La question de Guy Philippe revue par le Bâtonnier Evens Fils (extrait)

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La compétence du droit pénal est territoriale, dans son application.

Mais l’étendue de ses effets n’est pas territoriale.

Attention aux interprétations erronées dans l’affaire Guy Philippe ! Probablement, celui-ci est un citoyen d’une âme courageuse, à bien des égards, pavée de bonnes intentions. Mais la loi doit être objectivement examinée. Outre les considérations humaines et idéologiques, que chacun assume les effets d’un acte positif ou négatif. Sur ce, voici trois considérations juridiques indéniables : 

Premièrement, la loi pénale est d’interprétation stricte. Le juriste ne peut ni modifier le sens d’un texte législatif ni en étendre le domaine. Il n’y a rien à y ajouter, ni rien à en retrancher, lors même que le législateur avait omis une précision. Cela implique également, si l’article 135 de la Const. prescrit que : « …Pour être élu Président de la République d’Haïti, il faut: …n’avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante pour crime de droit commun », ce n’est pas au lecteur d’ajouter le lieu pour qu’une condamnation soit prise en compte. Il est aussi de règle que la Constitution est d’interprétation stricte. 

Évidemment,  la compétence du droit pénal est territoriale. Mais il l’est d’abord dans son application, dans le lieu où il s’applique, mais l’étendue de ses effets n’est pas territoriale. Un Haïtien jugé aux États-Unis pour assassinat d’un autre Haïtien ne peut pas être rejugé en Haïti pour le même assassinat parce que le jugement américain vaut en Haïti. Son effet extraterritorial est opposable à la procédure pénale haïtienne, assorti du principe « non bis in idem ». pas de double condamnation ! Ici, le lieu de la commission de l’infraction et du jugement importent peu en considération des personnes. (Article 7 CIC).

Deuxièmement, l’évolution du droit international a bousculé le droit interne. Via des conventions/traités, le territoire classique du droit interne peut connaitre une expansion, pour certaines infractions. Haïti a signé et ratifié la Convention des Nations Unies Contre la Criminalité Transnationale Organisée et les protocoles s’y rapportant (13 déc. 2000 et 19 avr. 2011). Aux termes de l’article 15 de cette convention de l’ONU, la compétence d’un État peut s’étendre aussi à certaines infractions commises hors de son territoire. Ces conventions et traités ratifiés s’incorporent au droit haïtien au regard de l’art. 276.2 de la Const. La Convention donne un nouvel outil pour faire face au problème mondial que représente ce fléau, a explicité Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU. Le docteur en droit et le haut fonctionnaire européen (Anne Weyembergh, Gilles de Kerchove,) ont ainsi corroboré: « Limiter les effets des jugements rendus en matière pénale au territoire où ils ont été prononcés est incompatible avec l’idée même de justice… ». 

Troisièmement, en vertu du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale, il existe une circulation des décisions judiciaires pénales entre Haïti et les États-Unis. Ces deux pays se rapprochent dans une coopération judiciaire étroite. En Europe, on reconnait la compétence territoriale du droit pénal. Mais cela n’empêche pas que l’article 82 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) prescrit que « La coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires… ». 

En France, non seulement on reconnait les effets des jugements non rendus en France, mais aussi, le transfèrement des condamnés. C’est le cas de l’artiste Bertrand Cantat, condamné en 2004, en Lituanie, à 8 ans d’emprisonnement pour le meurtre d’une femme. Il a été transféré en France pour exécuter sa peine. 

Très chers collègues avocats, on peut toujours critiquer la violation de l’article 41 de la Constitution de 1987. C’est logique ! Mais n’extrapolons pas. Évitons d’insinuer que les haïtiens condamnés aux États-Unis dans l’assassinat du feu Président Jovenel Moise peuvent se porter candidat en Haïti aux prochaines élections, parce que c’est un tribunal américain qui en avait décidé. 

Dans ces conditions inchangées, M. Guy Philippe ne peut pas se porter candidat aux élections en Haïti. Heureusement, il existe d’autre façons pour participer au salut d’une nation. Celle-ci a besoin de tous ses fils en ce temps critique.  

Ouanaminthe, le 10 janvier 2024.

Evens Fils, avocat militant.  
Prosterné devant le Temple de Thémis

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