Haïti, la transition de l’abîme : l’art consommé du détournement de haute volée
Dans l’interminable fresque de la corruption haïtienne, où la tragédie flirte toujours avec la farce, voici qu’un nouvel épisode vient enrichir la saga du pillage institutionnel. Haïti debout, proclamaient-ils ! Un slogan que l’on aurait voulu porteur d’une résilience nationale, mais qui s’est révélé n’être qu’un pied de nez ironique à une nation trop souvent à genoux devant l’avidité de ses élites. Le carnaval national, cette catharsis populaire où le peuple cherche à oublier sa misère, a été purement et simplement annulé – du moins sur le plan officiel. Car si les festivités n’ont pas eu lieu, les fonds, eux, ont bel et bien été décaissés. Dans un tour de prestidigitation devenu une tradition d’État, les millions destinés aux réjouissances se sont volatilisés, absorbés par les failles insondables d’une administration où l’éthique n’est qu’un concept folklorique.
Le plus emblématique de ce détournement en règle se nomme Dr. Friedland-Joseph, figure désormais centrale d’une affaire qui, sans surprise, suscite plus d’indignation que de conséquences. Il aurait – selon toute vraisemblance – gardé pour lui seul la modique somme de 19 millions de gourdes, promettant en retour une manifestation alternative, un Mercredi de la grâce. Mais point de mercredis enchantés, ni de festivités compensatoires. L’argent s’est volatilisé dans un silence assourdissant, et l’on ne sait trop si la grâce promise relevait de la mystique ou du mirage administratif. Ce n’est pourtant pas une innovation : en Haïti, la politique est un théâtre où les promesses ne sont que des décors peints sur un fond d’abîme.
Mais qu’on se garde bien de croire que ce docteur en disparition de fonds agit seul ! Car la véritable performance de cette mascarade réside dans sa dimension collégiale. D’autres membres du Conseil présidentiel de transition seraient impliqués dans cette œuvre collective où l’opacité est une vertu cardinale. Les millions s’égrènent, disparaissent, s’évaporent, et l’on ne saurait dire si c’est un acte de magie noire ou une démonstration éclatante du savoir-faire haïtien en matière de dilapidation des ressources publiques. Le Conseil, entité hybride née d’un compromis douteux, n’est pas constitutionnel, pas élu, pas légitime – mais d’une redoutable efficacité lorsqu’il s’agit de faire disparaître l’argent de l’État. Voilà une administration qui, bien qu’illégale, excelle dans la reproduction fidèle des vices du pouvoir établi.
Et comme si cette satire administrative ne suffisait pas, voici que ressurgit l’énigme du projet aéroportuaire de Caïs. Un aérodrome que l’on prétendait transformer en aéroport international, mais dont le coût des travaux demeure un mystère aussi épais que les brumes qui couvrent les finances publiques haïtiennes. Où sont les documents ? Où sont les contrats ? Quel est le montant réel des investissements ? Silence radio. Les archives, comme les caisses de l’État, sont désespérément vides. Les dirigeants haïtiens auraient-ils absorbé une potion d’invisibilité, rendant toute information transparente aussi insaisissable que la fortune détournée ?
Il y a dans cette répétition de l’opacité une forme de mépris absolu pour la nation. Non contents d’usurper le pouvoir, ces gestionnaires d’exception s’imaginent désormais en architectes du destin national, projetant d’organiser un référendum, comme si leur parole pouvait encore avoir valeur de loi. Peut-on décemment confier à des hommes de l’ombre le soin de façonner l’avenir d’un pays ? Doit-on tolérer que ceux qui s’enrichissent dans le plus grand secret décident du cadre démocratique de demain ? L’urgence n’est plus à la patience, ni aux indignations stériles. Les dirigeants doivent rendre des comptes, non dans un avenir hypothétique, mais immédiatement. Que les architectes de cette mascarade viennent expliquer, pièces comptables en main, ce qu’ils ont fait de l’argent du carnaval, des fonds de l’État, et du peu de confiance qu’il leur restait. À défaut de voir Haïti debout, que cesse au moins cette tradition de la chute orchestrée.
source : Radio Mega (Booster)