L’Université d’État d’Haïti (UEH) se démarquait jusqu’au 14 août 2024 comme la seule grande institution de l’État coiffée encore par des élus légitimes à sa tête. L’alma mater de quasiment tous les prestigieux universitaires haïtiens – une masse critique intellectuelle en léthargie – aurait été catapultée à monter le train de la caducité qui met en boite toutes les institutions politiques du pays. En d’éventuels appétits concupiscibles nourris par des chantages et des stratagèmes mafieux pour plausiblement attirer des promesses indues et des pots de vin des potentielles mains de vilains des recteurs et vice-recteurs irresponsables, les membres votants du Conseil de l’UEH emboîtent le pas aux mêmes pratiques mesquines du Parlement haïtien. Par cette manœuvre à faire échouer les opérations électorales, les représentants absents auraient donné raison aux critiques qui croiraient qu’ils cherchent des négociations sous le tapis. Dans certains cas, les représentants de ce Conseil sont issus d’un système de cooptation intra-facultaire où le marchandage y fait rage. Du train que ça va où les dignitaires sans autorité constitue la mode en Haïti, espérons que l’UEH ne sera pas l’ultime victime consentante en s’identifiant à ce statut d’une entité ingouvernable prise en otage par des dirigeants illégitimes.
Dans un premier temps, la Commission électorale avait reporté les élections des nouveaux membres du Conseil de l’université (CU) au 15 décembre 2024. Probablement, le contexte sécuritaire délétère du mois de décembre avait imposé un nouveau report. Faute du quorum des deux-tiers, un critère si fragile pour le mastodonte UEH dont le Conseil ne compte que 36 membres, les élections programmées au 9 février dernier n’ont pas pu être réalisées. En référence à la cible de 36 représentants, étaient présents à ce rendez-vous électoral moins de 2/3 des membres dont la totalité ne peut même pas figurer sur la liste électorale. La caducité d’un ensemble de doyens élus des facultés de l’UEH – du coup non habilités à voter – a rendu l’atteinte du quorum plus difficile. Lesdites élections renvoyées à la huitaine – au 16 février – n’ont toujours pas été effectives suivant le même prétexte d’un quorum non observé qui pourrait définitivement se résumer dans une boucle infinie.
La Commission électorale n’a toujours pas délivré en aboutissant à un nouveau conseil à la tête de l’université après six mois de liquidation des affaires courantes assurées par le Conseil actuel. Plusieurs professeurs, aptes à plonger dans les arcanes des collusions secrètes entre représentants actuels, candidats et électeurs, y ont perçu un scandale de manipulation viciée dont le recteur en titre serait le principal artisan. Ils jugent que des membres du Conseil, hypothéquant le déroulement normal du processus électoral, sont au service du recteur Fritz Deshommes. Le leadership du recteur actuel est sévèrement critiqué par nombreux de ses pairs enseignant à l’université. Après deux décennies aux prestigieux postes de vice-recteur à la recherche et de recteur de l’UEH, le bilan de Fritz Deshommes est jugé décevant.
Les solutions aux tribulations des peuples émanent fort souvent de la société civile et particulièrement des institutions élitistes telles que l’église, les partis politiques crédibles et surtout l’université. Jean Price Mars et bien d’autres illustres figures politiques et intellectuelles ont signalé la portée de la noble vocation de l’élite pour assurer un meilleur destin au profit de la collectivité. Dans ce contexte d’un désespoir extrême de la jeunesse haïtienne, la prestigieuse UEH devrait jouer un rôle décisif tout en inspirant la société à déployer des mécanismes efficaces pour sortir du labyrinthe. Pourtant, c’est en ce moment crucial où les crises sociétales sont multiples que l’Université d’État d’Haïti entreprend un jeu mesquin mélangé de puérilité et de vilenie qui ternit davantage son image.
