Me Sonet Saint Louis :  »Jean Bertrand Aristide, un esprit lumineux »

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Mercredi 29 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

Il n’y a point de patrie sans l’éducation. Il n’y a pas d’élite sans engagement. L’être humain atteint sa pleine citoyenneté par le développement de son sens critique, condition nécessaire pour comprendre son environnement immédiat dans une perspective de changement véritable. Plus que les chars d’assaut, les connaissances jouent un rôle émancipateur, notamment les connaissances scientifiques. Libérer le peuple, c’est lui donner des connaissances, c’est à cette tâche citoyenne que s’adonne le Président Jean-Bertrand Aristide depuis son retour d’exil, en 2011.

Aristide est un échantillon d’élite et quoiqu’on dise, est l’un des hommes politiques et chefs d’État le plus éclairé que le pays ait connu. Il n’est pas seulement un intellectuel de haut vol, une « intelligence supérieure », comme l’a reconnu Leslie Manigat, lui-même un immense intellectuel, l’ancien « prêtre des bidonvilles » est aussi un homme politique habité par la grandeur d’Haïti.

Je ne donne pas un chèque en blanc à Jean-Bertrand Aristide. En tant qu’ancien président, il a eu ses moments de gloire mais aussi de faiblesse. Dans son exercice du pouvoir, il avait commis des erreurs, même des fautes, comme tous les grands Chefs d’Etat. Il était arrivé à la tête d’un pays qui n’avait pas une tradition démocratique selon les normes occidentales. Cependant, il avait une grande idée de la première République noire indépendante du monde et de ce qu’il fallait faire pour hisser son pays à la dimension de son histoire. Il pense Haïti à la dimension de nos héros, ceux qui ont forgé cette nation. Et c’est cette idée forte qui l’a amené, en 2004, à dire à la France qu’elle doit à Haïti quelque chose. Cette requête adressée au gouvernement français de l’époque mettant ainsi son pouvoir dans la balance de l’ histoire, doit nous suffire. Aristide est un homme naturellement fort qui a une noble conception de lui-même et de sa dignité. C’est notre haine pour la qualité et l’excellence qui nous a porté à le diminuer comme on l’a fait.

Aristide est un homme intelligent. Son intelligence est mise au service de son peuple et la jeunesse. Qu’on soit pour ou contre lui, personne avant lui n’a réalisé ce qu’il a fait et continue de faire dans le domaine de l’éducation en Haïti. Même le sociologue Daniel Supplice, ancien ministre sous Duvalier, régime pourtant vertement combattu dans les années 80-90 par Aristide, le reconnaît. Lors d’une interview, il a salué le travail éducatif de l’ancien président alors qu’il ne partage nullement ni son idéologie ni sa gestion du pouvoir.

Je ne suis pas aristidien, ni membre de son organisation politique « Fanmi Lavalas ». Mais j’estime que la société haïtienne doit lui  rendre justice. À deux occasions, on l’a empêché d’exercer un pouvoir qu’il a pourtant conquis de manière démocratique. C’est par la voie électorale qu’il avait accédé au pouvoir à deux reprises. L’autorité qu’il exerçait avait pour base le consentement du peuple. Son pouvoir était donc consenti et délégué.

*Son message aux politiciens*
Dans la crise actuelle, à la recherche de la vérité que nous devons tous chercher ensemble, tout le monde se propose d’être roi en marge des normes constitutionnelles et démocratiques. Tout le monde parle du peuple, dépositaire exclusif de la souveraineté nationale, se réfère à lui, mais l’exclut dans la recherche de solutions. Les leaders politiques de tous bords refusent le mécanisme par lequel ce peuple dont ils se réclament choisit librement ceux qui doivent le gouverner. Comment donner du sens à nos paroles et à nos actions?

Aucun homme politique haïtien n’a autant souffert de trahison que lui. Mais Aristide a de l’endurance pour vaincre l’adversité. En fondant l’UNIFA, il lance un message aux politiciens médiocres en leur disant que la politique n’est pas une fin en soi. Outre que la politique, il y a d’autres moyens pour se rendre utile à la patrie, pour rendre un peuple fier de ses réalisations, pour le hisser à des buts supérieurs.

La principale force du Président Aristide, c’est la patience, le silence dans l’action et le souci du travail impeccable. Une élite, c’est la beauté, la qualité et l’excellence. À mon humble avis, ce cerveau communicatif qui sait trouver les mots justes et exacts pour s’adresser à son public incarne ces trois éléments cités plus haut.

La politique traditionnelle avait poussé le jeune prêtre devenu président à la défaillance et à la chute. L’ancien président connaît sa force et ses faiblesses. Il sait comment se replier dans l’histoire pour mieux rebondir.

*Son bilan*
Bien qu’on l’ait poussé à la défaite, Aristide n’a pas raté ses objectifs. Il a un bilan de pouvoir et personnel à défendre et à laisser à la postérité. Avec un budget de treize milliards de gourdes, le régime Lavalas auquel je ne suis pas politiquement lié – je le redis – avait construit plus de lycées et d’écoles nationales qu’au cours de nos deux siècles d’histoire. Dans la zone métropole de Port-au- Prince, on y trouve un lycée à Grand-Ravine, à Cité Soleil, à Croix des Bossales, à Croix-des-Missions, à Delmas 75, à Petite Place Cazeau, à Croix des Bouquets, pour ne citer que ceux- là. La plupart de ces endroits aujourd’hui sont devenus peu fréquentables à cause de la violence des groupes armés.

