L’intrusion du syndicalisme dans la magistrature : ses contributions à la justice

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par Marthel JEAN CLAUDE*

Dimanche 19 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

Le syndicalisme dans la magistrature fut considéré, jusqu’à une époque très récente  comme totalement impensable. Les raisons semblent multiples,  parmi lesquelles l’existence du devoir de réserve imposé aux magistrats qui paraît à première vue incompatible avec un engagement syndical. Ce devoir est considéré comme une valeur centrale de l’éthique judiciaire et la contrepartie de son indépendance.

La  mise en place du mouvement syndicaliste dans la magistrature trouve son origine dans la volonté et la nécessité de défendre les intérêts d’une profession dont les rapports avec le pouvoir politique  ont été problématiques et continuent de l’être.

En Haiti, le mouvement syndical dans la magistrature a connu une évolution assez considérable où en 2003, nous avons eu la toute première association syndicale, l’Association nationale des magistrats haïtiens (ANAMAH). Cette structure militait toute seule  pour la défense des interêts des magistrats. Il a fallu attendre plus de onze ans après pour voir l’arrivée sur la scène l’Association professionnelle des magistrats (APM) formée par une jeune génération de magistrats fougueux, dynamiques qui partageaient les valeurs qui fondent une justice forte et  indépendante. Plus   tard, le monde syndical au sein de la magistrature vont être rejoint par  le Réseau national des magistrats haïtiens (RENAMAH) et l’Association des juges de paix haïtiens (AJUPHA).

Le pouvoir judiciaire ne peut exister qu’à une triple condition : du respect pour les magistrats et l’ensemble des personnels qui servent la justice ; des moyens adaptés pour lui permettre de fonctionner et des garanties statutaires assurant réellement l’indépendance des magistrats en les soustrayant aux interventions des deux autres pouvoirs. Pour y arriver, les syndicats de magistrats ont un rôle crucial à jouer.

Au cours de ce  développement, je me fixe pour objectif de relever quatre éléments que l’intrusion du syndicalisme dans la magistrature  a favorisé.  Il s’agit du sentiment d’appartenance de corps dans la magistrature (1), de l’affirmation par les juges de leur indépendance (2), de l’amélioration des conditions de travail et de traitement  des magistrats  (3) et du respect du principe de  l’inamovibilité et la carrière des juges (4).

1-. Le sentiment d’appartenance de corps dans la magistrature

La magistrature constitue un corps hétérogène  social et structurel en raison  de diverses voies d’accès qui existent. Par ailleurs,  les magistrats viennent d’horizons différents. Cette hétérogénéité sociale ne constitue pas  pas pour autant un handicap, car, les membres de ce corps qui sont les magistrats partagent en commun des valeurs qui caractérisent  et qui fondent le métier de magistrat.

Il est à souligner que l’hétérogénéité sociale structurelle de la magistrature permet de comprendre pourquoi elle ne peut se concevoir comme un corps homogène et uniforme : il existe des divisions sociales qui conditionnent des oppositions dans la manière de concevoir la justice et de pratiquer les fonctions de magistrat.

Les magistrats dans leur travail font face face aux mêmes contraintes et  difficultés qui les obligent à réfléchir ensemble sur les voies et moyens pour y remédier. Dans cet état d’esprit, il est indispensable qu’ils nourrissent et cultivent cet esprit de corps sans lequel, il leur sera difficile d’évoluer.

Il est une évidence que les  associations de magistrats bénéficient au sein de la  magistrature d’une légitimité certaine qui leur permet de maintenir entre les magistrats le sentiment d’appartenance  de corps. Pour ce faire, elles promeuvent et diffuse, cet esprit de corps, censé lier les magistrats entre eux. Les  associations de magistrats sont les outils qui  façonnent l’esprit de corps et le sentiment d’appartenance commun à un même même profession. Chaque fois qu’un seul magistrat faillit, c’est la justice entière qui est discréditée. Si par ce sentiment de corps, l’un peut aider l’autre à ne pas faillir, ce serait, à mon avis, une atout considérable pour le corps de la magistrature.

2-. L’affirmation par les juges de  leur indépendance

L’indépendance de la justice est  une conséquence directe d’une interprétation stricte du principe de séparation des pouvoirs et un corollaire nécessaire à la protection judiciaire des droits. Sans indépendance en tous cas, point d’existence du pouvoir judiciaire ; point de puissance de juger si cette fonction est confondue avec le législatif ou l’exécutif aurait dit Montesquieu.

