par cba
La mission d’une nouvelle armée doit être définie, discutée et ratifiée par le Parlement après maints débats…dans le cas contraire, nous nous dirigeons tout droit vers une milice armée qui viendra reconfigurer la cartographie politique d’ Haïti. Et celui qui l’a engendrée, la nourrit viendrait l’orienter dans la direction voulue avec tous les bénéfices et avantages recueillis…
Port-au-Prince, mercredi 19 juillet 2017 ((rezonodwes.com)).-Ce désir ardent dont sont animés cette semaine des jeunes, éventuellement de nouvelles recrues qui sortiront des rangs de la nouvelle armée (?), fut le même qui traversait les agents de la première promotion de la PNH, le 12 juin 1995, au point de faire allégeance à l’ homme politique de l’époque, Jean-Bertrand Aristide. Celui-ci, contre toutes considérations éthiques et morales, avait organisé la cérémonie de remise de diplômes de sa police sur la pelouse du Palais national.
Étant donné qu’une fois n’ est pas coutume, il serait prévu pour le 18 novembre 2017 prochain, la sortie de la première classe de soldats, soit 22 ans après la démobilisation de l’ armée uniquement propre aux coups d’État militaire avec comme principale cible : la population civile non armée. La commémoration de la bataille de Vertières serait donc une journée qui contraste avec la victoire glorieuse de l’Armée indigène dont on ne retrouvera plus cette qualité d’ hommes nationalistes et patriotiques. Jovenel Moise aura alors son armée, sa milice armée, à défaut de pouvoir endoctriner le haut-état major de la PNH par rapport à l’orientation politique du pouvoir. Et ce n’est pas les appellations qui viendraient nous faire croire le contraire, si l’on se réfère à la genèse des Forces armées d’ Haïti dont les descriptions de taches étaient rénovées en vue d’une meilleure adaptation à la réalité du temps.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » dit Lavoisier, mais quelqu’un pourrait-il nous dire en quoi se sont transformées aujourd’hui nos rêves de jeter des bases démocratiques au lendemain du 7 février 1986, quand des idées macabres et voilées surgissent ainsi de la tête de nos dirigeants actuels ?
Dans ce pays, tout est « urgence» et tout vient à manquer. Mais qu’est-ce qui pourrait bien traduire cette urgence de reconstituer l’armée avant le premier anniversaire d’intronisation de Jovenel Moïse, le 7 février 2018 ?
Du recrutement des soldats
Quand on veut construire une maison, la première chose à faire c’est d’essayer d’ajuster la grandeur de son rêve à la dimension du budget disponible. On fait ensuite le choix d’une firme de construction dotée d’un ingénieur ou d’un architecte ou encore un contre-maître en tête qui, à son tour, procédera au recrutement du personnel technique, des ouvriers, jusqu’ à celui-là qui fera la pose des carreaux et des mosaïques. Pour reprendre cette citation de Georges Clémenceau, à savoir « la guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires », nous en dirions autant aujourd’hui pour l’engouement et l’empressement avec lesquels on voudrait venir avec la remobilisation d’une armée en Haïti, une institution aussi importante pour la confier à un pouvoir qui, aux dernières élections, n’a reçu l’assentiment que de moins d’un demi-million d’ Haïtiens sur les quelques 12 millions que nous sommes sur la terre de Dessalines, dont plus de 4 millions en âge de voter.
Mercredi dernier, quelle ne fut la surprise de millions de concitoyens quand ils apprirent que le pouvoir tèt kale 2 a lancé un avis de recrutement de soldats pour faire partie d’une éventuelle force armée à venir. Le ministre de la Défense, cherchant à justifier l’appellation de son ministère sans pour autant admettre que le rôle primordial d’une force armée est d’assurer, par terre, par mer et par air la sécurité des frontières contre des forces étrangères, en d’autres termes, contre des ennemis.
Qui sont-ils, ceux qui seront recrutés ?
Sur le point ultime de sa démobilisation, en 1995, par le pouvoir Lavalas (aujourd’hui décrié) soutenu fortement par la gauche haïtienne, notre FAd’H avec Raoul Cédras, le dernier des généraux, avait un effectif de moins de dix mille hommes (10 000). Pourtant, celle de nos voisins était en nombre supérieur variant entre 70 000 et 80 000 soldats. Trouvez-nous encore la justification de cette armée !
