La République Dominicaine et Haïti en Transe Historique

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par Jean Garry Denis
Port-au-Prince, Haïti

Vendredi 23 décembre 2022 ((rezonodwes.com))–

Suite à l’article de l’Ambassadeur Lockward intitulé : La République Dominicaine est en Guerre contre Haïti, j’ai voulu réaliser un débat essentiellement académique empreint de respect et cordialité pour les lecteurs désireux d’approfondir l’histoire commune des deux pays en fonction de nos éclairages et de nos critères respectifs. Malheureusement l’Ambassadeur a considéré ma réaction légitime sur une déclaration du Président Abinader comme une offense. Dans ce cadre, je ne peux laisser passer cette opportunité sans apporter mes clarifications non seulement à l’Ambassadeur, mais aux lecteurs charmées par son verbe séducteur.

Même minoritaire, j’ai toujours fait preuve de courage et d’honnêteté pour assumer mes positions. Je n’ai fait qu’employer une métaphore des enfants turbulents pour extérioriser ma réaction, je regrette cette lecture de l’Ambassadeur qui envenime la sérénité de ce débat productif. Par contre, je réitère ma position de protestation contre les brutalités du processus de rapatriement, le caractère irrévérencieux et irrespectueux de propos de bons nombres d’officiels dominicains sur Haïti, la déclaration du Président disant qu’Haïti serait extrêmement riche si sa magie fonctionnait. M. L’Ambassadeur, si dans votre logique, ma réaction constitue une offense, dans la mienne, elle n’est qu’une simple exigence de respect . Rassurez-vous, je ne cherche nullement comme c’est le cas de bien d’autres politiciens à engranger un quelconque capital politique. Mon objectif, c’est de voir s’établir un rapprochement sincère et rétablir des vérités sur l’histoire commune des deux peuples partageant l’ile.

M. l’Ambassadeur, avec toute la science qu’on vous connait, dans votre prochaine intervention sur le vaudou, je vous conseillerais d’élargir votre horizon sur l’histoire des religions et les subtilités entourant les concepts de spiritualité et religion. Plus qu’une religion, le vaudou est une spiritualité animiste visant une harmonisation des quatre principales forces de la nature : la terre, l’eau, le feu et l’air. Cette cosmogonie a toujours cru au principe de la matérialité de l’esprit et de la spiritualité de la matière. Avec la physique quantique d’aujourd’hui nous savons que les particules de la matière ne sont pas inertes et ont une âme, une pensée, une intentionnalité avec une grande capacité pour influencer notre spiritualité. Le symbolique de Dieu dans le vodou a toujours été abordé sous l’angle des phénomènes d’observation de la nature.

Toute cette littérature visait à lever le voile sur le vaudou, pour parler de son parcours et sa philosophie, mais par-dessus tout prendre le contrepied de votre affirmation selon laquelle le vaudou est une création haïtienne centenaire formée de rites africains et du Catholicisme. Naturellement, on ne peut nier le syncrétisme découlant de la rencontre des civilisations africaines et européennes, mais parler du vaudou comme une création haïtienne est archifaux. C’est une civilisation millénaire très forte dans des pays ayant des origines africaines comme la Santeria à Cuba, le Condonmbe au Brésil, les Palenques en Colombie. Je profite pour saluer le Président Boric, qui a mis en exergue la spiritualité des Mapuches Chiliens lors de son investiture.

Concernant l’histoire commune des deux pays, pour votre gouverne M. l’Ambassadeur, je ne suis pas ce type de nationaliste prisonnier du passé cherchant à nier la réalité de misère dans laquelle végète le peuple haïtien, loin de moi, mon objectif c’est de rétablir les vérités historiques sans auréoler, ni minimiser le rôle d’Haïti dans cette histoire partagée. Sur ce, je salue votre rappel sur la préférence de Nuñez de Carceres pour une alliance avec la Grande Colombie, mais ça n’altère en rien les données sur les divergences à Santo Domingo à l’époque. D’ailleurs, l’Indépendance de la Grande Colombie, a été acquise grâce aux valeurs de solidarité du mouvement de 1804 avec Francisco de Miranda et Simon Bolivar qui ont séjourné en 1805 et 1816 en Hauti. Malheureusement le triomphe de ces mouvements n’a pas éliminé l’esclavage, et paradoxe déconcertant, en 1826, Haïti n’était pas invité à participer au congrès des nations américaines à Panama.

Concernant l’apport de la solidarité haïtienne durant la guerre de restauration aux combattants dominicains, spécialement Francisco de Rosario, un des trois pères de la patrie dominicaine, je ne considère nullement cette solidarité comme un acte de reniement à son patriotisme. On peut se différencier sans discriminer, d’ailleurs l’exaltation de la différence dans ce monde globalisé est une richesse.

La révolution haïtienne fut une lutte de classe prenant l’allure d’une guerre de race, puisque les maitres étaient blancs et les esclaves noirs. Je n’ai jamais pensé que l’esclavage fut une question de couleur, puisque les blancs appelées 36 mois ou Engagés étaient eux aussi assujettis presque à la même oppression. Votre rappel sur l’esclavage des blancs ne m’est d’aucune nouveauté, sinon un moyen pour diminues la portée unique du mouvement de 1804 que vous avez réduit en une nuit de petits couteaux. Je ne m’imagine vous qualifier de Gauchiste, donc ce duel évoqué dans votre précèdent article n’aurait jamais eu lieu, mais cependant, souffrez que je vous recommande grandement la méthode du Matérialisme Historique, si vous voulez comprendre mieux la Révolution Haïtienne.

Pour finir, je veux réaffirmer que le Président Abinader se trouve à un carrefour historique pour jouer un rôle proéminent dans la résolution de la crise haïtienne et ceci, dans la logique des intérêts stratégiques de son pays en relayant les sanctions internationales contre les oligarques corrompus qui ont détruit l’économie haïtienne et en dynamisant une coopération responsable avec les forces de sécurité haïtiennes pour combattre les gangs. Le développement d’Haïti contribuera à coup sûr à la prospérité de l’économie dominicaine et vice versa. Malheureusement les violations brutales et flagrantes des conventions internationales relatives aux droits des migrants ont flétri le prestige du Président Abinader.

Il est encore temps d’y remédier !

Jean Garry Denis
L’auteur est Directeur Exécutif de l’Institut Haïtien d’Observatoire de Politiques Publiques (INHOPP)

Traduction Française de l’article paru sur Listin Diario en date du Vendredi 23 Décembre 2022

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