M. Miroslav Jenča est-il conscient que, bien avant le renouvellement de sa demande, des dizaines de missions similaires ont foulé le sol haïtien, laissant derrière elles peu de traces, sinon le changement de leurs appellations ? Telle était la réflexion mordante d’un leader des droits humains à la veille de cette réunion spéciale du Conseil de sécurité sur Haïti, ce mercredi 20 novembre 2024. Dr Josué Renaud, un militant patriotique aguerri par des décennies d’observations critiques, soulignait déjà l’inutilité apparente de ces assemblées internationales où les résolutions se succèdent sans jamais inverser le sort tragique du peuple haïtien.
Le discours de M. Miroslav Jenča s’inscrit dans un cadre hautement chargé de symbolisme, prononcé au lendemain de la commémoration du 221ᵉ anniversaire de la glorieuse Bataille de Vertières. Cet affrontement décisif, ultime chapitre de l’épopée révolutionnaire haïtienne, scella la chute définitive de l’esclavage imposé par la France et consacra Haïti comme la première République noire indépendante de l’Histoire. Plus qu’une victoire militaire, Vertières représenta un cri d’émancipation universel, jetant les bases des luttes abolitionnistes à travers le monde.
Pourtant, cette célébration d’une souveraineté conquise au prix du sang et de la bravoure s’oppose de manière tragique à la réalité contemporaine. Aujourd’hui, le sort d’Haïti, jadis symbole de liberté et de résistance, est à nouveau suspendu aux décisions prises loin de ses terres, dans les couloirs feutrés de New York. Ce contraste cruel entre un passé héroïque et un présent de dépendance met en lumière les défis pressants auxquels la nation fait face, tout en rappelant l’urgence de préserver l’esprit indomptable de Vertières.
Cette allocution évoque l’échec cuisant du déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MSS), une initiative conçue pour répondre à l’appel désespéré de Ariel Henry, un « con »- (à la manière de Macron)- au service de la communauté internationale. Malgré des contributions significatives de nations engagées telles que le Kenya, les Bahamas, le Belize et la Jamaïque, et des contributions financières de puissances telles que le Canada, la France, l’Allemagne et les États-Unis, la mission reste dans un état d’inachèvement flagrant.
À peine 400 des 2 500 personnes promises ont été déployées, ce qui témoigne d’une disproportion manifeste entre l’ambition affichée et les ressources réellement allouées. Cette insuffisance ne fait que souligner les limites d’un engagement international trop souvent prisonnier de ses propres lenteurs bureaucratiques, et contraste cruellement avec l’urgence des défis sécuritaires auxquels Haïti est confronté. Les nobles intentions se heurtent à la réalité d’un soutien inadapté, révélant les failles d’un système conçu pour soulager une nation exsangue.
Cette situation expose la fragilité de l’autorité de l’État haïtien, passés pour des « cons », aux yeux de la France, déjà minée par des gangs armés et par une Police nationale haïtienne (PNH) aux ressources limitées. Miroslav Jenča souligne le risque d’un effondrement total des institutions de sécurité, ce qui rendrait les opérations internationales et le soutien humanitaire encore plus précaires.
Appel à une transformation en opération de maintien de la paix :
En effet, cette intervention évoquait une demande pressante et de plus en plus insistante de transformer la Mission multinationale d’appui (MMA) en une véritable opération de maintien de la paix sous l’égide des Nations unies. Cette demande, relayée aussi bien par d’anciens dignitaires que par des figures actuelles de la gouvernance haïtienne, reflète l’urgence palpable d’une réponse internationale non seulement plus ambitieuse, mais aussi plus concertée et plus efficace.
Cependant, au cœur de cette proposition se trouve une question fondamentale : celle de la souveraineté nationale. Si une telle transformation peut être porteuse d’une solution à la crise sécuritaire, le risque est réel qu’elle soit perçue comme un retour à la tutelle d’antan. Ce spectre de la dépendance, qui résonne avec les pages sombres du passé colonial et néocolonial d’Haïti, pourrait donner lieu à des débats passionnés, ravivant les craintes d’une intrusion internationale au détriment de l’autodétermination d’un peuple dont l’histoire est marquée par des luttes héroïques pour la liberté.
M. MIROSLAV JENČA
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SOUS-JOINT POUR EUROPE, ASIE CENTRALE ET AMÉRIQUES DÉPARTEMENTS POUR LA CONSTRUCTION POLITIQUE ET DE LA PAIX AFFAIRES ET OPÉRATIONS DE PAIX
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20 novembre 2024
Madame la Présidente,
Le début du déploiement, le 25 juin, de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) autorisée par ce Conseil a marqué une étape importante dans la réponse internationale à la demande d’assistance d’Haïti. Cet effort multinational a été rendu possible grâce aux contributions en personnel du Kenya, qui dirige la mission, des Bahamas, du Belize et de la Jamaïque. En outre, les contributions financières volontaires, l’équipement et le soutien logistique des pays donateurs, notamment le Canada, la France, l’Allemagne et les États-Unis, ont été cruciaux. Cependant, avec un peu plus de 400 personnels actuellement déployés sur les 2 500 initialement prévus, le MSS reste dans sa phase de déploiement et ne parvient pas à démontrer tout son potentiel. Le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour le MSS ne dispose que d’un montant promis de seulement 96,8 millions de dollars. Il en faut beaucoup plus. Et c’est nécessaire maintenant.