Pourquoi l’organisation des élections à l’UEH demeure-t-elle si fragile ? Quelles meilleures alternatives aurait pu adopter cette noble institution publique de formation supérieure pour garantir confiance et crédibilité dans ses élus ? Comment l’UEH peut-elle mieux s’impliquer socialement afin d’accompagner les institutions régaliennes dans la bonne gouvernance du pays ? Dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, l’UEH ne devrait-elle pas faire usage des nouvelles approches technologiques pour dégager de l’efficience dans sa production de service ? Fondé sur une approche de promotion d’efficience et de transparence, cet article tente de proposer des pistes de solutions qui encouragent la production de services publics efficaces ainsi qu’une meilleure représentativité des plus hauts fonctionnaires de l’UEH.
Urgence d’une université socialement proactive
Au sein des sociétés modernes, les réflexions profondes sur les enjeux qui conduisent à l’implémentation des propositions et des recherches solides sont l’émanation de l’université. C’est grâce à la Stanford que les technopoles de la Silicon Valley ont connu leur remarquable expansion technologique et économique dans le monde. Les remèdes contre les maladies et les vaccins contre les pandémies, comme cela a été récemment le cas pour la Covid, proviennent notamment des institutions universitaires. La recherche universitaire est d’une importance capitale pour le développement et l’amélioration de tout système concurrentiel. Celle-ci doit être pertinente au sens où elle se doit de contribuer à la compréhension et l’analyse des faits politiques, économiques et sociaux en vue de mieux assurer la bonne gouvernance. Tandis que l’université devrait en permanence influencer les décisions de société avec justesse, l’université haïtienne a raté l’opportunité de faire jaillir la lumière sur plusieurs thématiques qui concernent le bien-être des générations présentes et futures.
Quand des doutes et des points d’ombre surgissent à propos des faits sociaux, il incombe à l’université de mener des investigations pour clarifier les situations, en soumettant des consultations aux gouvernants. Plusieurs sujets brûlants d’ordre national et transnational devaient interpeller l’université afin de faire jaillir la lumière sur des zones d’ombre. Les vagues migratoires, entraînant une fuite massive des cerveaux, sont censées être d’intérêt pour l’université. L’université haïtienne ne devait pas rester si muette face aux exploitations et aux crimes coloniaux et transnationaux qui impliquent des acteurs locaux et internationaux. Par exemple, un scepticisme profond est exprimé à propos de la présence de métaux précieux en Haïti tels que l’iridium, les terres rares, la bauxite et l’or, dont l’exploitabilité économique est remise en question. Peu d’études, soufrant de crédibilité d’ailleurs, ont été réalisées sur la problématique minière en Haïti. Celles-ci sont particulièrement réalisées de concert entre des institutions internationales et le Bureau des Mines et de l’Energie (BME). Ces institutions multilatérales qui financent les études du BME poursuivent leurs propres intérêts, ce qui susciterait alors des doutes raisonnables quant à la véracité des conclusions de ces recherches.
En raison de son indépendance, les études menées par l’université auraient plus de notoriété ; elles seraient considérées plus crédibles. Cependant, dans les contextes de confusion où l’université haïtienne devrait jouer un rôle avant-gardiste, elle reste trop souvent silencieuse. Au lieu de percevoir ce mutisme comme un comportement bénéfique pour l’image de l’institution de recherche, il entraîne plutôt une perte de notoriété. « You know something, you say something ». L’université aurait dû prendre position sur le plan scientifique dans les situations conjoncturelles et structurelles qui ont déstabilisé le pays. Pour une meilleure appréhension de l’élite économique haïtienne, certaines oligarchies méritent d’être étudiées à la loupe, par l’université. L’université ne se dérogerait pas de ses fonctions si elle choisissait d’élucider les liaisons mafieuses des contrebandiers économiques avec les « entrepreneurs politiques » épinglés dans les crimes transnationaux. Ce n’est pas logique que l’université ne produit pas des recherches sur les scandales de sanctions et de confiscations des richesses mal acquises imposées par des institutions internationales et des pays étrangers. L’université a un rôle fondamental à jouer pour inciter les institutions à procéder à l’étape du recouvrement de tels fonds confisqués, comme le souhaitent les conventions de l’ONU.
