothière sous la direction de Marie Rodny Laurent Estéus consultante au cabinet du ministre » ; (3) « Référentiel haïtien de compétences pour le français et le créole / Referansyèl ayisyen konpetans pou lang franse ak kreyòl » élaboré par la linguiste-didacticienne Darline Cothière et daté du 15 mai 2018 ; (4) « Plan décennal d’éducation et de formation (PDEF 2020/2030) ». À cette abondante moisson de « documents majeurs d’encadrement » l’on peut ajouter le document intitulé (5) « Pour un pacte national pour l’éducation en Haïti » (« Rapport du Groupe de travail sur l’éducation et la formation », GTEF, août 2010, qui inclut l’ample volet titré « Vers la refondation du système éducatif haïtien – Plan opérationnel 2010-2015 ») ; (6) le document ayant pour titre « La stratégie nationale d’action pour l’éducation pour tous » daté d’avril 2007 ; (7) le document intitulé « Programme d’interventions prioritaires en éducation (PIPE) 2013-2016 » daté de décembre 2013 ; (8) « Cadre d’orientation curriculaire pour le système éducatif haïtien (COC 2022) ».

L’abondante moisson de « documents majeurs d’encadrement » est, depuis plusieurs décennies, un trait distinctif de la gouvernance du système éducatif national constamment soumis à des « réformes » –parfois souhaitées par l’État haïtien mais souvent dictées par les PTF, les « partenaires techniques et financiers » regroupant les puissantes agences de coopération internationale pourvoyeuses de « subventions d’appui »–, sans qu’au terme de chacune de ces « réformes » ne soit publié un bilan analytique assorti d’un audit administratif et financier. L’expérience a amplement montré que dès leur nomination les nouveaux ministres de l’Éducation –frappés d’amnésie sélective quant aux présumées « réalisations » de leurs prédécesseurs–, s’empressent de publier leur propre « feuille de route » et d’annoncer une nouvelle « réforme » du système éducatif dont on ne connaîtra jamais le bilan, qu’il s’agisse d’une énième « réforme » de la gouvernance du système éducatif ou d’une nouvelle « réforme curriculaire ».

Le site Web du ministère de l’Éducation nationale comprend deux grandes sections où l’usager peut entreprendre une recherche documentaire : « Outils et ressources pédagogiques » et « Banque de documents ». La section « Outils et ressources pédagogiques » ne comprend aucune donnée analytique ou d’information sur le LIV INIK AN KREYÒL. La section « Banque de documents » comprend, sous l’appellation « Documents officiels », les sous-sections suivantes : « Circulaires et arrêtés », « Programmes et curriculum », « Résultats enquêtes », « Modèles d’examens », « Éducation non formelle », « Documents cadre de la DAEP » et « Autres ».

Observation générale – La section « Banque de documents », à l’instar des autres sections du site Web du ministère de l’Éducation nationale, ne comprend aucun document rédigé en créole. Cela constitue une violation flagrante de l’article 40 de la Constitution de 1987 qui s’énonce ainsi : « Obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale ».

La sous-section « Autres » du site Web du ministère de l’Éducation nationale rassemble les documents suivants : « Cadre d’orientation curriculaire du système éducatif haïtien » 2024-2054 – Version officielle » ; « Haïti 2030 – Feuille de route de la réforme curriculaire 2023-2030 », novembre 2023 ; « Proposition de programme soumis au Partenariat mondial pour l’éducation pour un financement d’un montant de 10 millions de dollars américains » – Juin 2020 – Novembre 2021 ; « Haïti 2030 – Rapport d’état sur le curriculum en Haïti » – Octobre  2023. La sous-section « Autres » ne comprend aucun document relatif au LIV INIK AN KREYÒL.

La sous-section « Programmes et curriculum » consigne des documents relatifs aux cycles Préscolaire, Fondamental et Secondaire et aux Écoles normales d’instituteurs. La sous-section « Programmes et curriculum » ne comprend aucun document relatif au LIV INIK AN KREYÒL.