Avec ce petit budget, des places publiques, des centres de santé et des hôpitaux ont été construits pendant son règne. Chez moi, à la Gonave, neuf (9) écoles nationales et deux (2) lycées ont été érigés pendant qu’il était au pouvoir. Des jeunes qui étaient condamnés par la misère et l’ignorance ont tous leur bac II.

Comme puis-je avoir honte de rappeler ce qui constitue pour moi une immense joie ? La vérité qui m’inspire est forte. Ce n’est pas de la manipulation ni de fausses nouvelles ni de la propagande répugnante : l’engagement de Jean-Bertrand Aristide en faveur de l’éducation et la rédemption des masses rurales et urbaines est réel. Ce sont des faits palpables! Au pouvoir, on ne peut pas parler de volonté mais de résultats. Être intelligent en politique ne consiste pas fomenter des coups, des complots, des manœuvres basses, c’est plutôt être capable de résoudre les problèmes fondamentaux du pays. Car comment scientifiquement mesurer un rêve ou la volonté de bien faire quand on a été au pouvoir et qu’on veut y revenir ? C’est en présentant un bilan positif au peuple. C’est la seule façon de prouver qu’on respecte les citoyens. L’intelligence veut dire résultat, efficacité, performance et capacité de résoudre les problèmes.

Sous l’administration du Président Aristide, il y avait la corruption. La corruption n’est pas un fait aristidien. Elle n’était pas la norme ni une politique gouvernementale appliquée pendant son administration. La corruption et la médiocrité sont nos points de consensus ici, les seuls que nous ayons acceptés jusqu’à présent. Sous son règne, il y avait la violence mais celle-ci était quelque fois maîtrisée. Les criminels n’assassinaient pas le peuple. Quoiqu’on dise, Aristide a une sensibilité populaire évidente. Il est un élément productif et éclairé. Ses manquements, on les connaît tous. On a la possibilité d’en parler. La majorité qu’il représentait n’était pas bête. Ce qui semble être une défaite, c’est que la minorité qui a occasionné sa chute du pouvoir, au service des acteurs dominants et des maîtres étrangers est incapable de corriger les fautes pour lesquelles il était sujet à tous les malheurs. C’est pourquoi il continue à incarner l’espoir pour une majorité de nos compatriotes, une source de lumière plus élevée.

L’Université de la Fondation Aristide est une œuvre colossale réalisée par un passionné. En face de ses adversaires, comme ses admirateurs, il est en train de réécrire son histoire qui est une très belle aventure humaine.

Le président Aristide ne laisse à personne la possibilité d’écrire son histoire. Il est l’auteur de sa propre histoire, qui ne laisse personne indifférente. C’est qu’il fait avec l’UNIFA. On peut être amnésique volontaire ou jaloux, il est un fait que le recteur de l’UNIFA prend le chemin des astres. Il n’est peut-être pas le seul mais la dynamique du recul nous permet de raconter son histoire autrement. Le faire autrement dans une perspective de vérité. Ce faisant, c’est rendre justice à Aristide avant que la vie ne le condamne à la déchéance existentielle ( la mort) sans que le peuple ne sache les raisons pour lesquelles les avancées ont été brutalement freinées pour tomber au niveau de toutes les abjections. Je me contente tout simplement de souligner les progrès accomplis par cet homme d’élite, fanatique et défenseur du grand nombre en âme et en chair. Et je me plais toujours à répéter que l’histoire a été tout ce qui était possible à un moment de la durée mais il ne faut pas abandonner malgré la fécondité de la malchance successive à laquelle nous sommes exposés. Cela marchera ou alors il faudrait désespérer du pays.

Amour et admiration pour le Dr Jean-Bertrand Aristide.

Honneur et mérite à mes anciens professeurs se trouvant à l’Île de la Gonave.

Honneur à Madame Mirlande Manigat qui, à quatre-vingt-deux ans, se trouve encore dans une salle de cours. Avec le Recteur de l’UNIFA, prenons ensemble la route des astres et ouvrons la chambre du pardon à tous ! L’oubli est souvent pardon de soi. La haine n’est pas constructive.

Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à la faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti
Professeur de droit des affaires à l’UNIFA
Port-au-Prince, 28 mars 2023.
tél : +509-44 07 35 80
sonet.saintlouis@gmail.com

1 COMMENT

  1. J’ai vecu en haiti durant la courte administration Aristide. Des jours sombres dont il n’etait pas necessessairement responsable, notre pays etant peuple de monstres! Cependant je dois dire que depuis son depart, vu les vomi qui sont passes au pouvoir, je pense qu’Aristide est trop « fin », trop cultive pour mener un tel peuple de vandale. Je pense que Martelly a mis le pays K.O et a baisse les standards au plus bas. Aujourd’hui je vois Aristide tel un Prince…compare aux vomis qui l’ont precede bien sur.

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