Par Avec Alexandre Robillard
Après plusieurs mois de négociations, le gouvernement fédéral s’est finalement entendu avec Google sur le cadre réglementaire qui établira les redevances aux médias canadiens. La ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a confirmé la nouvelle longuement attendue dans le milieu médiatique mercredi après-midi.
« On a trouvé une voie de passage pour répondre aux interrogations de Google sur l’application de la loi », a-t-elle annoncé lors d’un point de presse à Ottawa.
La Loi sur les nouvelles en ligne, aussi connue sous le nom de C-18, entrera en vigueur dans moins de trois semaines, le 19 décembre. La législation vise à forcer les géants du numérique tels que Google et Meta à conclure des ententes d’indemnisation avec les médias pour le partage de leur contenu.
En vertu de ce cadre, Google versera un soutien financier de 100 millions de dollars par année, indexé à l’inflation. Ottawa souhaitait initialement soutirer environ 172 millions par année à l’entreprise.
Quand on lui a demandé si le gouvernement n’avait pas cédé à une entente au rabais, la ministre a affirmé que l’entente était « de la valeur ajoutée » puisqu’elle inclut, en plus des 100 millions de dollars, des compensations non financières, comme des ententes avec certains médias.
Google aura aussi la possibilité de verser sa contribution à un seul collectif, qui la distribuera à tous les médias admissibles et intéressés, selon leur nombre d’équivalents temps plein en journalisme.
En octobre, Google avait menacé Ottawa de ne plus montrer aux internautes d’articles de médias canadiens dans leurs recherches à partir du 19 décembre si le gouvernement n’apportait pas certains changements à son règlement. L’entreprise souhaitait obtenir de la « prévisibilité » quant à la somme de la compensation financière et de la flexibilité sur la manière de convenir les ententes avec les différents médias.
La ministre St-Onge a aussi assuré que le Canada se réservait le droit de rouvrir l’entente si de meilleures ententes étaient éventuellement conclues ailleurs dans le monde.
Meta n’en démord pas
À l’approche de la date butoir, plusieurs se demandaient si un accord entre le géant numérique et Ottawa était possible — d’autant plus que les discussions avec Meta n’avaient pas porté leurs fruits.
L’été dernier, Meta, la société mère de Facebook et d’Instagram, a bloqué le partage de contenus journalistiques sur ses plateformes afin d’échapper aux dispositions de la loi.
Or, Meta n’en démord pas, malgré l’entente conclue avec Google. Interpellé par Le Devoir, un porte-parole de Meta a affirmé que, « contrairement aux moteurs de recherche, nous ne puisons pas de manière proactive des nouvelles sur Internet pour les intégrer dans le fil d’actualité de nos utilisateurs ».
Pour le géant numérique, la seule manière de se conformer à la Loi sur les nouvelles en ligne est toujours « de mettre fin à la disponibilité des nouvelles pour les personnes au Canada ».
« Ça n’a pas été facile. On a vu que Meta a complètement abdiqué ses responsabilités en tant que géant du Web. Mais on est très contents d’avoir pu arriver à une entente avec Google pour s’assurer que des journalistes, y compris des petits médias locaux, vont être appuyés pour des années à venir », a pour sa part déclaré le premier ministre Justin Trudeau avant la période de questions.
Pour Éric-Pierre Champagne, le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), l’annonce de mercredi mettra certainement de la pression sur Meta à long terme. « Ils ont l’occasion de démontrer qu’ils veulent être une bonne entreprise citoyenne et embarquer dans le train », dit-il en entrevue au Devoir.
La nouvelle a été favorablement accueillie dans le secteur médiatique. « Nous saluons le travail de la ministre Pascale St-Onge et du gouvernement pour parvenir à un accord avec Google sur un cadre réglementaire unique dans le monde », a déclaré Pierre-Elliott Levasseur, le président de La Presse.
Le directeur du Devoir, Brian Myles, a également salué l’entente du gouvernement fédéral. « Le Devoir est très heureux que les interlocuteurs de bonne foi […] aient réussi à soutenir le secteur de nouvelles canadiennes », a-t-il déclaré. À l’instar du président de La Presse, M. Myles estime toutefois qu’il faudra connaître le détail des réglementations pour comprendre si la loi aura l’effet escompté.
En réaction à l’annonce de mercredi, la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN) a pour sa part déclaré que Meta devait impérativement réintégrer les contenus journalistiques sur ses plateformes et amorcer les négociations avec les entreprises de presse, comme prévu par la loi.
Quand on lui a demandé si le réseau d’information CBC/Radio-Canada pourrait recevoir une compensation financière dans le cadre de l’entente avec Google, la ministre St-Onge n’a pas confirmé son admissibilité. Les détails de la réglementation finale seront connus et publiés un peu avant la mise en oeuvre officielle de la loi, le 19 décembre.
« Mais je peux dire qu’on a considéré très sérieusement les commentaires concernant notre diffuseur [public] », a-t-elle assuré.
Le président de la FPJQ admet que la crise des médias, « qui touche autant les médias issus du secteur privé que [ceux du secteur] public », préoccupe beaucoup les journalistes de Radio-Canada. Cet automne, le diffuseur public a annoncé qu’il allait limiter la création de nouveaux postes et se questionner sur le remplacement de ceux qui partent.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a pour sa part jugé que les ententes commerciales ne devraient pas les inclure : « À partir du moment où CBC et Radio-Canada ont accès à des sommes garanties par l’État canadien, mon premier réflexe, c’est [de dire] que ce n’est pas destiné à eux », a-t-il déclaré.
Mercredi, CBC/Radio-Canada a simplement déclaré qu’il accueillait « favorablement » l’entente entre le gouvernement du Canada et Google visant à garantir une juste indemnisation des contenus d’information.
S’harmoniser avec Québec
Le ministre québécois de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, ne s’est pas prononcé sur le fond de l’annonce d’Ottawa, dont il n’avait été informé que par des reportages dans les médias.
« S’il y a une entente, je pense que c’est un pas dans la bonne direction, a-t-il dit. On verra de quoi retourne cette entente. » M. Lacombe sera attentif à la manière dont les fonds seront distribués.
Plus généralement, le ministre rencontrera son homologue fédérale prochainement pour discuter d’aide aux médias et d’un programme mixte. Il a insisté sur l’importance de la concertation entre les deux gouvernements dans ce dossier, marqué par une récente vague de suppression de postes à TVA.
« Le Québec peut faire tout ce qu’il veut, mais si ce n’est pas harmonisé avec Ottawa et que ce n’est pas un plan de match commun, je me demande bien à quoi il va servir », a dit Mathieu Lacombe.
Pour ce qui est de son ressort, le gouvernement québécois est celui qui soutient le mieux les médias en Amérique du Nord, a affirmé le ministre.