La sous-section « Résultats enquêtes » ne comprend qu’un seul document, le « Diagnostic rapide des infrastructures scolaires en Haïti – Projet de rapport définitif, 30 décembre 2020. Préparé pour le Programme mondial pour des écoles plus sûres de la Banque mondiale ». Cette sous-section ne consigne aucun document relatif au LIV INIK AN KREYÒL.

La sous-section « Documents cadre de la DAEP » comprend un ensemble de « Circulaires », d’« Arrêtés » et de « Décisions ministérielles ». Cette sous-section ne consigne aucun document relatif au LIV INIK AN KREYÒL.

Observation générale – L’on observe que les deux grandes sections du site Web du ministère de l’Éducation nationale où l’usager peut entreprendre une recherche documentaire, « Outils et ressources pédagogiques » et « Banque de documents », ne comprennent aucun document de présentation et de bilan analytique du projet de LIV INIK AN KREYÒL. Il s’agit là d’une évidente manifestation de l’errance managériale et d’un lourd déficit de vision du ministère de l’Éducation nationale qui, sous la houlette de Nesmy Manigat, prétendait « promouvoir le créole » à tous les étages de l’École haïtienne. Cette prétendue « promotion du créole » a souvent pris le chemin de l’enfumage, de la posture cosmétique et de « décisions ministérielles » aussi improvisées qu’illégales au regard de la Constitution de 1987. Ainsi, « En Haïti et en outre-mer, la nouvelle a retenu l’attention de nombreux enseignants, parents d’élèves, directeurs d’école, rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires : « Le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp) annonce la fin du financement des matériels didactiques en langue française, pour les quatre premières années du cycle fondamental (…) Ce financement sera dirigé vers les matériels didactiques en créole, pour les quatre premières années du fondamental (…). » Et « À partir de l’année académique 2022-2023, l’État haïtien ne financera pas, ni ne supportera aucun matériel didactique [en] langue française qui doit servir dans l’apprentissage des élèves des quatre premières années du fondamental » (voir les articles « Suspension du financement des matériels didactiques en langue française pour les 4 premières années du cycle fondamental en Haïti », AlterPresse, 22 février 2022) », et « Financement des manuels scolaires en créole en Haïti : confusion et démagogie au plus haut niveau de l’État », par Robert Berrouët-Oriol, Potomitan, 8 mars 2022).

En l’absence de données documentaires relatives au LIV INIK AN KREYÒL sur le site Web du ministère de l’Éducation nationale, nous avons réalisé et publié des entrevues avec plusieurs éditeurs de manuels scolaires. Ces entrevues sont fort instructives : elles ont permis de situer le projet de LIV INIK AN KREYÒL, d’en dégager les présumés objectifs aux plans didactique et pédagogique et de dégager des éléments d’un bilan d’ensemble.

 Le LIV INIK AN KREYÒL vu par des éditeurs de manuels scolaires

L’une de ces entrevues a pour titre « Le Liv inik an kreyòl et la problématique des outils didactiques en langue créole dans l’École haïtienne – Entrevue exclusive avec Charles Tardieu » [Directeur des Éditions Zémès], Fondas kreyòl, 14 août 2023. En voici des extraits.

« … » Q/ Robert Berrouët-Oriol (RB-O) : Pouvez-vous expliquer, compte-tenu de votre connaissance du marché du livre scolaire en Haïti, en quoi consiste précisément le LIV INIK AN KREYÒL ? À quels objectifs pédagogiques entend-il répondre ? S’agit-il d’un ouvrage recommandé, optionnel ou obligatoire dans toutes les écoles du pays ? 

