Le devoir de Vertières, pour la vie ou pour la mort

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Samedi 19 novembre 2022 ((rezonodwes.com))–

Nous, Haïtiens, devons commémorer toujours avec ferveur le 18 novembre de chaque année et surtout respecter  chaque  jour  l’esprit  de  Vertières  qui  a  rendu  la  liberté  à  nos  ancêtres. Vertières  signifie  la victoire  des  noirs  sur  les  colons  et  la  fin  de  3  siècles  (1503  –  1803)  d’oppression  et  d’exploitation,  à Saint-Domingue,  après  qu’ils  aient  été  arrachés  à  leur  terre  africaine  pour  remplacer  progressivement sur l’île les Amérindiens (Cyboneys, Arawaks, Tainos), victimes de génocide et d’extermination.

État des lieux

5 septembre, 3 octobre et 7 novembre 2022, trois rendez-vous ratés pour la rentrée des classes. Quand ce n’est pas l’État qui la reporte, ce sont les parents qui gardent les enfants à la maison. La rue n’inspire pas  confiance,  en  plus  du  coût  du  transport  et  de  la  vie  qui  devient  excessif,  à  cause  de  la  hausse vertigineuse  du  prix  du  carburant  et  de  la  dépréciation  de  la  gourde. C’est  le  même  souci  pour  les entrepreneurs,  paysans  et  citadins,  qui  assistent  de  manière  impuissante  au  gaspillage  et  à  la  perte  de leurs  marchandises  ou  à  la  fermeture  de  leurs  entreprises,  alors  que  certains  ont  contracté  des emprunts et sont obligés de mettre en chômage leur personnel.

Toutes les lignes rouges sont quasiment franchies.  C’est une situation intenable que connaît le pays, qui apporte deuil, souffrance, famine, décapitalisation, deshumanisation, crise identitaire, etc.   Le peuple est vraisemblablement  soumis  à  un  nouveau  régime  d’exploitation  qui  anéantit  sa  liberté,  l’étrangle  ou l’asphyxie.  Le VSN qui est le sigle de « Volontaires pour la Sécurité Nationale » a été longtemps associé à « Veritab sove nèg ».   Mais, ce fruit à pain (« Veritab » en créole), qui a été introduit dans les colonies pour nourrir les esclaves, est aujourd’hui ce que les agriculteurs en milieu rural consomment matin, midi et  soir pour gérer la famine. C’est  le désarroi et  le désespoir en particulier chez les jeunes qui voient leur  avenir  piégé  et  qui  ne  pensent  qu’à  s’enfuir.    Le  gouvernement  réalise  son  vœu  de  rester  plus longtemps au pouvoir et d’augmenter le prix de l’essence pour faire profiter sa bande. Entre-temps, le grand nettoyage se fait pour rendre la route des élections plus facile pour les seigneurs de la guerre.

Bien qu’on passe plus de 35 ans à critiquer le régime de Duvalier, paradoxalement tout semble indiquer que la fierté d’être haïtien s’arrête à son temps.  Vous comprenez pourquoi Jean Claude Duvalier, à son retour en Haïti, a dit : « Qu’avez-vous fait de mon pays ? ». Ça a choqué certains qui ont manifesté leur colère  à  la  place  de  leur  honte  (« fè  wont  sèvi  kòlè »).  Avez-vous  entendu  cet  ancien  député  et  consul implorer le premier ministre pour faire quelque chose pour les Haïtiens qu’on est en train de maltraiter et d’assassiner en terre voisine ? On l’a vu plus tôt au Texas (États Unis d’Amérique du nord).  Faute d’une diplomatie  active  et  d’un  état  responsable  qui  protège  ses  citoyens  à  l’étranger,  conformément  aux conventions et aux droits internationaux, les Haïtiens subissent toutes sortes d’humiliations.

Qui sont les responsables ?