Pour remplir pleinement le mandat du MSS et atteindre la force envisagée, les donateurs internationaux et les contributeurs de personnel doivent intensifier leurs efforts immédiatement. Sans une augmentation substantielle et soutenue des contributions volontaires des États membres, il existe un risque réel que le MSS ne soit jamais entièrement équipé, pleinement déployé ou capable de maintenir son soutien à la Police nationale haïtienne.
Malgré l’ampleur des défis, la Police nationale haïtienne persiste et continue de mener des opérations anti-gangs. Cependant, ils sont confrontés à d’importantes pénuries de ressources humaines, matérielles et financières, ce qui rend difficile la pérennisation de leurs succès opérationnels. Tout nouveau retard ou toute lacune opérationnelle dans la fourniture d’un soutien international en matière de sécurité à la Police nationale haïtienne, que ce soit par le biais du MSS ou de l’assistance bilatérale, présente un risque catastrophique d’effondrement des institutions de sécurité nationale. Cela pourrait conduire à un effondrement complet de l’autorité de l’État, rendant intenables les opérations internationales et le soutien aux Haïtiens dans le besoin dans le pays.
Une telle issue serait inexcusable pour le peuple haïtien, qui s’est déjà beaucoup trop endurci.
Excellences,
Dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU le 26 septembre, l’ancien président du Conseil présidentiel de transition, M. Edgard Leblanc Fils, a appelé à l’ouverture d’une discussion sur la transformation de la mission MSS en une opération de maintien de la paix de l’ONU. Son successeur à la présidence tournante, M. Leslie Voltaire, a réitéré cette demande dans une lettre adressée au Conseil de sécurité le 21 octobre, appelant à la transformation du MSS dans les plus brefs délais. Une résolution adoptée par le Conseil permanent de l’Organisation des États américains le 13 novembre a exhorté le Conseil de sécurité à soutenir de toute urgence la demande d’Haïti visant à transformer la mission MSS en une opération de maintien de la paix des Nations Unies.
Les discussions en cours au Conseil de sécurité sur l’engagement international en faveur de la sécurité et de la stabilité d’Haïti pour réussir la MSS soulignent la nécessité pour le gouvernement haïtien et la communauté internationale d’avoir une vision à long terme.
Le Secrétaire général exhorte les membres du Conseil à maintenir l’approche unifiée démontrée lors de l’adoption des récentes résolutions concernant Haïti.
Ce qu’il faut, c’est une augmentation considérable du soutien international en matière de sécurité, qui complète la Police nationale haïtienne. Ce soutien doit inclure les capacités, les armes, les équipements et l’expertise spécialisée adéquats dont la Police nationale haïtienne a besoin pour rester le principal acteur de la réponse contre les gangs armés. Un mandat solide, déjà autorisé pour le MSS, associé à des règles d’engagement permettant des engagements proactifs contre les gangs armés, est essentiel. Cela doit s’accompagner d’efforts visant à renforcer les capacités de la police nationale pour aider le Gouvernement à assurer durablement la sécurité.
Dans le climat de violence actuel, les parties prenantes haïtiennes ont également lancé des appels à un soutien pour renforcer les forces armées haïtiennes, ce à quoi certains États membres ont déjà répondu.
Le soutien du BINUH à la Police nationale haïtienne reste essentiel pour le développement continu et à long terme de l’institution, mais le soutien opérationnel immédiat et solide nécessaire ne relève désormais pas du mandat du BINUH. Pour garantir la pérennité des acquis en matière de sécurité, il faut redoubler d’efforts pour lutter contre les flux illicites de drogues, d’armes et de munitions. Il faut également s’attaquer à la corruption qui nourrit l’économie illicite et au patronage des gangs armés par des élites politiques et privées corrompues. À cette fin, les mécanismes nationaux de lutte contre la corruption et de responsabilisation doivent être renforcés. Le régime de sanctions de l’ONU contre Haïti doit être utilisé au maximum pour s’attaquer aux causes profondes de la violence des gangs, y compris la collusion entre individus dans les secteurs politique, économique et sécuritaire, ce qui conduirait à accroître la confiance dans le processus politique.
Madame la Présidente,
Un soutien international solide en matière de sécurité est nécessaire dès maintenant.
Il n’existe pas d’options idéales pour faire face à la crise grave et multiforme que connaît Haïti. Mais à mesure que le temps passe et que la situation se détériore, il nous reste moins d’options et le peuple haïtien a moins d’espoir. Il est grand temps de traduire nos engagements en actions pour empêcher toute nouvelle érosion de la sécurité et de l’autorité de l’État en Haïti. je te remercie