Haïti – Corruption : Le RNDDH dénonce une tentative de libération de 2 présumés assassins par le juge Jeanty Souvenir

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Rapport RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains

Introduction et Méthodologie

 Selon des informations parvenues au Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), le 11 novembre 2022, le substitut commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Maître Jeanty SOUVENIR, a tenté de libérer Amos EDMOND et Signoly EDMOND, deux (2) inculpés poursuivis pour assassinat alors que leur dossier est pendant par devant le cabinet d’instruction d’un magistrat.

2. Ayant été informé de cette tentative par des proches de la victime, le RNDDH a immédiatement diligenté une enquête. Il se fait le devoir de partager avec l’opinion publique, les informations recueillies sur le terrain, autour de ce dossier.

3. Dans le cadre de cette enquête, le RNDDH s’est entretenu avec : • Trois (3) proches de Gabriel FRANÇOIS, la victime d’assassinat ; • Les inculpés Amos EDMOND et Signoly EDMOND ; • Le juge d’instruction Martel JEAN-CLAUDE ; • Le substitut commissaire du gouvernement Jeanty SOUVENIR ; • Des membres de la communauté de l’Anse-à-Galets. II. Les Faits tels que reconstitués par le RNDDH

4. Dans la soirée du 19 au 20 juin 2021, Gabriel FRANÇOIS, âgé de quatre-vingt-six (86) ans, a été assassiné à Nan Café, une localité de la commune d’Anse-à-Galets.

5. La victime, accompagnée de sa nièce Dermilia SOIRO, rentrait chez lui ce soir-là. Ils ont voulu prendre une motocyclette. Cependant, il manquait le marchepied à celle qui a été requise pour les ramener, conduite par le sieur Mézidor ST-LOT. Gabriel FRANÇOIS et Dermilia SOIRO ont décidé de ne pas la monter en raison du fait que Gabriel FRANÇOIS aurait alors eu trop de difficultés à s’asseoir sur la motocyclette en question.

Amos EDMOND et son fils Signoly EDMOND qui se tenaient non loin de Gabriel FRANÇOIS et de Dermilia SOIRO ont proposé à Dermilia SOIRO de faire la course avec Mézidor ST-LOT, promettant d’accompagner eux-mêmes Gabriel FRANÇOIS chez lui. Elle a accepté. Mais son oncle n’est jamais rentré à la maison.

7. A l’aube du 20 juin 2021, Dermilia SOIRO qui avait alerté la communauté de la disparition de son oncle, l’a cherché sans succès. Dans le courant de la journée, le corps sans vie et ensanglanté de Gabriel FRANÇOIS a été découvert sous une chute d’eau.

8. Jérémie LAPOINTE, membre du Conseil d’Assemblée des Sections Communales (CASEC) de l’Anse-à-Galets, a procédé au constat du cadavre avant d’ordonner de le lever et de le déposer dans une morgue de la ville.

9. Le 22 juin 2021, le juge Junior ALTENOR du Tribunal de paix de l’Anse-à-Galets, a auditionné Amos EDMOND et son fils Signoly EDMOND. Ils ont été arrêtés puis transférés au Commissariat de l’Anse-à-Galets, en attendant que les informations préliminaires soient complétées pour leur acheminement ainsi que le dossier, au Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince.

 10. Deux (2) jours après, soit le 24 juin 2021, Mezidor ST-LOT – le conducteur de la motocyclette qui avait ramené Dermilia SOIRO chez elle – a lui aussi été arrêté et auditionné par le juge de paix. Il a été relâché le 7 juillet 2021.

11. L’enquête du RNDDH révèle cependant que le magistrat Junior ALTENOR a ordonné la libération de Mezidor ST-LOT contre pot-de-vin. L’argent réclamé par le magistrat a été transféré en Haïti par plusieurs personnes vivant à l’étranger dont Guymet ST-LOT, qui vit au Canada. Il est le neveu de Mezidor ST-LOT.

12. Le 13 août 2021, Amos EDMOND et Signoly EDMOND ainsi que le rapport préliminaire du magistrat de paix, ont été déférés au Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince. Ils ont été auditionnés par le substitut commissaire du gouvernement Jeanty SOUVENIR en absence de leurs avocats. Ces derniers avaient alors choisi de ne pas assister Amos EDMOND et Signoly EDMOND parce qu’ils voulaient négocier un désistement monnayé avec les avocats de la partie civile, ce qui aurait facilité la libération ultérieure de leurs clients. Amos EDMOND et Signoly EDMOND ont ce jour-là été écroués à la Prison civile de Port-au-Prince.

13. Dans l’intervalle, la famille de Gabriel FRANÇOIS n’a cessé de faire l’objet de menaces verbales de la part des proches des EDMOND. 14. Le dossier a été transmis au doyen du Tribunal de première instance de Port-au-Prince qui a désigné le juge instructeur Merlan BELABRE pour instruire le dossier. En mars 2022, le magistrate.

