Elza Noel : Yon Pye Mapou ki Tonbe!

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Jeudi 9 mars 2023 ((rezonodwes.com))–

C’est une longue histoire. A l’âge de dix (10) ans, j’accompagnais seul ma mère à l’hôpital de l’université d’état d’Haïti, l’expérimenté docteur Nicolas allait m’apprendre que maman n’avait pas plus qu’un an à vivre, nous étions en 1975. Elza Noel « souffrait d’un grave ulcère à l’estomac, avec les médicaments, par-dessus tout très coûteux, elle pourra tenir jusqu’à l’année prochaine ». Quelle terrible nouvelle pour un fils unique âgé de dix ans qui n’avait pas encore rencontré son père !

« L’homme propose, mais Dieu dispose », maman allait vivre jusqu’à 82 ans. Elle est morte le 5 mars dernier, soit deux jours avant sa date de naissance, 48 ans après le diagnostic du docteur Nicolas. Qui était cette femme extraordinaire qui avait pavé la voie a toute une génération !

Née le 7 mars 1941 à Grand-Fond, la première section communale de Saint-Louis du Sud. Elle fut la fille de madame Ernoce Clé et de Mr Lhérisson Noel, deux authentiques paysans. Elle n’avait pas fait de grandes études classiques, le sexe féminin n’était pas encouragé à poursuivre des études, comme c’était courant à cette époque. Cependant, elle savait lire sa Bible et son chant d’espérance, deux fidèles compagnons de sa vie, et définitivement elle a décroché son doctorat à l’école de la vie.

En revanche, elle voulait que son fils unique, Joel Leon, aille le plus loin possible dans ses études. Ainsi, après avoir complété le cycle de « Certificat d’Études Primaires, un voisin l’avait conseillé de m’envoyer chez le tailleur du quartier pour apprendre le métier. D’après ce que maman me racontait des années plus tard, elle a répondu que « ce bonhomme est trop intelligent pour le sortir d’école après les études primaires ». Ainsi, j’ai eu la chance de poursuivre mes études secondaires, puis supérieures.

Il faut ajouter que maman n’était pas seule dans ce brutale combat de la vie, elle était entourée de ses sœurs maternelles, Juliette et Henriette et de son frère Louis Sémexant, sans omettre d’ajouter celles paternelles, Celia et Inet Noel.

Prendre naissance dans une section communale au début des années 1940 dans une famille pauvre de la paysannerie, est déjà un acte de condamnation sociale. Elle l’avait compris de très tôt que son épanouissement et celui de ses descendants devait être différent. Ainsi, elle a décidé de quitter « Grand-Fond » pour prendre refuge dans le chef-lieu du département du sud, les Cayes. Arrivée là-bas, presque sans support, elle travaillait comme domestique chez des familles aisées de la ville, en faisant de la lessive, de la cuisine et d’autres tâches ménagères pour eux en échange d’un peu d’argent afin d’aider ses sœurs restant avec sa mère, Ernoce Clé a « Grand-Fond ».

Ensuite, elle s’était déplacée vers Cavaillon. C’est dans cette petite ville qu’elle rencontra mon défunt père, Bétonne Leon. Tombée amoureuse de ce dernier, elle n’a pas pris beaucoup de temps pour être enceinte de moi-même.

Elle quittait Cavaillon après m’avoir mis au monde, elle débarquait à la capitale, Port-au-Prince, ou son oncle Pepe y vivait déjà, c’était son pied-à-terre. Là, elle reprenait la même formule, en travaillant chez des citoyens aisés, dont Mr Pradel Pompilus. Je dois rappeler que de « Grand-Fond » à la ville des Cayes, ensuite Cavaillon, puis Port-au-Prince, elle avait toujours créé un espace d’accueil pour ses sœurs : Juliette, Henriette, Celia, Inet, Naomie et d’autres membres de sa famille !

