par Marc Arthur Pierre Louis
Je vous offre la lecture d’un chapitre de mon bouquin « Été Hexagonal, les trots d’un écrivain opportuniste. » publié en 2015. Précisément le chapitre qui parle de la Diaspora. Ce livre est un témoignage en partie des bénéfices d’entretenir les conversations sur nos forums. Le livre a été préfacé par Pascale Doresca, une amie rencontrée sur les forums, et nous ne sommes jamais vus physiquement.
Vendredi 27 juillet 2017 ((rezonodwes.com))– Le frère Félièce, beau-père de pasteur Adly [hôte à Paris], me dépose à Saint-Ouen, à la réunion. Pétuel, président de l’association, Mouvement des Haïtiens pour une Conscience Nationale, ouvre avec la Dessalienne en créole. Son nom m’est familier. On a fréquenté la même institution scolaire à Port-au-Prince. Il définit à mon intention les objectifs de l’organisation : accompagner les paysans de l’arrière-pays, leur fournir de l’aide dans leur lutte vers le progrès. Il parle d’intégrité et de conscience dans nos relations les uns avec les autres. D’autres membres se présentent et il me donne la parole. Je me présente à mon tour, mes compétences et mon affiliation religieuse, mais je leur dis que je ne suis pas en mission religieuse. J’explique mes objectifs : aider Haïti à avancer en valorisant le créole qui est la langue unique des paysans de l’arrière-pays. Les membres hochent la tête en signe d’approbation et estiment qu’il y a des objectifs communs entre nous. Je leur fais part de l’événement prévu pour le 21, à La Fin des faims [restaurant] et certains promettent d’y participer. Un membre avec un langage fluide me confesse que, lui, il soutient le français. « Pragmatique », pensé-je. Cependant, il m’achètera un exemplaire de Parlers sur le champ.
Nous passons quelques minutes à discuter du créole. Isranel, qui est prestataire de services chez IBM, est d’accord avec moi. Dener aussi. Ce dernier ajoute que la religion du peuple était mise à l’honneur à un certain temps, mais que ce n’est plus le cas. Pétuel aussi pense comme moi.
On passe aux projets. L’achat d’un terrain entre dans les débats. On décide que les membres doivent faire preuve de leur soutien. Les promesses de don sont faites. Isranel inscrit dans sa tablette électronique les noms de ceux qui promettent leurs cent, deux cents et trois cents euros de don. Mes soixante-quinze euros sont aussi enregistrés.
La réunion se termine bien. On charge Dener de me déposer à Montmagny, qui est tout près de Sarcelles, chez frère Félièce et sa femme. Gens sympathiques. Je propose de verser ma contribution ipso facto si je trouve un distributeur. Dener prendra l’argent de mes mains.
Il me raccompagne. On s’apprécie. Il est, comme moi, conscient de la force de la diaspora pour changer le devenir du pays. Mais il est aussi, comme moi, au courant de ce vent anti-diaspora qui souffle sur le pays et qui constitue un facteur de blocage à son progrès. Je lui dis que la diaspora contient aussi des éléments qui gênent le progrès du pays par leur attitude erronée d’autosuffisance et leur sentiment qu’ils sont les seuls à avoir la capacité d’aider Haïti. Ils ne réalisent pas qu’il faut mettre en jeu la conjugaison des forces de tous les enfants du pays pour le tirer du mauvais pas dans lequel il se trouve.
Je partage avec lui mon grand désaccord avec certains intellectuels du pays qui minimisent l’apport de la diaspora en la limitant seulement aux contributions que ses membres envoient à leurs familles restées aux pays. Ces intellectuels pensent à tort que ces contributions sont contrecarrées par les frais d’éducation que les élites envoient aux États-Unis pour leurs enfants. Il est fort douteux que la minorité qui procède des élites puisse dépenser autant d’argent pour atteindre le niveau des virements mensuels de l’écrasante majorité de la diaspora. Il est extrêmement improbable que la minorité zwit de l’élite haïtienne dépense deux milliards de dollars par an à éduquer ses enfants aux USA. Ce débat est un débat artificieux. Même si on admettait que l’élite minoritaire utilisait d’énormes ressources financières pour l’éducation de ses enfants, les bénéficiaires ne seraient que les pays où fonctionnent les institutions qui instruisent ces enfants étudient. Certainement pas Haïti, encore moins les déshérités du sort. De surcroît, ces élites n’ont qu’elles-mêmes à regarder dans le miroir pour n’avoir su créer un environnement où leurs progénitures pourraient acquérir ces connaissances pour lesquelles elles sont obligées de quitter le pays pour aller se les procurer ailleurs. Que cela soit dit ! Par contre, en faisant construire leurs maisons en Haïti, ce qui est une pratique commune à presque tous les Haïtiens qui vivent en dehors du pays et qui économisent un peu d’argent, les membres de la diaspora injectent un capital dans l’économie haïtienne qui rémunère les Haïtiens du pays à plusieurs niveaux dans la chaîne commerciale.