Alors que les médias encore moins le béton ne détiennent pas toujours la capacité de déceler la vérité sur des problématiques complexes, l’université fait l’autruche en brillant par sa cécité et son mutisme sur les questions de société. L’université a raté de produire des analyses approfondies sur des sujets pertinents tels que la mauvaise gestion des fonds de la Commission Interministérielle de Reconstruction d’Haïti (CIRH) et ceux du PetroCaribe. Au lieu d’être perçu comme un sujet à éviter, l’université aurait dû saisir la crise du PetroCaribe comme une opportunité pour prouver son apport substantiel dans les affaires publiques du pays. À travers des recherches bien documentées, l’université devait pouvoir apporter de la matière consistante aux démarches de justice et de récupération de ces fonds qui devaient stimuler le développement économique du seul pays pauvre de l’Hémisphère Nord.
Loi des grands nombres, pour une confiance dans les élections
La vérité des urnes se trouve dans un nombre significatif de votants. Plus la taille de l’échantillon est grande, plus l’échantillon est représentatif de la population. Ce qui garantit des estimations plus précises, avec de marges d’erreur réduites. La loi des grands nombres suggère que, dans une élection avec un grand nombre de votants, les résultats finaux tendent à refléter la vérité des votes. Plus la base électorale est large, moins la concurrence est entachée de biais et de corruption de telle sorte que les résultats reflètent effectivement la volonté de la majorité. A contrario, un nombre restreint de votants constitue un mauvais présage pour des résultats crédibles. On se souvient par exemple des scandales provoqués par les élections présidentielles au second degré réalisées en 2016 par le Parlement haïtien pour placer Jocelerme Privert à la présidence du pays. Étant donné le vide présidentiel, cette option quoique décriée a été en quelque sorte un « Second Best » en comparaison avec des suffrages universels.
L’Université d’État d’Haïti (UEH) opère depuis 1997 sous l’égide d’un ensemble de dispositions transitoires, vielles alors de plus de 25 ans. À l’époque de l’édition de tels statuts de fonctionnement de l’UEH, qui devait avoir l’espérance de vie d’une mouche éphémère, l’usage de l’ordinateur était à peine visible dans la gestion des dossiers des facultés. La communication entre les entités de l’université n’était pas assurée via l’internet. Haïti fonctionnait sous le spectre d’un système archaïque au point que les entreprises ne s’inquiétaient même pas du bug de l’an 2000. Cette transition digitale avait choqué le monde technologique qui devait donc embaucher une pléthore de programmeurs pour triompher du Y2K. Haïti pouvait dormir sur ses lauriers parce qu’elle était toujours à la phase de la lampe « tèt gridap ». En 2025, l’absence de source énergétique pour assurer des productions de masse n’est toujours pas adressée avec sérieux.
Aujourd’hui, c’est à travers toute la planète que le digital a supplanté l’artisanal. La disparition de la dactylographie témoigne de l’ampleur de la vitesse de la technologie pour accaparer les espaces de productions administratives et scientifiques. Les fichiers stratégiques sont gérés à travers le « Cloud ». Aucune université de l’ère moderne ne peut donc se cloitrer dans une fausse zone de confort en continuant de procéder à une gestion des fichiers des étudiants et du corps professoral en dehors d’une approche numérique. Pour ce qui concerne l’UEH, il existe bien des pratiques et des références surannées au regard des dispositions transitoires qu’il convient de modifier, sans délai. Une adoption des démarches innovantes pour s’adapter aux nouveaux défis de la globalisation n’est plus une option, mais une obligation. L’Université haïtienne doit se moderniser tant dans ses techniques de transmission du savoir que dans ses méthodes d’organisation des élections pour renouveler ses membres de décanat et du conseil exécutif.
