Haïti : gouvernance et stabilité politique
Dimanche 1er janvier 2022 ((rezonodwes.com))–
1. De la grandeur à la déception
Le 1e janvier 2023, la République d’Haïti aura 219 ans. Son profil global est celui d’un pays qui se tient debout sur le chaos. En effet, moins de deux ans après son indépendance, Haïti est entré dans un cycle de turbulences politiques chroniques, caractérisé par des coups d’état intempestifs. Ce qui affecte son économie, sa population, son environnement, sa souveraineté et son image. Les mesures ingrates de l’international (notamment la France, les États-Unis et les institutions de Breton Wood) et les pratiques mafieuses de l’oligarchie très peu d’origine haïtienne et de la classe politique, alliées à des fonctionnaires corrompus et aux intérêts internationaux, ont finalement transformé Haïti en un véritable cauchemar.
Après 1986, le pays s’est ouvert à un nouveau régime politique, dit démocratique, avec pour mode de renouvellement préférentiel des élections. Là encore, pour protéger leurs intérêts et perpétuer leur domination, les acteurs susmentionnés ont travaillé à faire échouer la démocratie en Haïti. Le pays devient à la fois plus dépendant et plus instable, avec un affaiblissement scandaleux des institutions publiques, qui aura aussi entrainé la débâcle des autres institutions éducatives, morales, communautaires et combitiques du pays. L’occupation des Nations Unies, d’une durée plus longue que celle des États- Unis d’Amérique, ajoute son lot de misères : choléra, viols, et autres. Dans ce jeu macabre, les gangs ne sont pas un électron libre. Par moments, il semble qu’ils ont une fonction de créer des turbulences, en particulier chaque fois qu’il est question de renouveler le mandat d’une des missions des Nations Unies. Dans d’autres contextes, on a l’impression qu’ils exécutent un mandat de protection des intérêts de membres puissants tant de la classe d’affaires et politique que de l’impérialisme international.
Après l’assassinat crapuleux du président Jovenel Moïse, on assiste à une flambée de l’insécurité, du kidnapping, des violences, des crimes, notamment au niveau de la Capitale, causant chez la population la peur, des préjudices psychologique, moral et matériel. A cela s’ajoutent le lock, la crise du carburant, la fermeture prolongée des écoles, l’impunité, l’inflation, la faillite des entreprises et les mises à pied, l’aggravation de l’insécurité alimentaire et de la décote de la gourde. C’est aussi une crise de leadership et de vision partagée, une incapacité d’arrêter la fuite des jeunes vers des terres hostiles. Le peuple est en mode d’observation et cultive un doute prudentiel, étant victime de l’opportunisme de certains leaders politiques. C’est le désenchantement.
Échec et mat
Dans cet imbroglio, il faut tout simplement constater l’échec non seulement de l’élite qui n’a pas su prendre de la hauteur et assurer un leadership qui fait la différence, comme l’a déjà souligné Jean Price Mars à son retour en Haïti, mais plus globalement du peuple qui est redevenu esclave de l’international, en particulier du blanc. Celui-ci se comporte comme un nouveau colon sur le sol haïtien, le gouverneur étant le Core groupe. Notre incapacité du moment, expression d’un manque de méthode, de courage et de morale, montre que nous choisissons collectivement de vivre à genoux contrairement à nos ancêtres, dont le slogan était de « vivre libre ou mourir ». Haïti, jadis terre de liberté, est devenu un laboratoire d’expérimentation de méthodes et de mécanismes de renouvellement du système impérialiste.
L’international se complait dans une sorte de valse adoucissante, dont les mouvements vont de la reconnaissance de son propre échec à des sanctions captivantes, sans toutefois administrer des preuves et donner à Haïti la possibilité d’entamer des poursuites (bien sûr quelle justice ?), et à une guerre d’usure qui finalement semble avoir raison de tout le monde. Pendant qu’il dit que les solutions doivent venir des Haïtiens, il manipule pour faire passer son propre agenda. Montana aurait pu être une réponse d’un moindre mal, s’il avait pris la route des provinces pour rencontrer les organisations et la population, au lieu de passer le plus clair de son temps à parlementer dans les médias, à faire des discours, à agir comme un club de copains à Port-au-Prince ou à tergiverser entre eux et à s’asseoir avec des responsables et des chargés de missions internationales qui ne font que rouler ses représentants dans la farine. Alors, vu que l’international a rallié à sa cause les opportunistes et est proche du but, qui consiste à placer au pouvoir ses poulains pour être toujours au contrôle, en suivant un processus qui
doit déboucher sur des élections et lui donner un satisfecit de retour maquillé à la démocratie, tout ce qu’il nous reste est d’être réaliste et vigilant pour avoir un moindre mal qui facilitera un minimum de stabilité et de progrès. Sinon, une autre synergie consensuelle s’impose avec force et intelligence.