R/ Charles Tardieu (CT) : En tout premier lieu, il faut signaler que toute la documentation relative au marché du livre unique en créole a été produite et distribuée aux éditeurs exclusivement en français ! D’après les communications fortement médiatisées du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), les livres « uniques » des 7 éditeurs devaient être distribués gratuitement à tous les élèves de toutes les écoles en Haïti à la rentrée scolaire 2022-2023 même si le MENFP ne sait toujours pas à combien d’écoles cette promesse s’adresse. (Le MENFP n’a pas un recensement exhaustif des écoles, des écoliers et des enseignants évoluant dans le système !).

Techniquement, un livre unique comporte les contenus des 5 matières de base en 1 ou 2 tomes : créole, français, mathématiques, sciences sociales et sciences expérimentales, plus 1 cahier d’exercices pour les 5 matières. L’écolier a donc un seul livre et un cahier d’exercices en tout temps durant l’année scolaire. Ceci remplace la multitude de manuels que les écoles réclament souvent d’un écolier (ce qui implique des coûts exorbitants et un poids énorme dans le cartable d’un enfant en bas âge, ce qui implique aussi des risques de perte d’un livre à remplacer en cours d’année. Ceci représente donc à la fois un avantage économique et pédagogique pour l’écolier et sa famille).

Le MENFP n’a aucune provision légale pour exiger l’utilisation d’un livre plutôt qu’un autre dans le système éducatif national et encore moins lui permettant de faire respecter le strict minimum du programme officiel de l’École fondamentale comme stipulé par le PD (Programme détaillé de l’École fondamentale). L’école est entièrement libre d’utiliser les ouvrages qui lui plaisent, même en termes de rapport avec le curriculum officiel du MENFP. Et à ce titre, de nombreuses écoles et enseignants n’ont même pas une copie de ces exemplaires du PD datant, d’ailleurs, des années 1980-86 (une quarantaine d’années) et qui n’ont jamais été mis à jour ! Ces documents sont aussi très rares sur le marché, même si les éditions Henri Deschamps avaient pris l’heureuse initiative d’en reproduire des exemplaires pour la vente.

Le ministère n’a pu distribuer ces livres au début janvier 2023 date de livraison par la majorité des éditeurs à cause de la date tardive de signature des contrats. Il prévoit donc les distribuer pour la rentrée scolaire 2023-2024.

Cependant, certaines écoles auraient reçu des échantillons de ces livres uniques l’année dernière. Mais personne ne sait précisément comment seront distribués ces manuels et à quelles écoles. Je te propose de faire un petit sondage rapide pour voir quelles écoles, a 5-6 semaines de la rentrée scolaire, ont obtenu un engagement du MENFP pour recevoir assez de copies des livres pour chaque écolier des 1 et 2e années fondamentales correspondant à leurs effectifs pour la rentrée prévue pour le 11 septembre 2023. Mieux, on peut se poser la question à savoir est-ce que les écoles « savent », quand et lequel des 7 livres uniques (de quel éditeur) son école sera dotée ? Depuis le début du mois d’août 2023 le ministère a entrepris une opération de distribution très médiatisée, malgré tout tardive, des livres uniques. Il faut espérer que les écoles, qui généralement préparent leurs listes de livres et les distribuent à la fermeture des classes (juin-juillet) auront été prévenues bien à l’avance pour que ces listes en tiennent compte.

De ce que je comprends, les livres seront distribués en nombre « suffisant » pour que chaque écolier des classes de 1re et 2e années fondamentales de toutes les écoles de la république reçoive un livre unique et un cahier d’exercice. D’ailleurs la publicité du MENFP va dans ce sens : pas besoin d’acheter de manuels pour ces classes et surtout les multitudes de livres généralement exigés par de très nombreuses écoles.