Plaidoirie pour des élections inclusives et représentatives
L’UEH est constituée d’un personnel riche de plus de 30 000 étudiants et plus de 1 500 professeurs, sur quelle base alors un groupuscule de onze professeurs, onze étudiants et onze doyens peuvent-ils détenir le pouvoir exclusif d’orienter les dossiers de l’UEH ? Cet échantillon si restreint est loin d’être représentatif de la population professorale et estudiantine pour bien incorporer dans les agendas les desideratas de plus de trente-mille étudiants et plus d’un millier de professeurs. De plus, les représentants dotés du privilège exclusif de désigner les recteurs et vice-recteurs pour piloter la politique de l’université ne proviennent que de onze entités de l’UEH, ignorant ainsi l’existence de l’Université de Limonade et des facultés et écoles de Droit et des Sciences économiques des provinces.
L’Université d’État d’Haïti (UEH) ne peut continuer à violer le principe de la vision inclusive qui offre incontestablement des résultats socialement avantageux tout en promouvant la réduction des inégalités et l’amélioration de la performance des systèmes organisationnels. L’UEH ne se réduit pas aux onze facultés logées dans l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince. L’UEH est également constituée du Campus Henry Christophe de Limonade (CHCL) et des facultés et écoles de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves, de Jacmel, du Cap, des Cayes, etc. Ne pas intégrer toutes les structures dans les décisions de la gouvernance de l’UEH constitue non seulement une ostracisation mais aussi un facteur d’inefficacité.
Quand l’UEH fait fi des autres entités sous sa tutelle en les écartant de la possibilité de participer activement à la désignation de ses dirigeants, elle les traite de manière discriminée, en enfants pauvres. Ce qui est contraire au crédo universitaire. Cette manière dédaigneuse de considérer des entités coiffées par une seule et même structure est une source de frustration qu’il faudrait assainir dans la célérité. Une dynamique teintée d’inclusion et de diversité profite toujours à tout le monde tout en rehaussant l’efficience au sein de l’institution. L’intégration des structures universitaires provinciales dans les grandes décisions universitaires promet d’apporter des éléments de réflexions additionnelles que l’UEH risquerait de louper.
Il y a nécessité de revisiter la charte électorale de l’UEH en l’adaptant aux réalités du moment. Pour sortir de la crise électorale actuelle, il serait conseillé de réaliser un vote hybride en offrant l’option de la présence en ligne à ceux qui ne peuvent pas se présenter au site pour des raisons justifiées à l’avance. À plus long terme, idéalement à la fin du mandat du nouveau conseil, des suffrages universels paraissent mieux appropriés, question de soigner la réputation de l’institution à travers la promotion de la diversité et de la cohésion sociale.
Ce modèle intégré ne relèverait pas d’une pensée originale à l’UEH dans la mesure où ce système électoral est en vigueur dans un ensemble de ses entités. C’est le cas par exemple de l’INAGHEI qui applique un modèle électoral qui attribue des quotas différenciés aux votes des étudiants, des professeurs et du personnel administratif. Le Conseil de l’UEH aurait pu appliquer une méthodologie similaire. En plus d’intégrer toutes les entités, il éliminerait les risques de proximité douteuse entre candidats au Conseil, professeurs et étudiants représentant des facultés.
En alignant ses pratiques sur les exigences de la modernité, l’UEH permettrait à ses représentants de jouir de plus de crédibilité auprès de la famille académique, auprès des entreprises locales et également au niveau des partenariats internationaux. C’est à travers des scrutins à caractère inclusif, susceptible de diminuer le poids du copinage, que l’exposé des programmes académiques des candidats aurait vraiment du sens. Dans cette compétition électorale fragile, puisque caractérisée par un nombre de votants très restreint « Que le meilleur gagne » devient un slogan creux. Des élections crédibles à l’UEH, répondant aux critères d’objectivité, devraient intégrer toutes les entités de l’UEH, de la capitale ainsi que du « pays en dehors ».
Carly Dollin