L’accent capois, un héritage de l’anglicisation postindépendance

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par Marckdany Néolien

Un peu partout sur le globe, les populations humaines se communiquent par le biais des centaines voire des milliers de langues, de dialectes différents. Chaque langue dite officielle ou commune, détient un ensemble de variations linguistiques parfois dues à la migration des gens à travers de diverses régions du monde. Ces variations sont également dues à de différents exodes connus et inconnus de l’histoire de l’humanité. 

Le Créole Haïtien est formé à Saint-Domingue à partir d’un mélange des langues aborigènes, européennes et africaines dont le marcorix (langue dominante des Tainos et Arawaks), l’espagnol, l’anglais, le fon, le yoruba et autres (Petitjean-Roget, 1973; Orisma, 2020).  Les transformations qu’il a subies avec le temps ou après l’indépendance du pays en 1804 ont caractérisé à chaque région un parler local propre causé non seulement par l’origine diverse des habitants de la jeune République, mais aussi par la division de la nation en deux parties, Ouest et Nord, après l’assassinat de l’empereur Jean-Jacques Dessalines en 1806.

Cette division a duré 14 années. Henri Christophe (1807-1820) érigea un royaume dans le Nord et Alexandre Pétion se fit élire président (1807-1818) et gouverna la partie l’Ouest englobant le Sud-Est, le Grand Sud et la Grande-Anse.

Dans chacune de ces régions, à entendre parler les résidents l’on réalise rapidement que les différences linguistiques et accents sont palpables. Ainsi, il revient à penser aux exclamations, à l’orthographe d’usage, aux prononciations ou à la phonétique, en particulier chez les habitants du Nord, Nord-est et le Nord-ouest. 

Le langage chantonnant des gens du Cap-Haïtien et de ses environs

Le côté chantonnant du langage des capois avoisine l’anglais. Quand on écoute les diphtongues, l’on se rend compte que côté prononciation il y a une vive similitude entre les deux langues. Tout celà est dû aux échanges entre le royaume du Nord avec les anglais durant le règne de Christophe.

Dans cette situation, plusieurs auteurs ont écrit sur le rapport  créolo-angliciste. Prenons par exemple,  Fils-Aimé (2023) qui a révélé :

« À la mort de Dessalines le 17 octobre 1806, le pays se scinda en deux. Le royaume du nord échut à Henri Christophe, tandis que la république de l’ouest revint au général Alexandre Pétion. Le roi Henri Christophe 1806-1820 officiellement ne cacha point son faible pour la religion protestante, en particulier l’anglicanisme. Non seulement, il rendit l’anglais obligatoire dans les écoles de son royaume, mais en plus il prit à tâche d’inviter deux pasteurs anglicans à qui il confia la direction de son collège royal » (p.65).

Au cours d’une entrevue au Collège Adventiste du Cap-Haïtien avec le professeur de sciences sociales, M. Rosemond Napoléon nous rapporte suivant la petite histoire que depuis la période pré-indépendance dans un souci de communiquer lors des échanges commerciaux, les insulaires que ce soient les créoles, les colons ou les marchands-acheteurs venus d’autres régions du globe ont connu ce choc culturel qui a façonné notre langue créole principalement dans la zone de Petite Guinée. 

Ti Ginen en Créole Haïtien, la Petite Guinée était le lieu de l’un des plus grands marchés d’esclaves où se rencontraient différentes nations et groupes ethniques. Maintenant est construit sur les ruines de ce marché l’actuel Collège Notre-Dame du Cap-Haïtien situé entre les rues 11 et 12 du centre-ville.

D’après l’enseignant capois, cette rencontre a donné lieu à une acculturation qui se prolonge jusqu’à la période postindépendance. Ainsi, un double impact s’est produit et allait implanter ce phénomène d’acculturation un peu plus loin vers 1807 à 1844.

Durant la monarchie de Christophe, les anglais ont été invités à venir dans le Nord afin d’instruire et d’évangéliser tout le royaume. Le côté positif que représentent l’éducation et l’instruction  le long de l’apprentissage d’une langue étrangère selon Christophe est la richesse permettant de contribuer à une ouverture vers d’autres horizons. Toujours de son point de vue, le fait de n’avoir pas pris en compte la crise identitaire que peut entraîner une formation qui ne se fait pas dans la langue maternelle de l’apprenant a laissé bien des séquelles qui ne s’évaporeront pas  d’un coup de vent. 

Les principaux lieux où l’on peut observer l’ancrage de l’anglicisation du créole haïtien dans le Nord ne se trouvent pas dans le Cap exactement mais plutôt dans ses environs, où avaient séjourné les anglais. Selon les témoignages la région de Sainte Suzanne est en tête de liste, suivie de Terrier Rouge, Limonade, Limbé, Grande Rivière du Nord, etc. Suivant le professeur Napoléon, ces diphtongues ne se remarquent pas uniquement au niveau de la grammaire par la prononciation de l’article « an » comme dans « peyan m » « papan m » « pyan m » « tantann an m », mais aussi dans les pronoms personnels renforcés tels que « ou li ». 

Plus loin, ces diphtongues sont rencontrées dans les intonations à la fin de certaines phrases dû certainement à l’imitation inévitable des élèves et moniteurs de leurs instructeurs étrangers à l’époque postindépendance. Ce phonolecte typique du Nord d’Haïti, témoignant d’un distinguo entre les régions ouest et sud du pays, demeure un héritage fondamental dans la culture de la population.

Marckdany Néolien
(texte revu et corrigé)

Références :

1. Fils-Aimé, J. (2023). Vaudou 101, une spiritualité moderne sans sorcellerie,  Québec : Canada, Clermont Éditeur.

2. Orisma, R.J. (2020). From Revolution to Chaos in Haiti, 1804-2019: Urban Problems and Redevelopment Strategies.  Indiana: USA,  Xlibris.

3. Petitjean-Roget, J. (1973). Fouchard (Jean) : Langue et littérature des aborigènes d’Ayti, Outre-Mers. Revue d’histoire, Année 1973  221  pp. 700-701.

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