Autre contrainte importante dans le cadre de ce projet de distribution gratuite de livres uniques, ce sont les instances du ministère qui procèderont unilatéralement au choix d’un des 7 livres uniques qui sera attribué à une école donnée. D’ailleurs, le ministère a aussi prévu, se basant principalement sur les prix des offres financières des éditeurs, qu’il déciderait au cours du processus d’allocation des marchés quels livres seront distribués dans chaque département. Ce faisant, le ministère se substitue aux éducateurs pour le choix des manuels dans les écoles, le fait à partir de critères financiers et non pédagogiques, et établit une sorte d’homonogéité monopolistique par département.

RB-O : Selon les informations dont vous disposez en ce qui a trait au marché du livre scolaire en Haïti, par qui le LIV INIK AN KREYÒL a-t-il été élaboré et édité ? Existe-il UN SEUL LIV INIK AN KREYÒL ou chacun des sept éditeurs retenus pour élaborer et éditer le livre a-t-il rédigé et édité son propre livre unique, ce qui laisserait croire, dans cette hypothèse, qu’il existerait actuellement SEPT VERSIONS DISTINCTES DU LIV INIK AN KREYÒL ?

CT : En effet, il s’agit bien de 7 livres uniques distincts qui existent sur le marché organisé par le MENFP. Chacun des 7 éditeurs retenus a produit son propre livre unique à partir de son catalogue antérieur et/ou en en produisant un tout nouveau. Les livres uniques des Éditions Zemès, par exemple, ont été produits à partir de manuels existants dans son catalogue et les ont adaptés pour répondre aux exigences du MENFP. Ainsi, certains de nos manuels existaient en version bilingue (créole–français). Nous avons donc éliminé la partie française. D’autres n’existaient qu’en version française. Il a donc fallu les produire en créole (ce qui est tout à fait différent d’une simple traduction).

RB-O : Un nombre indéterminé d’enseignants et de directeurs d’écoles s’opposent déjà, selon nos informations, à l’arrivée du LIV INIK AN KREYÒL dans les écoles du pays. Ils soutiennent que cet ouvrage risque d’enfermer l’apprentissage des matières scolaires dans le format étroit d’un condensé unique de 300 pages là où les élèves devraient pouvoir disposer d’un large éventail de ressources didactiques diversifiées et couvrant toutes les matières scolaires. Qu’en pensez-vous ?

CT : En effet, beaucoup d’éducateurs soucieux d’une formation de qualité ont évoqué ce défi réel des livres uniques. Nous aux Éditions Zemès, nous avons dû réduire énormément les contenus des 5 livres originaux pour tenter de respecter cette exigence du MENFP, soit un maximum de 300 pages incluant un cahier d’exercices. 

Cette exigence de nombre de pages correspondait à un des critères de qualification/évaluation de l’offre de l’éditeur. Il nous a été impossible de respecter ce critère que nous avons, par ailleurs, estimé être une marque du nivellement par le bas pour les écoliers haïtiens. Nous comprenons fort bien les contraintes financières du gouvernement haïtien qui d’ailleurs avait aussi fixé un prix maximum pour le livre scolaire de 1 500 HTG par unité. Certains éditeurs ont accepté ces critères du nombre de pages et de prix sans broncher tandis qu’au moins 3 éditeurs, dont Zémès, ont fortement protesté sans résultat, le MENFP maintenant ces deux exigences associées à des points de qualification de l’appel d’offres. 

RB-O : À votre connaissance, le ministère de l’Éducation nationale a-t-il mis sur pied un mécanisme de contrôle de l’implantation du LIV INIK AN KREYÒL dans l’ensemble des écoles du pays et si oui quelles en sont les caractéristiques ?

CT : Les Éditions Zemès ne sont pas au courant de l’existence d’un tel mécanisme. Le ministère a mentionné qu’il allait procéder à une évaluation en cours d’expérimentation. Les Éditions Zémès ont signalé leur intérêt à participer à une telle évaluation. Cependant le MENFP a indiqué qu’un accord de coopération aurait été conclu avec une université haïtienne et que la présence des éditeurs serait une source de conflit d’intérêts.