Pour retrouver notre souveraineté nationale, la remobilisation de l’armée devient une nécessité, écrit le ministre Hervé Denis, dans un avis de recrutement. Toutefois, M. Denis, qui parle de « souveraineté nationale » dans un élan patriotique soudoyé et mal défini pour appuyer la remise sur pied de son « armée», aurait oublié que le système de communication externe de l’Etat haïtien est géré par des Vietnamiens, à NatCom. La souveraineté de ce pays n’est-elle pas encore pour longtemps compromise ? On sait désormais de quel malice est capable le régime tèt kale s’associant à une certaine classe pour pérenniser la main mise sur le pouvoir, en attendant le réveil des citoyens haïtiens sombrant présentement dans un état léthargique.
Au moment où nous écrivons ces lignes, les inscriptions ont démarré à la date prévue du lundi 17 juillet 2017 jusqu’au 21 du même mois. Comme nous avions déjà vu en Haïti des généraux sans troupe, maintenant nous voilà en face de soldats sans Kaptèn’n.
La charrue avant les bœufs, sans le report du décret-loi démobilisant les FAd’H
Ce serait la manifestation d’un grand signe de méchanceté si un Haïtien patriote de son état s’ érigeait en farouche opposant à un projet de réorganisation des forces armées dans l’intention de combler un vide que la PNH est incapable de faire depuis sa constitution, il y a 22 années.
Cette réflexion sur cette situation se justifie simplement par le souci de signaler un danger dans l’empressement de ce régime de foncer dans une direction où plusieurs panneaux d’interdiction l’ont indiqué. Car, en d’autres termes, il ne revient ni au ministre de la Défense ni au gouvernement dans son ensemble de procéder au recrutement d’une nouvelle classe de soldats. D’abord, il n’y a pas à sortir de là, quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, même d’expertise, un état-major devrait être constitué, comme le reconnaît la Constitution de 1987, et celle de 2011 amendée dans la honte et la tricherie.
Un haut état-major constitué et ratifié avec un plan bien structuré de réorganisation de l’armée se chargera alors de faire une évaluation sur le terrain. Autrement, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Le décret-loi de 1995, toujours en vigueur, devrait être reporté dès la nomination par l’Exécutif suivie de ratification par le Parlement d’un commandant en chef dûment nommé pour trois (3) ans en vertu de la Constitution. En aucun des cas on ne saurait parler d’armée si l’objectif inavoué ne serait pas de venir avec une force anti-peuple, à défaut d’ asservir la Police nationale d’ Haïti, avec un directeur général dont le mandat arrive à terme dans deux ans. Haïti a besoin d’une armée, mais non pas celle placée au service d’une idéologie dominante. D’ailleurs, cette idée est soutenue fortement par la « bourgeoisie» haïtienne. À quelle fin !
Selon la théorie de Nicolas Machiavel dans la maîtrise de la vie politique, « le chef de l’État n’a qu’un seul but : la conservation du pouvoir . En un mot : la fin, là aussi, justifie les moyens». Pour garder le pouvoir, il lui faut la force politique publique, et nous citons encore Machiavel, qui avance que ses partisans devaient être des riches et que le chef s’affaire à faire de nouveaux riches par tous les moyens.
Haïti, quel type d’armée !
Témoin des multiples va-et-vient diplomatiques entre les capitales, il est devenu évident que la dialectique des armes ne prime plus dans le cadre des contentieux à vider. Quel type d’armée aurait actuellement besoin notre pays ?
D’aucuns préconisent une gendarmerie nationale qui pourrait être une force intermédiaire entre la police et une force militaire. Elle serait invitée à sortir de ses casernes, comme avait suggéré le candidat à la présidence Louis Déjoie, en 1957, quand, par exemple, une catastrophe naturelle a lieu, qu’ il y a émeute, ou que la police se trouve dépassée par les événements. La gendarmerie sera déployée en grande partie dans les zones rurales et le long de notre frontière terrestre.