L’’indépendance  de la justice est donc un gage pour le justiciable. Conscient de cela, les associations de magistrats se sont données pour mission première de lutter pour  l’indépendance  effective du pouvoir judiciaire. Pour remplir  efficacement cette mission, elles font un travail de conscientisation vis-à-vis des juges pour les inviter à maintenir et garder jalousement leur indépendance. Le rôle  de chien de garde de l’indépendance de la justice que l’on confère, à juste titre, aux associations de magistrats a permis à nos juges d’affirmer de plus en plus leur indépendance.

L’on se souvient des péripéties des nos collègues juges de paix à l’occasion des joutes électorales qui ont été confrontés à des tentatives des uns et des autres pour essayer  de les mettre sous couple réglée. Il a fallu les interventions des associations de magistrats pour faire calmer les choses.

Les associations de magistrats constituent un roc solide dans la défense collective et individuelle de l’indépendance des juges. Ce rôle de défenseur privilégié des magistrats a permis, au fil des années aux juges d’affirmer leur indépendance ; car, ils savent qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils seront soutenus et défendus par les syndicats de magistrats lorsque leur indépendance est remise en question.

3-. L’amélioration des contributions de travail et de traitement  des magistrats

Depuis des lustres, la justice et les magistrats sont traités en parent pauvre. Avec un pourcentage  avoisinant le 1 % du budget national, il ne fait aucun doute que la justice n’a jamais été parmi les priorités de l’État.             Les conditions de travail et de traitement  des magistrats laissent à désirer.  Cet état de fait est largement dénoncé par les associations de magistrats. Beaucoup de lutte ont été menée par les juges sous le leadership des syndicats de magistrats. La vaillante association professionnelle des magistrats (APM) n’a, en ce sens, jamais ménagé ses efforts.

Bien qu’il reste beaucoup à faire, il est à reconnaître que les maigres améliorations des conditions de  travail et de traitement  des magistrats  que l’on peut  constater est le fruit des luttes qui ont été conduites sous le leadership des associations de magistrats.

Il est indéniable que les associations de magistrats restent et demeurent le fer de lance des mouvements revendicatifs au sein de la magistrature. Elles sont le canal par qui les revendications  des magistrats doit inévitablement passé.

4-. Le respect du principe de  l’inamovibilité et la carrière des juges

L’inamovibilité est traditionnellement conçue comme une garantie d’indépendance statutaire attribuée aux magistrats du siège de l’ordre judiciaire afin de les protéger contre le risque d’éviction arbitraire par le pouvoir politique. Elle est ainsi supposée faire bénéficier les magistrats d’une protection exorbitante par rapport au droit commun de la fonction publique où ils ne peuvent être mutes sans leur consentement.

Ce principe,  bien que consacré dans les dispositions de l’article 177 de la constitution, n’était pas toujours respecté par l’exécutif qui décidait  de muter et même de mettre fin aux fonctions de certains juges. Cette situation a été l’objet de vives protestations par les associations de magistrats. Il a fallu l’installation du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire pour voir cesser ces pratiques.

Le métier de magistrat doit donner la possibilité à ceux qui l’exercent  le droit de faire carrière. C’est  la l’une des conditions  qui permettra à la magistrature de se professionnaliser. La question de mandat des juges constitue un frein en ce sens.  Même si le renouvellement des mandats des juges n’est pas automatique, il ne revient nullement à l’Executif de décider qui il veut nommer et qui il ne veut pas pas nommer. Cet attitude est  fort souvent dénoncé par les associations de magistrats.

Il reste encore beaucoup de choses à dire en passant en revue l’intrusion du syndicalisme dans la magistrature. Il est sans conteste que les  maigres avancées que la justice ont connu ces derniers temps sont le fruit des luttes conduites par  les syndicats de magistrats. Les inconvénients que  l’on pourraient faire état ne peuvent pas remettre en cause le bien fondé des syndicats de magistrats. Les justiciables devraient se réjouir d’une telle existence. Quant aux magistrats, il y va même de leur avenir.

A l’heure actuelle, personne ne peut imaginer leur suppression. Autant dire que les amants de la magistrature et de la justice ont tous intérêt à les épauler, à les encadrer afin qu’elles soient plus efficace dans la lutte pour une justice forte et indépendante et pour l’amélioration des conditions de travail et de traitement des magistrats.

Marthel JEAN CLAUDE est président de l’Association professionnelle des magistrats (APM). Il est juge et juge d’instruction au tribunal de première instance de Port-au-Prince.

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