Par Idson Saint-Fleur
L’aventure se poursuit !
La publication du deuxième tome de la série « Des éléments pour une histoire de La Gonâve » est le respect d’un rendez-vous pris avec le lecteur qui se passionne à approfondir davantage ses connaissances du passé de cette île. Je le remercie de cet intérêt manifeste pour les choses de ce genre, lequel intérêt a été intensément prouvé pour le tome premier. Cela m’a énormément motivé dans la rédaction de cette livraison.
Aux Gonâviens, d’ici et d’ailleurs, aux Haïtiens et étrangers intéressés par cette question, je redis ma détermination de continuer à mobiliser les matériaux nécessaires à l’exhumation du passé foisonnant de cette île.
Je me sens investi de cette mission à laquelle je tiens, avec tout ce qui me reste de courageencore en cette année 2024.Une annéeau débutfuneste qui se situe malheureusement dans la suite d’un calendrier infernal qui interdit aux nationaux de penser le mieux pour Haïti. Car, Haïti, ce pays qui est mien, qui est nôtre, ce pays est couvert d’épaisses ténèbres dont les traits s’étendent inéluctablement sur La Gonâve. C’est le temps des vampires. Un sale temps de guerre haïtiano-haïtienne : viols en série, meurtres en série, kidnappings en série, accentuation de la pauvreté. Temps de peur. Temps d’angoisse mortifère. La barque dérive tandis que les matelots se gavent d’illusions. Triste séquence du film Titanic.
Parallèlement, comme des fourmis folles, les Haïtiens s’embarquent dans une errance qui malmène la dignité de ce peuple. En dépit de ce paysage cafardeux, avec ce qui me reste d’énergie, estimable lecteur, je vous offre ce livre. Je signe un autre acte de survie qui se veut aussi un acte personnel de résistance, et de générosité.
Je continue à dire La Gonâve. Je continue à sortir ces morceaux d’histoire portés par une dynamique plurielle et qui s’inscrivent dans un tout unitaire. Je suis dans la reconstitution aux fins de restitution ; je suis dans le partage. Car, je crois que même dans le monde de demain où les humains seront obligés de coexister de plus en plus avec les humanoïdes que produiront en masse, notamment, les villages technologiques des Etats-Unis, de l’Inde et de la Chine, l’histoire aura toujours un certain sens, les humanités auront un certain sens, la philosophie aura son utilité. Il faudra toujours faire la part des choses pour pourvoir survivre aux évènements qui changeront inéluctablement le cours des choses.
Dans une certaine mesure, et à mon niveau, à travers ce livre, je tente de faire la part des choses.
Dans le premier chapitre, il est dégagé une vue générale des premiers peuples ayant occupé la Caraïbe insulaire, en survolant d’une manière séquencée l’établissement des Ciboneys, des Taïnos et des Caraïbes, leur développement social et culturel respectif, mais aussi le jeu des interactions biologiques, commerciales et culturelles entre ces différentes ethnies.
Le deuxième chapitre replace La Gonâve dans la préhistoire d’Haïti qui, elle-même s’imbrique dans celle de la Caraïbe insulaire. Quelle que soit la périodisation considérée, il est admis que les traces humaines répertoriées à La Gonâve remontent à des siècles avant l’ère chrétienne. Les recherches effectuées à La Gonâve dans le courant de 1942 par l’archéologue Jacques Roumain en attestent ce fait de même que celles menées à la fin de la décennie 1980 par des archéologues étrangers affiliés au Bureau national d’ethnologie.
Dans le troisième chapitre, prudemment et à pas feutrés, j’avance dans le carré de l’histoire de peuplement de La Gonâve. Une histoire encadrée par des actes politiques pris, entre autres, par les présidents Louis Etienne Félicité Lysius Salomon et Dumarsais Estimé. Pourtant, à l’origine, cette histoire avait suivi son propre cours, elle était populaire. Des malheureux de Port-au-Prince, Léogane, Grand-Goâve, Petit-Goâve, Jacmel, Bainet, de La Vallée-de-Jacmel, de Miragoâne, Bézin, Charlier, de la Petite Rivière de Nippes, de l’Anse-à-Veau, des Baradères, de Pestel,Corail, de Cabaret, Arcahaie, de Montrouis, de Desdunes, de Saint-Marc, des Gonaïves, ou d’autres villages de la région du Grand Nord avaient tenté leur chance à La Gonâve.
En effet, depuis la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 1930, La Gonâve est un territoire qui offrait la possibilité à beaucoup de gens de la Grande-Terre de donner sens à leur vie par la pêche, l’élevage et l’agriculture. Avant Miami, Martinique, Guadeloupe, les Bahamas, des gens allaient besogner sur l’île pour pouvoir offrir un aller-mieux à leurs familles tout en évitant d’aller mélanger leur sueur et leur sang dans les champs de canne à sucre en République Dominicaine et à Cuba. On venait travailler à La Gonâve afin de pouvoir régler une dette, acquérir une parcelle de terre sur la Grande-Terre, construire une maison dans sa communauté natale. Par la suite, l’avidité de quelques caciques locaux, inféodés à Port-au-Prince, ont dégradé la vie des fermiers et brisé sauvagement leurs rêves.
Le quatrième chapitre fait un « zoom in » sur les Sociétés Congo de La Gonâve. Cette sorte d’association collective de travail agricole est révélée au reste d’Haïti et au monde, par l’anthropologue américain Robert Burnett Hall, l’écrivain américain William Seabrook et le lieutenant américain Faustin Wirkus. Cependant, le lecteur prendra connaissance d’autres études qui ont cherché à comprendre la structure fonctionnelle de ces Sociétés rustiques ayant une double fonction fondamentale : mobilisation facile des paysans pour le travail agricole et protection des paysans contre les délégués du pouvoir de Port-au-Prince qui leur imposaient, entre autres, des charges fiscales arbitraires aux fins de remplir leurs poches.
Ceci étant dit, j’espère que ce livre répond également à certaines préoccupations sensées, quelques fois agitées, et pour lesquelles on attend un corpus d’explications plus structuré sans prétention de suffisance. Plutôt un luminaire !
Au final, je dis à ceux qui associent malicieusement La Gonâve aux « Iles Turques et Caïques (ziltik) » que cette terre n’est pas loin de l’Haïti continentale ni géographiquement, ni humainement. La Gonâve est dans le golfe.
Bonne lecture !
Idson Saint-Fleursaintfleuri14@yahoo.fr