Après le séisme de 2010 l’hypocrisie de la communauté internationale a été manifeste. On a vu comment la Croix Rouge Américaine avait collecté un demi milliard de dollars pour construire des maisons et n’en avait construit que six. Il est tout à fait aisé de se cacher derrière les malheurs des autres, jouer à l’humanisme pour demander en leur faveur alors qu’en réalité on ne demande que pour soi. C’est une stratégie à succès. On a vu la prolifération des ONG sans qu’elles apportent une aide qui permette aux Haïtiens de placer leur pays sur les rails du développement. Les fonds qu’elles apportent au pays sont repartis entre leurs cadres. Elles offrent les contrats lucratifs aux grandes entreprises de leurs pays d’origine en laissant des pitances aux locaux. On se plaît à dire qu’Haïti est un pays gangrené par la corruption mais on ferme les yeux sur le multiples ONG tout aussi bien gangrenés par la corruption qui fonctionnent en toute impunité dans le pays. L’argent liquide qui circule au pays vient en grande partie de la diaspora. Un des paradoxes de la relation entre beaucoup de leaders Haïtiens et la diaspora c’est que les Haïtiens de la diaspora qui ont un amour réel pour le pays et qui peuvent contribuer à son progrès sans les contraintes que nous imposent les organisations internationales sont ceux qui sont les plus souvent traités avec une certaine morgue par ces leaders et d’autres membres influents de la société. L’impression de beaucoup des membres de la diaspora est celle d’être tout simplement une vache à lait mais à qui on fait subir tous les mauvais traitements. Cette stratégie des chefs Haïtiens est une des plus curieuses parce que une relation avec la diaspora, si elle est bien gérée, a le potentiel de transformer positivement et profondément la société haïtienne et ceci à des niveaux multiples. Une stratégie expresse et bien pensée de récupération des compétences et talents haïtiens qui évoluent en diaspora comme on le fait timidement dans le domaine des sports et de l’art peut révolutionner notre société. Comme je l’ai répété ailleurs : nous sommes en train d’entrer dans une période où l’Haïtien devra plus que jamais prendre soin de l’Haïtien. Personne ne le fera pour nous, personne ne le fera comme nous.
Je demande à Dener s’il peut chiffrer la contribution de la diaspora à faire de Fonds-des-Nègres, son lieu de naissance, une commune. « Énorme », me répond-il. « L’expérience de Fonds-des-Nègres, lui dis-je, se retrouve dans plusieurs autres parties du pays et ceci forme un modèle qui montre comment développer le pays : de la province vers la capitale. » Je lui indique que je pense qu’il serait intéressant de voir des études crédibles sur ce modèle pour, une fois pour toutes, statuer sur les changements durables et réels que les diasporas apportent au pays. « La prochaine fois que j’irai chez nous, j’irai à Fonds-des-Nègres et à Liancourt pour une petite enquête », lui dis-je.
Tranquillement, les membres de la diaspora, surtout ceux qui viennent de la province, améliorent les conditions de vie dans leurs lieux d’origine, alors que certaines élites continuent le mouvement d’une symphonie cacophonique qui a débuté après l’indépendance : envoyer leurs enfants étudier à l’extérieur, revenir continuer leurs affaires sans pour autant avoir un impact réel dans l’avancement du pays. Le mouvement vers l’extérieur est bicentenaire alors que le mouvement de la diaspora est relativement jeune et a été embrayé quand les éléments de la masse ont commencé à quitter le pays en grand nombre pour chercher ce que les élites du pays n’avaient pu leur offrir. Le mouvement des élites est fait de l’intérieur vers l’extérieur alors que celui de la masse est fait de l’extérieur vers l’intérieur. À moins d’une réelle prise de conscience des élites pour qu’elles commencent à s’engager de façon tangible dans le développement du pays en donnant la main à tous les patriotes qui œuvrent à effectuer des changements en profondeur dans le pays, elles risquent de tomber dans la non-pertinence alors que ceux qui, au départ, n’en avaient pas les moyens sont arrivés à changer leurs destinées et celle de leur pays.
Dener m’explique qu’à Paris les chauffeurs de taxi se sont organisés et constituent un symbole visible de la présence haïtienne et de son succès dans cette capitale. Ils parfont l’éducation de leurs enfants et se construisent des maisons en Haïti grâce à cette profession. Il a quitté Haïti très jeune, lorsqu’il était en deuxième année à la faculté de droit. Maintenant dans la cinquantaine, et ayant achevé l’éducation de ses enfants, il n’a plus les ambitions d’antan. Il a son propre véhicule de taxi et la licence pour travailler à Paris. Il travaille lorsqu’il en a envie. La licence coûte aujourd’hui près de deux cent mille euros. Dener aime son pays et veut le voir progresser. Il va chez lui apporter sa contribution au développement. Il a opté pour la médecine traditionnelle parce que c’est celle qui lui a apporté le soulagement lorsqu’il était proie à des maux atroces et n’avait pu trouver de solution qu’avec elle. « Pragmatique », me dis-je. Homme sensible, il n’a pas hésité pas à quitter la France pour partir à la recherche de ses amis après le séisme quand ses appels étaient restés sans réponse. Il a perdu beaucoup d’entre eux.
Dener m’impressionne. On se comprend en peu de mots. En y pensant, je me souviens des mots de notre Hégel : « Les Goutier savent à qui ouvrir leurs portes et leurs cœurs. » Ceux qui se soucient du pays le savent aussi. Comme Hégel l’a aussi dit, peu de gestes suffisent à entretenir l’amitié.
Guy corrobore aussi l’important impact des chauffeurs de taxi dans le milieu haïtien de Paris. Leur association de plus de quatre cents membres joue un rôle d’avant-garde dans ce milieu. Beaucoup d’intellectuels haïtiens n’achètent pas les livres de leurs compatriotes. Ce sont principalement les chauffeurs de taxi qui soutiennent les activités de dédicace.
Beaucoup d’Haïtiens de la diaspora ressemblent à Dener. Ce sont eux qui doivent se joindre à ceux de l’intérieur pour changer le pays. Il y a de l’espoir.
Cordialement/Cordially/Ak yon grap plezi,
Marc-Arthur Pierre-Louis


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