Évidence et certitude: modalités de rapport à la vérité

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Par Camille Loty Malebranche

L’Évidence est stricto sensu, manifestation captivant la conscience percevante au contact du monde. C’est le domaine vague des informations premières dans notre rapport immédiat au monde; la Certitude porte sur la conviction d’avoir saisi la vérité d’un domaine donné où notre rapport cognitif au monde, a cru recevoir une révélation. L’évidence est du domaine de la perception, la certitude de celui de la conception. L’évidence fausse génère le simplisme et la certitude obsessive dégénère, enfante le fanatisme. En général, l’évidence précède la certitude dans notre rapport aux choses, sauf en idéologie qui, ici, implique tout l’aspect de la culture entretenant les relations de classe et l’ordre socioéconomique sous-tendu par la politique, où c’est exactement le contraire, car celle-ci constitue comme un monde artificiel, avec son tissu de valeurs et de règles fondées par les élites, créant des certitudes collectives qui rendent évidentes tous ses prescrits pour la plupart des membres de la société. 

L’évidence comme ce qui paraît vrai et la certitude vont de pair aux premiers vagissements de l’entendement. Mais elles ne sont que l’enfance réceptive de l’entendement qui doit évoluer vers le questionnement dubitatif au-delà des évidences. La vraie certitude naîtra alors de l’interrogation qui problématise les émanations des évidences. Mais il y a dans le phénomène que constitue l’aspect de tout objet ou situation, la gestalt qui exige le dépassement des apparences pour certifier la véracité les choses. Ainsi, entre sa manifestation et sa pénétration par le questionnement, le monde permet de passer de l’évidence-truisme à la vérité-certitude. Il y a au moins deux types d’évidences: les évidences communes objectives et les évidences subjectives intimes.

Les évidences communes objectives sont constituées de tout ce qui est ostensible, constatable par tous dans ce qu’on ose appeler la réalité. C’est directement ou indirectement phénoménal, sensoriel c’est-à-dire perceptible soit par les sens soit à l’aide d’instruments de perception en cas d’éloignement ou de taille microscopique. Une évidence objective n’est pas forcément un dévoilement de la chose ou de la situation évidente, c’est même une occurrence de fréquentes tromperies. Mais un fait reste sûr, l’évidence tend à induire l’humain en certitude!

Les évidences subjectives intimes concernent le vécu de l’expérience intérieure. C’est une autre catégorie de manifestations non phénoménales et sans gestalt. Là, l’évidence se fond avec la certitude, car l’individu est certain d’un savoir intimiste qu’il expérimente en soi intérieurement. Ce genre de certitude se retrouve dans des vérités intérieures éprouvables mais jamais démontrables ou prouvables. C’est l’espace du sacré, de la spiritualité, de la vie mystique et du noumène. La foi (par exemple) est une évidence-certitude que nul ne peut imposer à quiconque, car elle tient du savoir intérieur révélationnel par l’intuition. La foi, est perception-conception ancrée dans la conviction du divin aux tréfonds d’un humain. Chose de haute certitude et expérimentation mais à peine dicible voire à peine communicable.       

D’un point de vue épistémologique, l’évidence est la signification, le surgissement sémiologique et objectal d’un possible pour la science, un appel au dépassement par l’étude expérimentale scientifique pour aboutir aux principes et lois déterminant ce qui apparaît et paraît si évident.

D’un point de vue ordinaire, l’évidence peut briller de fausseté, comme tout métal scintillant qui n’est pas forcément précieux! Dans des jugements aux tribunaux, que de condamnés ont payé de leur vie, exécutés ou atrocement emprisonnés des années de leur vie, pour des évidences tenant des perceptions de témoins oculaires ou auditifs de bonne foi mais qui se sont totalement trompés sur ce qui s’est vraiment passé que cachait justement l’évidence! L’évidence, surtout quand elle est précédée d’engrammes personnels ou culturels et de réminiscences que seule l’anamnèse profonde pourrait élucider, se prête facilement aux dilutions conscientielles la transformant en « certitude » chez des observateurs ou témoins. L’évidence est parfois, voire assez souvent, un prisme dangereusement trompeur. Car là aussi, consciemment ou inconsciemment, opère la représentation.

L’évidence intimiste subjective serait de l’espèce des évidences que j’appellerais idiosyncratiques, fortement ancrées dans la personnalité globale, l’historialité de l’individu.    

Force est ici de remarquer que la société, l’idéologie prolifère d’évidences postiches qui, elles, découlent de certitudes factices. Car comme nous l’avons souligné, en idéologie la certitude précède l’évidence.

Les certitudes factices de la société sont des préjugés, des éléments de discrimination ou des actes de croyances socioéconomiques et politiques qui jaillissent de la bêtise humaine, la plus crasse.

Ainsi, les liens que font certains du niveau de l’intelligence avec le milieu social d’un humain, la certitude que certains étasuniens ont que leur pays apporte la démocratie aux pays du sud, l’affirmation des populaces qui croient vivre en démocratie sont des certitudes tellement ancrées qu’elle créent l’effet psychédélique et fallacieux d’évidences qui emballent les foules analphabètes et scolarisées d’un certain occident plus ou moins débile de ses certitudes discriminatoires et impérialistes.

Le caractère spatio-temporel des évidences débusquées puis égrugées par l’histoire ou l’évolution culturelle, nous le montre si bien à travers les modes de vie, ce qui était évident au Moyen-âge comme le servage, l’essentialisme seigneurial, a été relégué aux cloaques de l’histoire comme il le méritait. Ce qui est évident pour des ethnies ne l’est pas pour d’autres même au regard de la synchronie. Car les âges des civilisations varient à un même moment de l’histoire et le présent est pluriel et différent à travers la géographie des cultures, des sociétés et des ethnies.

Évidences ethnographiques et ethnologiques jalonnent le monde. La weltanschauung du tibétain a des évidences si loin de celles du brésilien… Preuve supplémentaire que l’évidence est aussi construction et représentation, et que s’y fier sans d’autres paramètres de jauge et d’autres valeurs, peut-être catastrophique pour la conscience connaissante.  

Et comme certitude et évidence sont en constante interaction, il est impérieux que l’homme, conscience connaissante par excellence, s’avise toujours de les peser et les envisager sous tous les angles en tenant compte des coefficients d’erreurs possibles pour ne pas sacrifier la vérité au feu ravageur des légèretés et des méprises…

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Lire l’article sur le blog de l’auteur Intellection https://intellection.over-blog.com/2017/09/evidence-et-certitude-modalites-de-rapport-a-la-verite.html

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