En 1975, elle tomba malade et réalisa qu’elle ne pouvait plus continuer à faire ce genre de travaux domestiques qui exigeaient beaucoup trop d’une personne, en plus de ne pas pouvoir prendre directement soin de moi, car elle devait me voir pendant seulement 1 jour par semaine. Après des mois de convalescence sous l’effet des médicaments, elle devait prendre une décision afin de prendre soin de sa famille !

A ce moment-là, on vivait déjà sur la route des dalles, tout près de la première avenue Bolosse. Elle réfléchissait sur quel genre d’activités à entreprendre avec la maigre ressource qui reste, ainsi est venue l’idée de faire de la couture sans être couturière, en fait de la pacotille. Elle avait acheté une machine-à-coudre de mark « Singer », c’est ainsi qu’elle commença à confectionner des « chemises-de-nuit, des culottes, des jupons… ». Le petit commerce ne prenait pas beaucoup de temps pour devenir rentable. De mon côté, apres avoir récité mes leçons et pendant le weekend je l’aidais à coudre pour en échange d’un peu d’argent que j’utilisais pour me rendre au cinéma, tel que : Olympia, Lido, Montparnasse, Rex Théâtre, Union, Sénégal… et m’acheter aussi du jus de citron et du pain a mamba chez Jean à l’avenue Fouchard. Honnêtement, ce fut une belle époque !

Elza Noel est la typique représentante de Marilisse, le personnage mythique du roman de Frederic Marcelin. Elle travaillait durement pour prendre soin de sa famille et d’aider les autres…Ces femmes du peuple comme ma mère, on ne les voit pas à la télévision, elle ne fait pas les manchettes des journaux, on ne parle pas d’elles à la radio non plus, mais ce sont eux qui font la vie en Haïti.

Se fanm sa yo ki redi ven dèyè yo nan mache seradòt, se neg sa yo ki swe gren yon lavil dèyè bouret, anba chaj, anba panye pate cho, sak manje…ki pèmèt anpil neg ak nèges dekwoche gwo diplom nan inivèsite…kom rekonpans, anpil nan yo transfòme tet yo an bouwo pep ayisyen, yo vòlò tout resous leta, yo touye yo…ki eksplike peyi a twouve l nan eta sa a jodia.

À l’occasion de la mort de ma mère, Elza Noel, je voulais partager avec la société haïtienne l’histoire d’une authentique femme haïtienne qui a vécu sa vie dans la dignité, l’honneur et le respect…dans la douleur et le silence.

Elle ne m’avait jamais répété, pas même une fois de ma vie : « mon fils, je t’aime », mais je sais sans aucun doute qu’elle m’aimait avec toute son âme. Ses actions me le prouvaient quotidiennement, ses regards me l’exprimaient indiscutablement, son esprit de sacrifice de me procurer tout ce dont j’avais besoin traduisaient son grand amour maternel. Le vrai amour n’est pas seulement expressif, il est définitivement actif aussi !

Elza Noel fut une femme de principes et d’honneurs. Elle était une chrétienne jusqu’aux os. Quand elle disait oui, elle le maintenait. Sè Nwel, comme on l’appelait couramment, prenait du plaisir à aider les autres en partageant ses maigres moyens ressources avec ses semblables. Elle fut très rationnelle et dit toujours la vérité sans aucun effroi. Je suis le fils de cette femme exceptionnelle qui s’appelait, Elza Noel !

Elle m’a passé toutes ces valeurs, dont je suis devenu esclave. Ces valeureuses femmes du pays ont tout donné, si Haïti n’est pas classée parmi les plus grands et riches pays du monde, elles ne sont pas responsables.  Elles respectent les lois de la république, servent leur pays avec honneur en contribuant à son épanouissement économique et social, donnent naissance aux serviteurs de la république, acceptent toutes sortes d’abus sans être découragée, sacrifient tout pour le bien-être de leurs enfants…tout ceci en échange de rien !

Tendre mère Noel, bonne traversée !

Joel Leon

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