Radio Canada : Une perspective historique pour comprendre la méfiance des haïtiens par rapport à une intervention étrangère

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PORT AU PRINCE, HAITI: Haitian Police Chief Leon Charles(L) and the commander of UN Peacekeeping in Haiti, Brazilian Augusto Heleno are shown standing at attention during a funeral of a UN Nepal corporal Maham Sing Ga-Ma. Armed individuals aboard a truck opened fire 29 March at the Haitian Electoral Council's headquarters in Port-au-Prince, an official said. Automatic weapons were among those used in the shooting, which lasted for about 10 minutes, against the Electoral Council building in Delmas, an eastern district of the capital. No one is believed to have been injured, said the official, speaking on condition of anonymity. Bullet marks were visible on the walls and an electric transformer was hit. AFP PHOTO Thony BELIZAIRE (Photo credit should read THONY BELIZAIRE/AFP via Getty Images)

Intervention étrangère en Haïti : une perspective historique pour comprendre la méfiance

Par Francesca Mérentié

En 2016, plus de 93 000 personnes au Canada, se sont déclarées membres de la population immigrante haïtienne.

Mercredi 2 novembre 2022 ((rezonodwes.com))–

L’opinion publique haïtienne est divisée en ce qui concerne l’intervention possible des Casques bleus en Haïti. Des membres de la diaspora haïtienne du Canada s’opposent à une quelconque intervention étrangère en s’appuyant sur une lecture du passé, tandis que d’autres y voient une solution temporaire.

« L’intervention étrangère n’est jamais la solution souhaitée pour résoudre une crise interne. »

— Une citation de  Darlène Lozis, Ottawa

Darlène Lozis, originaire d’Haïti, est une résidente d’Ottawa. Pour elle, la solution aux problèmes d’Haïti doit venir de ses habitants. Elle fait partie de ceux qui croient qu’un rappel du passé des interventions militaires en sol haïtien s’impose. Dans notre histoire, les faits nous montrent qu’aucune occupation [intervention étrangère] ne nous a servi en matière de souveraineté et de développement sociopolitique et économique.

La Franco-Ontarienne, militante des droits de la personne, rappelle des faits liés au passage de militaires étrangers en Haïti. L’occupation américaine de 1915 à 1934, le pillage des caisses de l’État, les exactions [militaires], les campagnes rejetées où ils ont massacré des vaudouisants sous prétexte qu’ils sont des diables, relate-t-elle. Haïti n’a fait que régresser. S’ensuivit un processus impérialiste et colonial au sein du pays, dit-elle.

Darlene sourit et observe la caméra. Elle porte un turban cachant ses cheveux et un chemisier, un collier à son cou, des boucles d’oreilles et un perçage au nez. En arrière-plan, une plante et des paniers en osier accrochés au mur forment le décor.

Darlène Lozis est membre de Solidarité Québec-Haïti, une plateforme de la diaspora haïtiano-canadienne qui se présente comme un organisme de surveillance de la politique en Haïti.

Roby Joseph, résident de Sudbury, est du même avis, mentionnant aussi cette première occupation américaine. Depuis lors, on ne fait que subir les conséquences de cette intervention qui n’avait pas amené de solution, dit-il en relatant à son tour des événements survenus lors de cette occupation. Depuis, c’est toujours une intervention après une autre, dit-il.

Darlène Lozis ajoute que cette première occupation a mené au pouvoir la dictature des Duvalier. Et comme c’était devenu à un moment donné une patate chaude pour eux [les États-Unis d’Amérique], ils ont accepté de soutenir la demande du peuple haïtien qui voulait une démocratie, affirme-t-elle.

Elle ajoute que de nombreuses autres interventions militaires étrangères ont suivi. À partir de 1994, quand on a demandé à l’ONU de venir faire une correction démocratique, on nous a laissé un bourbier, déplore-t-elle.

« Cette continuité s’est répétée en 2004, avec le coup d’État contre un président élu démocratiquement [Jean-Bertrand Aristide]. À partir de là, on a eu une succession de gouvernements décidés par les États-Unis. »

De son côté, Roby Joseph rappelle qu’Haïti n’est pas en guerre. De surcroît, la solution ne peut venir d’une police militaire, dit-il. Les militaires sont faits pour la guerre.

Selon le Sudburois, l’ONU a toujours raté sa cible en intervenant en Haïti. On a eu plusieurs missions de différentes formes, de différents noms. […] Ils ont laissé des morts, dit-il.

M. Joseph rappelle que l’épidémie de choléra qui a touché 800 000 Haïtiens incombe à l’ONU. Et jusqu’à présent, ils n’ont pas accepté leur responsabilité juridique dans tout ça, fulmine l’Haïtiano-Canadien.

Mme Lozis et M. Joseph relatent tous deux des faits similaires. Il y a des enfants qui ont été violés par des soldats étrangers, affirme M. Joseph. On demande qu’il y ait réparation et que ces gens soient amenés devant des tribunaux, note Mme Lozis, qui rappelle qu’ils ont reçu l’immunité.

Arrêter temporairement l’hémorragie

Par ailleurs, Herby Nordhoff Deronselé affirme être conscient du fait que les opinions divergent au sujet d’une intervention militaire en Haïti. Il croit cependant que ce serait la bonne chose à faire parce que la police haïtienne est trop faible, croit-il.

M. Deronselé, Ottavien originaire d’Haïti, croit qu’un soutien étranger est nécessaire pour former la police locale. S’ils veulent vraiment aider Haïti dans le milieu policier, l’ONU en est capable.

Même son de cloche du côté d’Harold Isaac, Montréalais d’origine haïtienne. Joint sur place à Pétion-Ville, en banlieue de Port-au-Prince, il souhaite une aide qui prendrait en considération la complexité de la crise. Je ne suis pas d’avis qu’on doive rejeter toute forme d’aide, mais je suis d’avis que l’aide soit balisée.

Le Québécois reconnaît les échecs passés des interventions étrangères. Son opinion est guidée par l’urgence de la situation. C’est certain qu’on peut avoir une solution à court terme avec une intervention militaire, croit-il. Mais, on peut avoir une situation plus compliquée qui se développe dans 5 ou 10 ans, pondère-t-il.

« Puisqu’on vient de sortir d’une intervention de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), de 2004 à 2017 […] essentiellement après leur départ, on a sombré dans une sorte de délinquance et de violence, de gangs. De toute évidence, on ne s’était pas attaqué aux racines de ce problème. »

— Une citation de  Harold Isaac, Haïti

Pour un renforcement des capacités et des stratégies de la police locale haïtienne, les quatre concitoyens s’entendent.

Ne pas étouffer la mobilisation populaire

Roby Joseph craint d’ailleurs que l‘intervention étrangère serve à réprimer les manifestations populaires plutôt qu’à combattre les gangs de rues en Haïti.

De même, Mme Lozis croit qu’une telle décision irait à l’encontre de la volonté des Haïtiens. