par cba
L’été dernier, en quête de ces terres qui portent encore les traces des luttes épiques de nos ancêtres, je me suis rendu à Vertières, ce lieu où l’histoire s’est écrite dans le sang et le courage. Là où, en ce 18 novembre 1803, nos héros, drapés de dignité et animés par une soif inextinguible de liberté, ont terrassé les armées napoléoniennes, pavant ainsi la voie à la naissance de la première République noire du monde. Pourtant, ce haut-lieu de mémoire, sanctifié par les sacrifices d’hommes et de femmes, se trouve aujourd’hui dans un état d’abandon criant, une indifférence qui scandalise autant qu’elle interroge.
À ma grande stupéfaction, j’ai découvert un site historique livré à lui-même. Certes, les statues de Vertières portent encore quelques couches de peinture qui, dans leur éclat ténu, tentent de rappeler la splendeur passée. Mais le cadre environnant trahit une désinvolture inacceptable. Les monuments, qui devraient incarner la fierté d’un peuple, sont encerclés par un atelier de soudure, des constructions anarchiques et la circulation incessante des véhicules, dont le vrombissement incessant profane la solennité de l’endroit. Cette cohabitation grotesque entre patrimoine historique et désordre urbain traduit un mépris profond pour notre passé glorieux.
Comment expliquer cette incurie ? Les autorités haïtiennes, que nous qualifions encore de telles par habitude plus que par mérite, se montrent incapables de restaurer ce sanctuaire national. Pire encore, elles se dérobent aux commémorations qui devraient être le reflet de notre reconnaissance envers ceux qui ont offert leur vie pour une cause supérieure. Ce 18 novembre 2024, jour de célébration du 221e de la bataille de Vertières, aucun officiel de haut rang n’a daigné honorer ce lieu emblématique de sa présence. Cette absence, lourde de sens, symbolise l’échec de nos dirigeants à se réapproprier les valeurs fondamentales de notre nation.
L’histoire nous enseigne pourtant que Vertières n’a jamais été un lieu anodin. Ces terres furent acquises en 1903 par Nord Alexis, qui les remit à l’État haïtien afin d’en préserver la mémoire. En 1953, lors des commémorations du cent-cinquantenaire de la bataille, Paul-Eugène Magloire donna vie au site en y inaugurant des monuments majestueux, réaffirmant ainsi le rôle central de Vertières dans notre identité nationale. Comment avons-nous pu passer, en l’espace de quelques décennies, d’une célébration vivante et vibrante à une négligence si manifeste ?
Ce laisser-aller est-il le fruit d’une stratégie délibérée visant à banaliser les exploits de nos ancêtres ? Cherche-t-on à effacer les symboles de notre résistance pour mieux enchaîner les esprits dans la résignation et l’oubli ? Ces interrogations, bien que dérangeantes, ne peuvent être écartées. Un peuple qui néglige ses monuments historiques et ses lieux de mémoire se condamne à l’amnésie collective, ouvrant ainsi la voie à l’effacement de son identité.
Restaurer Vertières ne relève pas seulement d’une nécessité patrimoniale. C’est un devoir moral, une exigence patriotique. Il ne doit y avoir ni construction anarchique ni commerce profane aux abords de ce site. Vertières doit redevenir un sanctuaire, un lieu de pèlerinage où chaque Haïtien, quelles que soient ses convictions, puisse renouer avec les idéaux de liberté, de dignité et de solidarité qui animèrent nos ancêtres.
Il est urgent que l’État, s’il prétend encore incarner une autorité légitime, prenne les mesures qui s’imposent. Restaurer Vertières, c’est restaurer la fierté nationale. Ne pas agir, c’est trahir la mémoire de ceux qui, au prix de leur sang, ont arraché notre liberté. Comme l’histoire nous l’enseigne, « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». Vertières mérite mieux que l’indifférence ; il mérite notre respect et notre engagement. L’heure n’est plus aux discours. L’heure est à l’action bann ransè.