En été 1994, au beau milieu d’un coup d’État militaire, le dernier du siècle en Haïti, l’ancien colonel Himler Rébu, qui ne s’est pas manifesté ouvertement en faveur d’une remobilisation de l’armée dans de telles conditions, en 2017, eut à déclarer sur les ondes d’une station de radio de la capitale, que le général Cédras lui avait confié qu’ Haïti n’avait pas besoin d’une armée. L’ex-ministre rapportait que cette confidence du général lui avait été faite lors d’un voyage en Espagne, que les deux avaient effectué pour le compte des Forces armées d’Haïti. Ils étaient, à l’époque, de jeunes officiers. Rébu expliquait que c’est maintenant (en 1995) qu’il comprend où Raoul Cédras voulait conduire cette armée. À sa destruction.
Quel type d’armée pour Haïti? Le militaire, à sa formation, et nous parlons en connaissance de cause, a appris à tirer sur l’ennemi pour que lui-même, il puisse préserver sa vie. Or, il se trouve que notre pays, depuis le retrait des troupes de Faustin Soulouque de Santo Domingo, vers 1859, l’Armée d’Haïti a enterré la hache de guerre. Aujourd’hui, son principal ennemi n’est autre et ne sera autre que la population civile qui vient toujours avec ses lots de revendications sociales et de contestations. Revivez dans notre mémoire les interventions brutales de la police anti-gang sous la férule d’un Michel François, tristement célèbre. Le sénateur Youri Latortue devait en savoir plus. Le militaire haïtien n’obtient des aveux que sous la torture, c’est la stratégie particulière d’une armée, peu importe l’appellation. Est-ce de celle là dont on parle ? Les premières années de lune de miel ne laisseront jamais entrevoir ce côté machiavélique à venir dans moins d’une décennie si, au dé part, le tir n’est pas ajusté. Cette armée, dont parle PHTK, alliés et sympathisants, et donateurs lors de la campagne présidentielle, est plus qu’ une milice civile avec un budget apparemment de 530 millions de gourdes (moins de USD 8 millions $) pour l’exercice fiscal 2017-2018, alors que la PNH est encore sous-équipée et sous-payée.
Non à cette armée, dit l’international
Haïti, peut-il faire cavalier seul dans le cadre d’un si ambitieux projet ? Seuls des pays dont le plus fort pourcentage du budget annuel ou sa totalité ne dépend pas de l’aide externe pourraient se permettre le luxe de passer outre aux recommandations à lui adressées par la communauté internationale. À trois (3) reprises officiellement rapportées, aussi voilés que soient les messages, l’idée d’une armée créée avec Jovenel Moise aux commandes est rejetée par l’internationale.
Nous souvenons-nous de la demande formelle adressée à Sandra Honoré (représentante personnelle du secrétaire général de l’ONU en Haïti) par le gouvernement haïtien avec l’intention d’hériter, au départ de la MINUSTHA, des biens et matériels lourds que cette force onusienne possède. Sa réponse, pour dire à la bande PHTK non à une armée, était nette et précise. Comprendra celui qui voudra comprendre. Chaque pays composant la MINUSTHA reprend ses matériels envoyés avec le retrait de ses troupes d’ Haïti, avait laissé croire à voix intelligible, mais subtilement, Mme Honoré. Or, l’on sait réellement que tous les matériels acquis sur le terrain ne sont que des propriétés de l’ONU et qu’il n’y aurait aucun problème à les faire changer de main.
Deuxièmement, l’hebdomadaire Haïti-Observateur, au retour du président Jovenel Moise de l’Équateur, en mai dernier, avait appris que le président haïtien était venu discuter avec les pays latino-américains de la possibilité de rétablir les forces armées d’ Haïti. Il était rentré bredouille à Port-au-Prince, car sa proposition n’avait pas reçu un accueil favorable. Le chef de l’État s’était contenté de publier une photo qu’il avait prise en compagnie de Raoul Castro avec qui il avait discuté de su jets préoccupant les deux îles des Grandes Antilles.
Troisième échec public essuyé jusqu’à date par le Palais national par rapport à sa velléité de (re) former son armée, qui prend de plus en plus l’allure d’une milice armée, pour reprendre l’observation de citoyens avertis de la société civile, les déclarations du secrétaire d’État américain à la Sécurité publique. John Kelly, le patron de Homeland Security, était, on ne peut plus clair, que son pays opte pour le renforcement et la professionnalisation de la PNH. En un mot, les États-Unis, le plus grand partenaire commercial d’Haïti, n’acquiesce pas l’idée de rétablissement d’une armée mise en veilleuse depuis 1995, avec l’approbation de Bill Clinton, le chef de la Maison-Blanche à l’époque.