Puisque les livres ne seront réellement distribués qu’a la prochaine rentrée scolaire, les Éditions Zemès vont reformuler leur intérêt à participer de quelque manière que ce soit à cette évaluation.

RB-O : Sur le registre combien essentiel de la didactique créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? De quelle manière, sur le plan de la didactique créole, le LIV INIK AN KREYÒL se démarque-t-il des ouvrages précédents rédigés en créole depuis environ vingt ans ? Sur le plan de la méthodologie, les rédacteurs du LIV INIK AN KREYÒL disposent-ils d’un protocole unique et normalisé de rédaction du contenu de l’ouvrage ?

CT : Les seules directives sont celles fournies avec l’appel d’offres de production des manuels. À ce titre on peut signaler le dossier d’appel d’offres constitué : du Cahier des charges pour l’élaboration du livre scolaire unique (comportant quelques modalités et suggestions pour l’élaboration), la Charte d’Éthique applicable aux acteurs des marchés publics et des conventions de concession d’ouvrage de service public, les directives pour l’évaluation et l’attribution des offres ».

Synthèse des caractéristiques du LIV INIK AN KREYÒL (version papier et version électronique)

En février 2024, le titulaire de l’Éducation nationale Nesmy Manigat rend visite au journal Le Nouvelliste (voir l’article « Le ministre de l’Éducation nationale visite Le Nouvelliste et présente la version numérique du livre unique », Le Nouvelliste, 21 février 2024). Il présente en ces termes la version numérique du LIV INIK AN KREYÒL 

« C’est une véritable révolution sur le chemin de l’équité et de l’inclusion en Haïti qui permettra à des milliers d’élèves défavorisés d’avoir accès à des contenus multimédias riches dans toutes les disciplines obligatoires du cadre d’orientation curriculaire actuel », a jugé Nesmy Manigat. Pour le ministre de l’Éducation nationale, la version numérique du livre unique est signe « d’un nouvel effort pour offrir une éducation de qualité, à travers des programmes d’étude renouvelés et modernisés à toutes les catégories d’enfants ». (…) « Conçu selon la pédagogie basée sur l’approche par compétence, ce nouvel outil a été mis au point par l’Unité de technologie de l’information et de la communication en éducation (UTICE) ».  [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

Comme nous l’avons rappelé durant la conférence que nous avons donnée via Zoom au PEN CLUB des Gonaïves le 21 février 2024, « Dwa lengwistik tout Ayisyen, dwa pou sèvi ak lang matènèl kreyòl nan tout lekòl ann Ayiti : ki sa Konstitisyon 1987 la di lan sa ? », Haïti est le seul pays au monde à vouloir implanter dans son système éducatif national SEPT VERSIONS DIFFÉRENTES d’un LIVRE UNIQUE EN CRÉOLE élaboré par SEPT ÉDITEURS DIFFÉRENTS. Haïti est le seul pays au monde à vouloir instituer « une véritable révolution sur le chemin de l’équité et de l’inclusion en Haïti », selon Nesmy Manigat, quitte à emprisonner et à ratatiner toutes les matières scolaires dans l’étroitesse d’un livre unique de 300 pages tandis que les élèves du Sénégal, de l’Afrique du Sud, du Canada, de la Martinique, de l’Algérie, de l’Argentine, de la Finlande ou de la Suisse ont à leur disposition des milliers de livres couvrant diverses matières et accessibles dans les bibliothèques scolaires, municipales ou nationales. À titre comparatif, il est utile de signaler que la Bibliothèque Schœlcher, qui est la bibliothèque publique départementale de la ville de Fort-de-France en Martinique, a été inaugurée en 1893. Elle possède un fonds de 130 000 ouvrages incluant un important fonds antillais. Inaugurée en mars 1939 et responsable du dépôt légal des livres à l’échelle du pays, la Bibliothèque nationale d’Haïti comprenait en 2012 environ 60 000 ouvrages. Première bibliothèque patrimoniale du pays et la plus ancienne bibliothèque d’Haïti, la célèbre Bibliothèque haïtienne des Spiritains (BHS) anciennement Bibliothèque haïtienne des Pères du St-Esprit (BHPSE) a été fondée en 1873 par le Père Daniel Weick. Elle compte aujourd’hui 20 000 ouvrages incluant des documents et collections historiques, des fonds d’archives privées, des cartes, etc. Le remarquable site officiel de la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BanQ) répertorie les bibliothèques nationales des États et gouvernements membres ou observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie. Pour la petite île sœur de la Dominique, la BanQ précise que la Bibliothèque publique de la Dominique, membre du National documentation center and public library of Dominica, comprend 50 000 volumes.