Vœu de renaissance pour 2023
En cela, nous croyons opportun de recourir à un nouveau paradigme « le pouvoir aux plus capables, pour le bien-être du plus grand nombre », différent toutefois dans ses assises théoriques des idéologies du Parti libéral et du Parti national. Est-ce faisable, donc possible et réaliste ? Pour que cette théorie fonctionne et ait la chance de fructifier et prospérer longtemps, voire permettre de faire un saut qualitatif, ces 4 éléments paraissent déterminants : le savoir, le pouvoir, l’avoir et la morale éthique.
Le savoir fait ici référence au capital humain, en termes de : connaissance, intelligence, éducation, culture, probité intellectuelle (« science sans conscience n’est que ruine de l’âme »). Le pouvoir renvoie au capital social en termes de leadership et de charisme, donc à la capacité autant de mobiliser et de recoudre le tissu social et politique déchiré que de négocier avec différents interlocuteurs nationaux et internationaux et de protéger les intérêts collectifs. L’avoir s’adresse aux actifs matériels et immatériels, notamment en termes d’expériences, de réalisations et de capacité de création de richesses. C’est la nouvelle grille d’appréciation à laquelle doit satisfaire tout aspirant au pouvoir ou à un poste de responsabilité majeure.
Si les 3 premiers éléments se retrouvent à des moments dans la vie politique, par contre la morale éthique fait en matière d’application des valeurs général défaut dans le système haïtien, tant en fondamentales, des normes et des règles, qu’en termes de mécanismes de contrôle et d’évaluation pour assurer la transparence, la crédibilité, la participation et la reddition de compte. Elle symbolise la flamme qui éclaire, guide, incite à prendre les bonnes décisions pour répondre aux besoins et satisfaire les attentes du peuple. Elle constitue donc les vaisseaux qui alimentent les institutions en énergie et qui en font leur force pour protéger la société, sanctionner ou pénaliser quand on s’écarte du droit chemin et des règles du jeu.
Mais, qui va mettre la cloche au cou du chat ? La société n’a pas d’autre choix que de se réveiller, agir et se battre. Personne n’est au-dessus de la loi, en même temps que celle-ci doit être la même pour tous. C’est à cette seule condition que la stabilité s’établira en Haïti et sans laquelle le pays ne pourra ni prospérer ni s’améliorer. Ce ne sera plus la dictature des dirigeants, du béton, des gangs ou de l’international, mais plutôt celle des lois, en tant qu’expression des droits et devoirs des citoyens, pour une société juste et équitable. C’est aussi à cette condition que l’Haïtien reprendra le bouton de contrôle qui, pour le moment, lui échappe et est commandé à distance.
Il vient le temps de rendre l’accès au pouvoir une entreprise méritoire, comme le prêche l’évangile selon lequel « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». Il vient le temps de sanctuariser le bien collectif, de rendre l’exercice du pouvoir une avenue pavée de bonnes intentions et une ascèse, de moraliser la vie du citoyen même si cela doit restreindre certaines libertés individuelles. Les grandes dérives de notre société actuelle, expression d’une mutation dramatique précoce, sont en grande partie liées aux ouvertures libertaires prônées tant par la bamboche démocratique que par les égarements inhérents à la Constitution de 1987, dans une sorte de mimétisme des sociétés occidentales dont les cultures, les structures de gouvernance et le niveau d’avancement sont tout à fait différents des nôtres. Il vient donc le temps de rectifier le tir, de remettre le citoyen et le pays sur les rails d’une société qui assume sa réalité ontologique pour se reconstruire en tant qu’être de lumière et pour faire face tant à la mondialisation qu’au défi climatique.
Abner Septembre
Le 31 décembre 2022