Merlan BELABRE s’est dessaisi de l’affaire, son mandat étant arrivé à terme. Le magistrat Martel JEAN-CLAUDE a alors été désigné.

15. A la surprise générale, le 11 novembre 2022, le substitut commissaire du gouvernement Jeanty SOUVENIR a ordonné l’extraction judiciaire des inculpés. Il les a entendus le même jour et a ordonné leur libération. Il s’en est suivi un tollé au Parquet. En effet, plusieurs personnes présentes fustigeaient le comportement du magistrat Jeanty SOUVENIR qui a été obligé de revenir sur sa décision de libérer Amos EDMOND et Signoly EDMOND. Ils ont donc été refoulés en prison.

16. Selon ce qui a été rapporté au RNDDH, cette extraction judiciaire qui aurait dû déboucher sur la libération de Amos EDMOND et de Signoly EDMOND, leur a coûté la coquette somme de dix mille (10.000) dollars américains. Ce montant a été apporté au magistrat par Yvon EDMOND lui-même frère d’Amos EDMOND et par conséquent, oncle de Signoly EDMOND. III. Entrevue avec les inculpés Amos EDMOND et Signoly EDMOND

17. Dans le cadre de cette enquête, Amos et Signoly EDMOND ont été rencontrés par le RNDDH. Ils ont démenti avoir été extraits et en ont profité pour affirmer que leur avocat, Maître Fritz ALTENOR a été assassiné à l’Avenue Christophe le 20 janvier 2022. Depuis, ils n’ont pas d’avocat. De plus, ils estiment que Dermilia SOIRO les a accusés à tort d’avoir assassiné son oncle Gabriel FRANÇOIS.

18. Toutefois, le RNDDH confirme qu’en date du 11 novembre 2022, huit (8) détenus de la Prison civile de Port-au-Prince ont été extraits, dont cinq (5) sur ordre du substitut commissaire du gouvernement Jeanty SOUVENIR. Parmi eux figurent Amos EDMOND et Signoly EDMOND. Ils ont été reconduits à la prison dans l’après-midi.

19. Par ailleurs, le RNDDH a appris que dans la communauté de l’Anse-à-Galets, les EDMOND sont très remontés contre le magistrat Jeanty SOUVENIR qui avait promis de libérer Amos EDMOND et Signoly EDMOND dès qu’il aurait reçu le pot-de-vin exigé. IV. Entrevues avec les magistrats Martel JEAN-CLAUDE et Jeanty SOUVENIR

20. Le 23 novembre 2022, le magistrat Martel JEAN-CLAUDE avec qui le RNDDH s’est entretenu, n’a pas pu confirmer sa désignation pour l’instruction judiciaire du dossier en question. Il a au contraire, affirmé n’avoir pas encore entamé son enquête, vu que depuis l’occupation du palais de justice de Port-au-Prince en date du 10 juin 2022, par les bandits armés de Village de Dieu dirigés par Johnson ANDRE alias Izo 5 secondes, il ne dispose d’aucune chambre criminelle pour travailler.

 21. Le magistrat Martel JEAN-CLAUDE n’était pas non plus au courant de l’extraction judiciaire ordonnée par le magistrat Jeanty SOUVENIR

22. De plus, selon ce que le RNDDH a appris, ce n’est que récemment que le doyen du Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Maître Bernard SAINT-VIL a affirmé à certains magistrats-tes être en train d’entreprendre des démarches en vue de leur permettre de disposer d’un espace de travail.

23. Le même jour, le RNDDH s’est aussi entretenu avec le magistrat Jeanty SOUVENIR sur les accusations portées contre lui. Il a affirmé avoir effectivement extrait Amos EDMOND et Signoly EDMOND, en vue de confirmer leur présence à la Prison civile de Port-au-Prince. Le magistrat en a profité pour démentir l’information selon laquelle il a reçu dix-mille (10.000) dollars pour procéder à la libération des inculpés susmentionnés, arguant qu’il ne pourrait jamais s’impliquer dans un scandale de corruption pareil, après plus de trente (30) années de carrière dans la magistrature. V. Rappel sur le comportement passé du magistrat Jeanty SOUVENIR

24. Le magistrat Jeanty SOUVENIR a été mis en disponibilité le 23 janvier 2020, en raison de son comportement dans plusieurs dossiers. Rappelons-en quelques-uns :

25. Le magistrat Jeanty SOUVENIR était impliqué dans un cas de coups et blessures volontaires et menaces d’assassinat. En effet, le 4 juin 2016, à Cazeau, le véhicule de marque Nissan Frontier de couleur grise immatriculé au numéro SE-07033, que conduisait le magistrat Jeanty SOUVENIR a été heurté par celui piloté par Guibert SAINT CLAIR. Le feu arrière de la voiture à bord de laquelle se trouvait le magistrat SOUVENIR a été brisé.

