Par Patrick Prézeau Stephenson
Introduction
La diaspora haïtienne, qui compte plus de 3,5 millions de membres à travers le monde, détient un potentiel considérable pour contribuer positivement au développement d’Haïti. Cependant, sa fragmentation et l’absence d’une structure cohésive ont limité sa capacité à mobiliser pleinement ses ressources au profit du pays. Dans une récente proposition, Alexandre Telfort Fils a plaidé pour la création d’une « super organisation » destinée à unir la diaspora, à fournir une direction stratégique et à favoriser un renouveau démocratique en Haïti [1]. Cette analyse critique examine les forces et les faiblesses de cette proposition, en mettant en lumière les défis et les opportunités qu’elle présente.
Forces de la proposition
1. Vision claire et objectifs complets
Telfort Fils présente une vision convaincante pour la super organisation, en soulignant la nécessité d’un cadre structuré qui corresponde à l’expertise et aux ressources variées de la diaspora. La proposition définit clairement douze objectifs clés axés sur le renforcement de la transition démocratique en Haïti, le soutien au développement économique et l’amélioration de l’accès à l’éducation et à la santé. En définissant ces objectifs majeurs, la proposition offre une feuille de route complète pour exploiter le potentiel de la diaspora.
2. Structure inclusive et représentation équitable
La structure proposée, inspirée du modèle des Nations Unies, assure une représentation dans les régions où vivent les Haïtiens. Cette inclusivité permet d’obtenir diverses perspectives, favorisant ainsi une approche plus globale pour aborder les défis d’Haïti. La représentation de différentes régions favorise une participation équitable et garantit que les besoins et intérêts variés de la diaspora sont pris en compte.
3. Plaidoyer et influence politique
L’accent mis sur le plaidoyer et l’influence politique constitue une force majeure de la proposition. En mobilisant le pouvoir collectif de la diaspora, la super organisation pourrait jouer un rôle crucial dans l’influence des politiques publiques, tant en Haïti qu’à l’étranger. Elle pourrait efficacement défendre les droits et les intérêts des Haïtiens, assurant ainsi que les voix de la diaspora soient entendues aux niveaux national et international.
4. Principes de transparence et d’intégrité
La proposition reconnaît l’importance de la transparence et de l’intégrité, en préconisant des normes strictes de reddition des comptes dans la gestion des fonds et des projets. Cet engagement envers la bonne gouvernance pourrait aider à instaurer la confiance parmi les organisations de la diaspora et encourager une participation plus large.
Faiblesses de la proposition
1. Objectifs trop ambitieux et manque de priorisation
Bien que la proposition présente des objectifs complets, elle manque de priorisation. Tenter d’aborder trop de buts simultanément pourrait submerger la capacité et les ressources de l’organisation. L’absence d’une approche progressive ou d’une stratégie de priorisation rend difficile l’évaluation des priorités et la mesure des progrès de manière efficace.
2. Fragmentation politique et défis de leadership
L’un des défis majeurs dans la création d’une organisation unifiée de la diaspora réside dans le dépassement de la fragmentation politique. La proposition suppose l’émergence d’un consensus, mais les divisions historiques et les différences idéologiques parmi les groupes de la diaspora pourraient empêcher cela. L’absence d’une stratégie claire pour relever ces défis pourrait entraver la formation d’une équipe de direction cohérente.
3. Questions de financement et de durabilité
La proposition ne fournit pas de modèle de financement clair pour assurer la pérennité de la super organisation. Bien qu’elle mette l’accent sur les partenariats et les dons, elle reste vague sur la manière de garantir un financement stable et à long terme. La dépendance à l’égard des contributions volontaires sans une stratégie de financement diversifiée pourrait compromettre la durabilité de l’organisation.
4. Focalisation limitée sur les partenariats locaux
La proposition met l’accent sur le potentiel de la diaspora, mais accorde trop peu d’attention à l’établissement de partenariats solides avec les organisations locales en Haïti. Un changement efficace nécessite une collaboration entre la diaspora et la société civile locale, le secteur privé et les institutions gouvernementales. Favoriser ces partenariats est crucial pour garantir que les initiatives soient contextuellement pertinentes et durables.
5. Insuffisante prise en compte du contexte politique
La proposition ne montre pas une compréhension nuancée du paysage politique actuel en Haïti et de ses implications pour l’engagement de la diaspora. Naviguer dans l’environnement politique complexe d’Haïti nécessite des alliances stratégiques, et la super organisation doit être prête à dialoguer avec diverses parties prenantes, y compris les acteurs politiques, les organisations internationales et les mouvements de base.
Conclusion
La proposition d’une super organisation de la diaspora haïtienne présente une vision audacieuse qui pourrait transformer le rôle de la diaspora dans le renouveau démocratique d’Haïti. Ses forces résident dans sa structure inclusive, ses objectifs complets et son accent sur le plaidoyer. Cependant, des objectifs trop ambitieux, la fragmentation politique et les défis de financement menacent de saper son succès. Pour concrétiser cette vision, la proposition doit prioriser ses objectifs, surmonter les divisions politiques et établir des mécanismes de financement durables. De plus, la super organisation doit donner la priorité à la collaboration avec des partenaires locaux en Haïti pour garantir que les initiatives soient pertinentes et impactantes. En affinant sa stratégie et en relevant ces faiblesses, la diaspora haïtienne pourrait effectivement catalyser un renouveau démocratique en Haïti.

