Le président dominicain, Luis Abinader, vient de décréter les gangs haïtiens comme des « terroristes », une déclaration qui, bien que conforme à une rhétorique sécuritaire attendue, est curieusement sélective dans son approche. Il condamne sans détour les groupes armés qui sèment la terreur en Haïti, mais omet soigneusement de mentionner ces autres « gangs »—les élites économiques et politiques qui financent, arment et exploitent ces milices en mission « commandée » jusqu’a et au-dela de l’organisation d’un referendum-bidon prevu depuis 2020. En agissant ainsi, M. Abinader s’inscrit dans une logique paradoxale : reconnaître un symptôme sans jamais interroger les causes profondes ni les acteurs invisibles qui en tirent profit.
La terminologie de « gangs terroristes » n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée à maintes reprises par divers acteurs haïtiens depuis le régime défaillant d’Ariel Henry. Les observateurs avisés de la crise haïtienne savent depuis longtemps que ces groupes armés ne sont pas simplement des forces anarchiques, mais bien des milices agissant sous des mandats dissimulés. L’insécurité, loin d’être une fatalité, est une dynamique programmée, entretenue par des forces qui dépassent les exécutants visibles. En cela, le décret d’Abinader, bien que fort en apparence, est en réalité anachronique et limité dans son ambition analytique.
Un Communiqué Bienvenu, Mais à Sens Unique
Si une telle déclaration était faite par les autorités haïtiennes elles-mêmes, elle pourrait résonner comme une prise de position courageuse à l’égard de la classe dirigeante actuelle, qui demeure incapable d’assurer la sécurité du pays. Pourtant, le paradoxe demeure : comment un président étranger peut-il dénoncer l’insécurité d’Haïti sans jamais évoquer les véritables commanditaires ? Un décret crédible aurait dû, à minima, reconnaître l’existence des « gangs à cravate » qui prospèrent sur le chaos haïtien, certains trouvant même refuge et influence en République dominicaine. M. Abinader, dont les services de renseignement sont réputés efficaces, n’ignore pourtant pas cette réalité.
En stigmatisant uniquement les gangs armés ‘a sapat« , le président dominicain évite soigneusement d’évoquer les puissants financiers et politiciens qui orchestrent cette violence à distance. Selon une certaine commission de désarmement, au moins onze familles haitiennes influentes seraient impliquées dans l’entretien de cette dynamique criminelle. Dès lors, pourquoi M. Abinader se limite-t-il à condamner les exécutants et non les instigateurs ? L’approche sélective du décret questionne ainsi son véritable objectif : est-ce une posture diplomatique pour légitimer une politique migratoire plus dure envers les Haïtiens ? Une volonté de détourner l’attention des complicités internes à la République dominicaine ?
Le décret du président Abinader aurait gagné en crédibilité s’il s’était interrogé sur la provenance des armes et munitions qui alimentent ces groupes criminels. Les faits sont pourtant clairs : ces armes ne sont ni produites en Haïti ni directement importées par les malfrats eux-mêmes. De nombreux rapports internationaux désignent la République dominicaine comme une plaque tournante du trafic d’armes vers Haïti, avec l’implication présumée d’anciens militaires dominicains. Dès lors, comment concilier l’indignation affichée du président dominicain avec la réalité des flux d’armes traversant son territoire ? L’éradication des gangs haïtiens ne saurait se limiter à une dénonciation rhétorique sans s’attaquer aux structures qui les arment et les financent.
Qui Détient Véritablement l’Étiquette du Terrorisme ?
Qualifier les gangs haïtiens de « terroristes » est une vérité partielle qui, en occultant les autres acteurs du chaos, devient une déformation stratégique de la réalité. Oui, ces groupes armés terrorisent la population. Mais leur existence même repose sur des appuis logistiques, financiers et politiques, souvent dissimulés derrière des façades respectables. En ne désignant que les exécutants, M. Abinader participe à une opération de communication plus qu’à une véritable analyse des dynamiques criminelles qui rongent Haïti et, par extension, menacent aussi la stabilité de la République dominicaine. Lutter contre l’insécurité implique une approche holistique : dénoncer les exécutants sans toucher aux commanditaires revient à perpétuer un cycle de violence dont les véritables bénéficiaires demeurent impunis.