Nous  avons  donc  profané  et  trahi  le  symbolisme  solennel  de  Vertières,  bourreaux  comme  victimes, respectivement qui créons et acceptons la situation actuelle du pays.  Si les gangs se multiplient en peu de temps comme des champignons, ils sont loin d’être une génération spontanée.   Ils ont leur mission, leur histoire, leur logique et leur stratégie d’action, qu’il faut connaitre pour bien comprendre ce qui se trame, ainsi que leurs patrons qui contrôlent et dominent Haïti.   Donc, il ne faut pas croire que ce sont uniquement  ces  chats  qui  mangent  nos  lézards.    Il  y  a  d’autres  prédateurs  qui  les  découpent  et  les avalent  en  une  bouchée.  Ils  sont  de  tout  horizon  et  de  tout  acabit.   C’est  la  faute  des  dirigeants  qui pratiquent la mauvaise gouvernance et qui sont des marionnettes serviles aux mains des manipulateurs internationaux  et  locaux,  au  lieu  de  se  comporter  comme  un  acteur  impartial  et  conséquent.  C’est  la faute des politiciens qui pratiquent le védetariat, la division et la sous-traitance au lieu d’être des leaders responsables  au  service  du  peuple.  C’est  la  faute  des  financiers  sans  vergogne  et  des  monopolistes commerciaux qui spéculent et ne jurent que par leurs intérêts mesquins, des institutions internationales et  leurs  subalternes  humanitaires  et  religieuses,  le  Core  group,  se  faisant  aider  par  des  fonctionnaires

corrompus  et  une  partie  de  l’élite  prédatrice,  pour  mieux  asservir  le  peuple,  dominer  et  exploiter  le pays. Mais, c’est aussi la faute de la masse qui vend son vote pour un sac de riz et de l’argent au lieu de faire  valoir  ses  droits  et  de  voter  les  bonnes  personnes ;  qui  pratique  une  capacité  d’encaisser,  de s’ajuster et de se tenir debout sur le chaos au lieu de se révolter.   C’est la faute des réserves saines du pays qui restent les bras croisés et qui, par peur ou par lâcheté, refusent de prendre leur responsabilité d’élite.

Changer de logique

Plusieurs questions se posent et s’imposent à nous en ce moment comme peuple et société. Qui peut et comment arrêter ce vaste complot et cette machine infernale ? S’il ne faut pas une occupation d’Haïti, qui va résoudre par exemple la question des gangs ?  Comment solutionner les autres problèmes ? Faut- il une tabula rasa ou faut-il composer avec les acteurs du handicap ?

C’est une équation complexe et un problème global à résoudre, en opposant aux acteurs du handicap et à leurs complices un rapport de force magnanime, une résistance ferme qui défie leur agenda caché qui est  la  raison  même  de  l’existence  des  gangs.  C’est  le  moment,  vu  que  nous  sommes  dans  la  trame historique de Vertières. La majorité silencieuse doit se mettre debout pour clamer d’une seule voix son amertume, son dégoût, sa douleur commune qui la tenaille jusque dans ses entrailles, pour réagir par la désobéissance civile et des actions dissuasives contre le prix fort formel et informel du carburant, pour bombarder  de  lettres  revendicatives  les  bureaux  des  dirigeants  et  pour  mobiliser  l’opinion  publique mondiale sur cette injustice inqualifiable qui empêche tant l’Haïtien de vivre comme un être humain, que Haïti d’être un pays souverain et prospère malgré ses nombreuses richesses et ses multiples atouts.

C’est l’heure de Vertières

Redresser la barque d’Haïti prendra du temps.  Le spectre d’une guerre civile, le kidnapping, les gangs et la crise humanitaire ne justifient en rien une nouvelle invasion et occupation du sol haïtien.  Ils renvoient plutôt à un saut qualitatif dans la façon dont les protagonistes voient et traitent Haïti, pour faire émerger un autre rapport fait de respect et de tolérance.   Mais, s’ils optent résolument pour le premier choix, sans doute pour satisfaire un agenda caché, à leurs armes meurtrières, nous devons leur opposer jusqu’à la victoire finale notre conviction, notre courage et notre détermination à changer cet ordre de chose.

En  l’absence  de  leaders  crédibles  ou  émergents  fiables,  nous  devons  nous-mêmes  nous  organiser  par région  et  par  quartier  pour  opposer  cette  résistance.  Si  jamais  ça tarde  à  marcher,  il  faut  passer  à  un autre  plan  qui  chavirera  la  barque  de  ce  système  infernal.  Il  n’aura  jamais  d’omelette  sans  casser  des œufs.  Si vous êtes croyants, priez votre Dieu ou invoquez vos loas, mais surtout agissez là où vous êtes selon  des  stratégies  adaptées  à  votre  réalité,  mais  qui  devront  aboutir  toutes  au  même  résultat :  un système participatif, juste et équitable.