Les grandes erreurs d’Aristide
N’était-ce le crétinisme de la gauche, plus jamais l’idée de reconstitution d’une armée n’allait revenir sur le tapis en Haïti. Cette armée, pourtant dont la réorganisation pourrait subir des transformations en profondeur, sans qu’on n’ait eu besoin de la licencier en 1995, comme ce fut le cas au Brésil, Chili, Argentine, Paraguay, aurait pu être très utile le 12 janvier 2010 dernier, par l’aide qu’elle aurait pu porter aux sinistrés du tremblement de terre. Trop entêté à vouloir imposer l’esprit de la pensée unique, l’ancien prêtre défroqué de Saint-Jean Bosco a commis deux graves erreurs en voulant se venger de ses nuits d’exil dont les mauvais agissements avaient entraînées en l’espace de six (6) mois (7 février 1991-29septembre 1991) de gestion des affaires de l’ Etat.
Tout d’abord, la conversion des FAd’H en Police intérimaire avec réduction de l’effectif était un mauvais calcul. Secundo, venir avec un décret-loi pour mettre la bande à Cédras et Michel François hors d’état de nuire se révèle, quelques années plus tard, un acte irréfléchi et infructueux. Aujourd’hui, l’Armée d’Haïti est bel et bien en existence, quoique à l’état latent. Le régime Lavalas, qui n’a pas su profiter des circonstances, car la chance n’arrive qu’une seule fois dans la vie, aurait pu bien auparavant amender la Constitution et forte de sa domination au Parlement, à l’issue des élections dirigées et entachées d’irrégularités graves, aurait pu doter définitivement le pays d’une seule force légalement et constitutionnellement armée qui n’est autre et ne serait autre que la PNH (Police Nationale d’Haïti), pour une petite nation paisible qui n’est animée d’aucune ambition de se mesurer avec son voisin à qui jadis, elle a appris à rédiger des lettres diplomatiques.
Aujourd’hui encore, si le Palais national veut se montrer très sérieux doit reporter ipso facto ce décret tout en constituant un état-major de la nouvelle armée d’Haïti. Dans le cas contraire, nous sommes en pleine démagogie d’un groupe assoiffé de pouvoir et prêt à remettre en question les quelques rares acquis de l’après-7 février 1986, pour revenir avec une dictature en gestation en Haïti.
L’erreur fatale qu’a commise l’ex-président Jean-Bertrand Aristide et dont, probablement, le président Jovenel Moïse est inspiré, est l’accaparement de la première promotion sortante de la PNH. À chacun sa force armée ou de police pour sauvegarder ses intérêts. Si Jovenel Moïse dont un dossier d’inculpation pour blanchiment d’argent, se propose de lancer son armée, le 18 novembre prochain, pour marquer l’épopée de 1803, un fait historique nettement étranger aux hommes d’aujourd’hui, des vendus et traîtres à la patrie, pour la plupart, Jean-Bertrand Aristide avait, quant à lui, le 12 juin 1995, fait assermenter la sienne. C’était le comble de l’idiotie à entendre des policiers répéter le slogan « Yon sèl nou fèb…».
Le 18 novembre 2017 serions-nous témoins de la trahison des actes de bravoure de nos héros avec une première promotion sortante de l’armée cachant ses griffes dans des gants de velours blancs, et qui aura uniquement la
population civile comme cible ? Oublions les Dominicains avec les quelques 100 000 hommes de troupes et plus composant leur « ejercito», ces données n’ébranleraient guère un Toussaint Louverture, malheureusement avec des traces de grandeur délaissées.
Tout compte fait, M. Moïse, voudrait appliquer la théorie de Jean-Bertrand Aristide qui plaçait n’importe qui dans des postes-clé, à la PNH, encore qu’un simple photographe du Palais national était arrivé à occuper une haute fonction dans les rangs de la PNH. Des promotions sortantes de la PNH de la première à la quatrième, presque tous des agents acquis à la cause lavalassienne, ont fait connaître des jours sombres au pays. Mais au bout de tant de turpitudes qui ont traîné les masses au fond de la misère, de la pauvreté, de la corruption et de l’impunité, le temps n’est-il pas venu de rompre avec notre passé ignoble ?
cba
[texte original publié dans Haïti-Observateur / édition 19 juillet-26 juillet 2017]