« (…) ce qui caractérise principalement la version numérique du LIV INIK AN KREYÒL annoncée par le ministre l’Éducation nationale Nesmy Manigat : cette version numérique n’a pas été élaborée selon les critères d’une politique nationale du livre scolaire –qui n’existe toujours pas au MENFP–, et elle ne s’inscrit pas non plus dans un programme national d’aménagement du créole, aux côtés du français, dans l’École haïtienne. Cette version numérique n’est que la transposition « technique » (la « photocopie ») immuable, figée, de la version papier de l’ouvrage, elle charrie de ce fait toutes les lacunes méthodologiques, pédagogiques et didactiques de cette version papier, elle ne résoud en rien l’échec attesté du LIV INIK qui se décline en 7 VERSIONS DIFFÉRENTES ÉLABORÉES PAR 7 DIFFÉRENTS ÉDITEURS. Contactés par nos soins, des éditeurs de manuels scolaires en Haïti ont bien précisé que le BAT (le « bon à tirer ») qu’un éditeur achemine à l’imprimeur est déjà une version numérisée de l’ouvrage à paraître. D’autre part, sur le plan technique, les professionnels familiers de la production de livres numériques assurent qu’il suffit d’un ordinateur, d’un équipement dédié à la numérisation directe de textes, d’images et de sons (c’est le rôle du scanneur et d’un logiciel dédié) pour obtenir en une demi-journée un « livre numérique » ou une version plus élaborée, un « livre numérique enrichi » d’environ 300 pages… L’on a bien noté qu’il pourrait y avoir (…) « tromperie sur la marchandise » lorsque le MENFP soutient que la version numérique du LIV INIK AN KREYÒL présentée au Nouvelliste « permettra à des milliers d’élèves défavorisés d’avoir accès à des contenus multimédias riches dans toutes les disciplines obligatoires du Cadre d’orientation curriculaire actuel ». La démonstration n’a pas été faite, qui aurait permis de savoir si la version présentée au Nouvelliste le 21 février 2024 est effectivement un « livre numérique enrichi » (en anglais : « enriched ebook », « enhanced ebook ») qui, au plan technique, est le seul dispositif permettant d’avoir accès à des contenus multimédia enrichis nécessitant une connexion à Internet. L’on a gardé en mémoire que la plateforme « PRATIC » –lancée par le ministère de l’Éducation nationale durant la pandémie de Covid 19 et pour l’enseignement à distance–, annonçait elle aussi « l’accès à des contenus multimédias riches dans toutes les disciplines », mais en réalité cela n’a pas été le cas puisque les « experts » de l’Unité de technologie de l’information et de la communication en éducation (l’UTICE) au sein du ministère de l’Éducation n’avaient effectué que du « copier-coller » brut des programmes et des cours… (voir l’article « Le LIV INIK AN KREYÒL, version numérique, ou la permanence du bluff cosmétique au ministère de l’Éducation nationale d’Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, Montréal, le 24 février 2024

Quels ont été les coûts de fabrication du LIV INIK AN KREYÒL ?

