19 mai 2025
Haïti n’a pas été libérée par la France, elle s’en est affranchie
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Haïti n’a pas été libérée par la France, elle s’en est affranchie

L’Edito du Rezo

Il est dommage que, sans un gouvernement représentatif des idéaux dessaliniens, nous vivions 200 ans d’un des plus grands abus qu’un pays riche ait jamais commis à l’encontre d’un pays qui ne demande qu’à vivre comme tous les êtres humains de la terre.

L’annonce faite ce jeudi 17 avril 2025 par le président français Emmanuel Macron de la mise en place d’une commission mixte franco-haïtienne marque un moment singulier dans les relations tumultueuses entre la France et son ancienne colonie. Deux siècles jour pour jour après la reconnaissance officielle de l’indépendance d’Haïti par la monarchie française — une reconnaissance arrachée au prix d’une rançon inique —, l’Élysée choisit d’engager un processus de relecture conjointe du passé colonial. Que faut-il attendre de cette initiative ? Et surtout, quelles questions fondamentales ne saurait-elle éluder ?

La déclaration présidentielle, prononcée dans un ton conciliant, s’inscrit dans la lignée des récentes entreprises de « diplomatie mémorielle » conduites par Paris, de l’Algérie au Rwanda, avec des fortunes diverses. En évoquant un travail « nécessaire et indispensable », le chef de l’État français prend acte, certes tardivement, de l’impératif de lucidité historique. Il reconnaît surtout ce que les historiens haïtiens et plusieurs générations de penseurs antillais dénoncent depuis longtemps : l’humiliation économique imposée à Haïti en 1825, sous la menace des canons français, et la saignée financière qui en a découlé pendant plus d’un siècle.

À cet égard, il convient de rappeler que le décret de Charles X, conditionnant la reconnaissance de l’indépendance haïtienne au versement d’une indemnité de 150 millions de francs-or, a constitué un précédent inédit et violent dans les relations internationales du XIXe siècle. Cette dette dite « de l’indépendance » fut restructurée à plusieurs reprises, jusqu’à son remboursement définitif au milieu du XXe siècle. Elle a privé Haïti des ressources nécessaires à la consolidation de ses institutions et à son développement économique, tout en enrichissant les banques françaises.

La commission annoncée aujourd’hui ne pourra faire l’économie de cette réalité. Mais que pourra-t-elle réellement proposer ? Une restitution financière ? Une reconnaissance formelle de la dette morale ? Des excuses officielles ? Autant de pistes encore impensées dans le discours officiel français, où les gestes mémoriels s’arrêtent souvent aux seuils du symbolique.

En outre, l’asymétrie persistante entre les deux pays interroge la portée de cette entreprise. Quel rôle laissera-t-on aux intellectuels, aux historiens, aux sociologues haïtiens dans la conduite de ces travaux ? Comment garantir l’égalité épistémique dans un dialogue encore trop souvent balisé par les cadres de pensée hexagonaux ? La mémoire coloniale ne saurait être déconstruite depuis Paris seul, même dans les salons feutrés de la République.

Haïti, dans son indépendance conquise au prix du sang et de l’audace révolutionnaire, demeure une anomalie fondatrice pour les puissances impériales. Comme l’écrivait C.L.R. James, « la Révolution haïtienne fut la première à faire tomber l’ordre esclavagiste dans le monde atlantique ». Toute entreprise mémorielle devrait partir de cette vérité : Haïti n’a pas été libérée par la France, elle s’en est affranchie.

L’initiative d’Emmanuel Macron, si elle veut éviter l’écueil des gesticulations symboliques, devra ouvrir un espace de vérité et de confrontation critique. Il ne s’agit pas seulement de bâtir « un avenir plus apaisé », mais de reconnaître les fondements inégaux sur lesquels s’est édifiée la modernité occidentale. Haïti, longtemps reléguée aux marges des récits historiques dominants, pourrait ainsi reconquérir sa centralité dans l’histoire mondiale de l’émancipation.

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