26. Le magistrat, n’ayant pas voulu entendre les propositions amiables de Guibert SAINT CLAIR, a au contraire menacé de lui disloquer les jambes et de le faire jeter en prison. Resnord DIVERT qui accompagnait Guibert SAINT CLAIR a pour sa part, été giflé en pleine rue, battu par le magistrat qui lui a reproché de s’être ingéré dans une discussion qui ne le concernait pas. Il a alors dégainé son arme et menacé de s’en servir contre Guibert SAINT CLAIR et Resnord DIVERT.

27. Les deux (2) victimes, sentant leur vie en danger, s’étaient réfugiés au Sous-commissariat de Cazeau. Le magistrat les y a suivis, et, au moment-même où ils exposaient le dossier au chef de poste du jour, il les a sévèrement battus en présence du chef de poste, tout en leur reprochant d’avoir osé porter plainte contre lui. Il a aussi confisqué le permis de conduire de Guibert SAINT CLAIR.

28. Le RNDDH souligne aussi que ce n’est pas la première fois que le magistrat Jeanty SOUVENIR a été obligé de revenir sur un ordre illégal de libération. A titre d’exemple, le 13 avril 2019, le substitut commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince Maître Wesley PAUL a confié délégation de pouvoir à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) en vue d’approfondir une enquête relative à des actes attentatoires aux vies et aux biens, perpétrés par plusieurs individus armés opérant à La Saline. Le 19 avril 2019, la DCPJ a procédé à l’arrestation de Willy ST VAL et de Audrienson JEAN.

29. Le 22 avril 2019, le magistrat Jeanty SOUVENIR a ordonné au responsable de la Section Départementale de la Police Judiciaire (SDPJ) de l’Ouest, de procéder à la libération des individus susmentionnés. La SDPJ a donné suite à l’injonction.

 30. Les supérieurs hiérarchiques du magistrat Jeanty SOUVENIR, offusqués de l’intervention irrégulière et totalement inacceptable de ce dernier, avaient alors exigé que les deux (2) individus ayant bénéficié de cet ordre illégal de libération soient réappréhendés. Et, encore une fois, le magistrat Jeanty SOUVENIR a surpris tout le monde en procédant, au lendemain-même de cette injonction, à l’arrestation de Willy ST VAL et d’Audrienson JEAN, ceux-là mêmes qu’il avait libérés la veille. VI. Commentaires et Recommandations

31. Le RNDDH tient à rappeler que tout citoyen, sans distinction aucune, a droit au respect de ses garanties judiciaires. Et, il est regrettable qu’à cause du comportement des autorités judiciaires haïtiennes, les justiciables – qui ont totalement perdu confiance en elles – soient toujours obligés de scruter leurs actions, en vue d’éviter autant que possible, la violation de leurs droits.

32. Le RNDDH juge inacceptable que même dans les cas de mort d’homme, si les proches des victimes s’en remettent à la Justice, le dossier n’aboutira pas par devant une instance de jugement.

33. Le RNDDH estime que le magistrat Jeanty SOUVENIR n’a nullement le droit d’interférer dans un dossier alors que celui-ci est pendant par devant le Cabinet d’instruction et que les ayants-droits de la victime attendent que Justice leur soit rendue. De plus, la tentative lamentable du magistrat d’expliquer la raison pour laquelle il avait ordonné l’extraction des inculpés Amos EDMOND et Signoly EDMOND ne tient pas la route, car, aucune rumeur de leur libération ne circulait.

34. Par conséquent, le comportement du magistrat constitue une violation flagrante du principe de légalité des poursuites qui exige que toute infraction soit poursuivie ; et du principe de séparation de poursuite, d’instruction et de jugement. Il s’agit de principes édictés pour protéger les libertés individuelles, dans le respect des garanties judiciaires de toutes les parties impliquées dans un dossier.

35. Par ailleurs, le RNDDH croit que suite au tollé provoqué par la tentative de libération des inculpés Amos EDMOND et Signoly EDMOND, le chef du Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince Maître Jacques LAFONTANT aurait dû acheminer un rapport circonstancié au ministère de la Justice et de la sécurité publique, pour l’ouverture d’une enquête. Ceci n’a pas été fait.

36. Fort de tout ce qui précède, le RNDDH recommande au ministère de la Justice et de la Sécurité publique de :

Ouvrir immédiatement une enquête sur le comportement du substitut commissaire du gouvernement Jeanty SOUVENIR, dans cette tentative de libération des inculpés Amos EDMOND et Signoly EDMOND.

 • Certifier de tout le personnel judiciaire affecté au Parquet près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince.

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