En amont de la rédaction du présent article et au fil d’une ample recherche documentaire, nous n’avons pas trouvé le moindre document-synthèse identifiant avec précision la totalité des interventions des institutions internationales dans le système éducatif haïtien au cours des douze dernières années (nombre total, années, objectifs déclarés, montants effectivement décaissés, mécanismes de contrôle d’efficience, audits administratifs et financiers). En lien avec l’inexistence d’un document officiel (états financiers, audits d’états financiers) attestant le montant total des coûts du LIV INIK AN KREYÒL, voici un échantillon d’annonces d’interventions de l’International dans le système éducatif national :

1.     « Le Partenariat mondial pour l’éducation approuve un financement pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti ». « Le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) a approuvé le 22 juin 2021 un financement de 16,5 millions de dollars US pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti à travers le projet Promotion d’un système éducatif efficace en Haïti. » (Source : site du PME/GPE, 4 juillet 2021).

2.     « La Banque mondiale approuve un financement additionnel de 90 millions de dollars américains pour le secteur de l’éducation en Haïti ». (Source : site de la banque mondiale, 7 mars 2022)

3.     « Éducation sans délai » annonce une subvention à effet catalyseur de 11,8 millions de dollars É.-U. consacré à un programme pluriannuel de résilience en Haïti ». (Source : site de l’UNICEF, 3 octobre 2022 – « Éducation sans délai » / « Education Cannot Wait »). 

4.     « Promoting a more Equitable, Sustainable and Safer Education » – « Objectif de développement » [« Promouvoir une éducation plus équitable, plus durable et plus sûre »]. Coût total du projet : 105.60 millions $ USD, approuvé le 25 juin 2021 ; montant engagé : 15.60 millions $US. (Source : site de la Banque mondiale)

5.     « L’UE [l’Union européenne] approuve un financement de 30 millions d’euros en appui au système d’éducation public ». (Source : Le Nouvelliste, 13 juillet 2023)

6. « Le gouvernement Haïtien et l’UE signent une convention de financement du programme « Éducation pour vivre ensemble ». Montant : 18 millions d’Euros. (Source : Délégation de l’Union européenne en République d’Haïti, 13 décembre 2023). 

7.  « Signature du projet Lekòl nou : l’Afd [Agence française de développement] renouvelle son engagement en faveur d’une éducation de qualité en Haïti » (site de l’Agence française de développement, 25 avril 2022) : « Le lancement du programme Avni nou, auquel sera étroitement associé le ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle, signe l’engagement continu de la France en Haïti à travers l’AFD à soutenir les efforts des autorités publiques et de la société civile en faveur d’un système éducatif de qualité en Haïti. Le programme s’élève à 12 millions d’euros, dont 3 millions d’euros pour le projet Lekòl nou, porté par la FOKAL. Avec 37 millions d’euros d’engagements en faveur de l’éducation et de la formation professionnelle en Haïti, l’AFD est le principal bailleur de fonds bilatéral du secteur et confirme la priorité accordée à l’éducation par l’AFD et la France en Haïti ».

  1. « Projet d’appui au plan et à la réforme de l’éducation en Haïti (APREH) ». Montant : 24,250,000.00 USD ; date d’entrée en vigueur : 5 mars 2015 ; durée : 4 ans ; bailleur : Banque interaméricaine de développement (BID).

Cet échantillon d’annonces, qui n’a qu’une valeur illustrative, totalise la somme de 345,15 millions là où, selon des observateurs familiers de la coopération bi/multilatérale, les sommes consenties à Haïti dans le domaine de l’éducation seraient beaucoup plus élevées et auraient franchi le cap du milliard de dollars rien que pour la dernière décennie…

Le LIV INIK AN KREYÒL dans l’engrenage de la corruption au Fonds national de l’éducation 

