Haïti : Canapé Vert, Pétion-Ville, Delams, Débussy… se soulèvent contre un pouvoir accusé de dérive et d’inaction et de proximité avec les gangs terroristes criminels.
Mercredi 2 avril s’annonce comme un tournant. Baptisé « mercredi noir pour débloquer Haiti » par ses instigateurs dont des analystes politiques de « Matin-Débat », ce jour pourrait marquer une nouvelle étape dans la contestation populaire contre le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), accusé de corruption, de passivité face aux gangs, et de faillite totale dans la gouvernance du pays, exactement un an.
Depuis les premières heures de la matinée, une marée humaine se forme à Canapé Vert. Aux abords de la place publique, les manifestants, visiblement déterminés, s’apprêtent à entamer une marche de protestation contre l’équipe gouvernementale en place, près d’un an après son accession au pouvoir. Leur objectif : envoyer un signal fort à ce Conseil de transition composé de neuf membres, auquel ils reprochent non seulement une gestion erratique des affaires de l’État, mais aussi une complicité présumée avec les groupes armés qui terrorisent les populations civiles dans la capitale et au-delà.
La contestation ne date pas d’hier, mais elle semble prendre un tournant décisif. À Canapé Vert tout comme à Pétion-Ville et d’autres agglomérations, les habitants dénoncent la transformation progressive de leur quartier en « territoire perdu », expression désormais couramment utilisée dans le discours populaire pour désigner les zones sous le contrôle ou l’influence des gangs. L’exaspération atteint un point critique. Ce mercredi, les manifestants entendent « reprendre leur destin en main », dans un contexte où l’État paraît désincarné et les institutions, déliquescentes.
Les griefs sont nombreux. Les organisateurs du mouvement rappellent que le CPT, au pouvoir depuis un an, – avec pour seul objectif l’imposition d’un referendum-bidon inconstitutionnel – n’a cessé d’alimenter les soupçons de corruption et d’inefficacité. Les appels à la transparence sont restés lettre morte, tandis que les opérations de sécurité, pourtant promises à plusieurs reprises, par le Premier ministre de facto Alix Didier Fils-Aimé, n’ont jamais permis de restaurer un ordre durable. La situation sécuritaire s’est même gravement détériorée, alimentant une crise humanitaire d’une ampleur sans précédent depuis le tremblement de terre de 2010.
L’État en échec face à l’emprise des gangs
Ce qui exacerbe encore davantage la colère des manifestants, c’est l’impression d’une forme de passivité — voire de connivence — entre les autorités et les groupes criminels. Le mouvement citoyen baptisé « Débloquer Haïti », né dans les quartiers de Canapé Vert après tant de résistance aux assauts répétés des gangs, a accusé ouvertement le gouvernement d’avoir « remis les clés de la ville aux gangs », une formule aussi symbolique que violente dans le contexte haïtien actuel.
L’inaction policière est également pointée du doigt. Bien que les forces de l’ordre aient annoncé avoir pris des dispositions pour « encadrer » la manifestation, de nombreux observateurs craignent que cela ne signifie en réalité une tentative de l’étouffer. La méfiance envers les corps de sécurité, eux-mêmes infiltrés ou affaiblis, est à son comble. Ce climat de tension est d’autant plus palpable qu’en début de semaine, le chef du commissariat de police du département du Centre a été remplacé, conséquence directe des affronts violents subis par ses agents lors d’une attaque de gangs lundi dernier, au lever du jour.
Une manifestation à l’issue incertaine
Personne ne sait exactement comment cette journée va se terminer. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le mouvement qui prend racine à Canapé Vert dépasse désormais le cadre local. Il traduit un ras-le-bol généralisé d’une population qui se sent abandonnée, trahie, et livrée à elle-même depuis plusieurs années. La question qui se pose désormais est la suivante : ce « mercredi noir » débouchera-t-il sur un sursaut politique ou sur une répression brutale ? Le pari reste ouvert.