Après ce que j’ai vu et entendu dans les Nippes et le Sud, qui est peut être pareil ailleurs dans le monde rural,  si  les  paysans  ne  changent  pas  leur  fusil  d’épaule  ils  mourront  tous,  comme  l’a  dit  Délira  dans

« Gouverneur  de  la  rosée ».  Paysannerie  et  masse  urbaine,  faites  appel  au  courage  d’un  Jean-Jacques Dessalines,  d’un  Jean-Baptiste  Perrier  dit  Goman,  d’un  Louis  Jean-Jacques  Accaau,  d’un  Charlemagne Masséna  Péralte,  défenseurs  de  la  liberté  et  chefs  de  la  résistance  paysanne.  Classe  moyenne  et  élite saines, sortez de vos hésitations et de votre passivité complice.   Devenez des acteurs, des éclaireurs et des  progressistes  comme  un  Joseph  Auguste  Anténor  Firmin  et  un  Léon  Dumarsais  Estimé  pour reconstruire  Haïti  et  relever  le  standing  haïtien.  Communicateurs  professionnels  des  ondes,  soyez comme un Théophile Salnave (dit ZO) pour jouer un rôle noble à chaque moment que les circonstances l’exigent.    Haïtiens  vivant  à  l’étranger,  c’est  le  moment  d’arrêter  de  financer  le  misérabilisme  et  la consommation  qui  ne  profite  qu’aux  manipulateurs  locaux  et  internationaux  et  à leur  économie,  pour supporter plutôt  la résistance à travers la  production locale de toutes sortes et  la valorisation de nos

ressources minières, et pour faire le lobbying là où vous êtes, en mobilisant avec vous la communauté citoyenne internationale qui croit encore en l’humanité et à sa destination totale.

Conclusion

Il  ne  s’agit  pas  en  effet  de  mettre  tout  le  monde  dans  le  même  panier.  Mais,  il  faut distinguer le bon grain de l’ivraie.   Il ne s’agit pas non plus de nier les grands défis que sont les gangs, le kidnapping et la crise humanitaire, pour lesquels il faut certainement la solidarité des autres.   La question est comment ? Le constat montre que les approches traditionnelles de coopération et d’occupation ne sont en général pas efficaces.  Elles n’ont fait qu’aggraver la situation au lieu de l’améliorer.  Il faut changer de paradigme et  faire  un  pari  sur  structure  neuve.   Notre  organisation  par  région  et  par  quartier,  articulée  autour d’une logique de décentralisation, doit servir alors non seulement de crible pour neutraliser les mauvais grains, mais aussi de cellule transcendantale et transformationnelle de notre société sur le plan politique, géostratégique, infrastructurel, fiscal, social, économique, environnemental, culturel et sportif, etc.

Refonder  l’État  devrait  être  ça  le  bon  combat  à  mener  pour  un  autre  Haïti,  foyer  d’une  identité commune, d’une citoyenneté de « droit et devoir », dans une démarche d’équité de genre et de justice sociale.   L’éducation,  l’économie  et  la  justice,  couplées  avec  la  transversalité  de  l’infrastructure  et  de l’environnement offrent  la base pour bien démarrer.   Autrement  dit, l’objectif est  de sortir le pays de cette longue nuit ténébreuse pour s’ouvrir définitivement à la lumière, et de retrouver tant notre dignité de peuple que notre souveraineté nationale qui sera jalousement gardée par des dirigeants responsables que nous aurons élus nous-mêmes de façon responsable.   Nous le ferons non seulement pour rendre justice  à  cette  kyrielle  de victimes  de toutes  sortes, de  1806 à aujourd’hui,  mais  aussi  pour  sauver  les enfants  et  les  jeunes  qui  sont  les  plus  grands  sacrifiés  de  nos  générations  actuelles.   Ils  n’avaient  pas demandé   à   naître   et   trouveront   devant   eux   une   mondialisation   qui   leur   exigera   des   capacités compétitives pour se frayer dignement leur route et pour réussir.

Ayiti pap peri !

Abner Septembre

Sociologue, 18/11/2022

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