Dans le déroulé du présent article, nous avons précisé que le Fonds national de l’éducation –organisme d’État placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale selon la Loi du 17 août 2017–, est depuis plusieurs années le terreau fertile d’un vaste système de corruption, de prévarication/détournement de centaines de millions de dollars amassés par le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti pour le compte du FNE. Celui-ci, en raison de sa mission statutaire, a certainement procédé au financement du LIV INIK AN KREYÒL… Toutefois nous n’avons trouvé aucune trace documentaire du financement total du LIV INIK AN KREYÒL, ni sur le du site Web du ministère de l’Éducation nationale ni dans les publications de la Banque de la République d’Haïti ou sur le site Web du Fonds national de l’éducation. En ce qui a trait à la reddition des comptes, l’on observe que le site Web du ministère de l’Éducation nationale et celui du Fonds national de l’éducation ne comprennent aucun état financier, aucun audit des états financiers du projet de LIV INIK AN KREYÒL

En l’absence de la moindre trace documentaire du financement total du LIV INIK AN KREYÒL, nous croyons utile de mettre en perspective ce présumé « outil pédagogique majeur » au regard des transferts d’argent vers Haïti et des taxes prélevées par l’État haïtien sur les appels téléphoniques entrants. Cette mise en perspective est réalisée par la reproduction d’un article fort éclairant de Jr Abellard paru le 26 juillet 2025 sur le site Hebdo24.com, « Transferts en Haïti: plus de 1,4 milliard USD envoyés en Haïti, mais où va‬  l’argent ? »

« D’après les données de la Banque de la République d’Haïti (BRH), la diaspora haïtienne a envoyé un montant colossal de 1,413,248,721.94 dollars américains en Haïti entre octobre 2024 et janvier 2025. Une somme qui témoigne du rôle central des expatriés dans l’économie du pays. Mais que fait l’État haïtien des 15,052,063.50 USD prélevés sur ces transactions ?

Des chiffres qui interpellent

La BRH indique que 9,681,758 transferts ont été reçus en Haïti sur la période analysée, avec une moyenne de 143.31 USD par transaction. La diaspora des États-Unis, en tête de liste, a envoyé 1,100,124,409.68 USD, suivie de la France
(79,448,872.09 USD) et du Canada (74,175,97.95 USD). Même des pays africains ont contribué, avec 483,825.56 USD envoyés par des Haïtiens vivant sur le continent.

Pays expéditeurMontant envoyé (USD)
États-Unis1,100,124,409.68
France79,448,872.09
Canada74,175,97.95
Pays africains483,825.56

Mais Haïti n’est pas seulement un pays qui reçoit de l’argent, il en envoie aussi. Sur la même période, 103,401,380.62 USD ont été transférés vers l’étranger. La République dominicaine est la principale destination (53,969,191.23 USD), suivie
des États-Unis (31,667,661.73 USD) et du Canada (5,790,165.22 USD).

Pays destinataireMontant reçu (USD)
République dominicaine53,969,191.23
États-Unis31,667,661.73
Canada5,790,165.22

Une taxation discrète, mais significative

Si l’État haïtien prélève 1.5 USD par transaction, cela représente un total de 10,034,709 transactions (entrantes et sortantes) pour la période étudiée, soit 15,052,063.50 USD accumulés grâce à cette taxe.

(Nombre de transferts reçus/mois: 9,861,758.00 + Nombre de transferts expédiés/mois : 172,951.00) = 10,034,709.00 * 1.5 = $15,052,063.50.)

La question essentielle demeure : où vont ces fonds ? Jusqu’ici, aucune transparence claire n’a été établie sur l’utilisation de cette manne financière.

Alors que la diaspora continue d’investir dans le pays via les transferts d’argent, il est impératif que l’État haïtien fournisse des réponses et justifie l’usage de cette taxe. Une meilleure gestion et une transparence accrue pourraient renforcer la confiance des citoyens et des expatriés, et transformer ces revenus en véritables leviers de croissance ». (Source : Banque de la République d’Haïti)

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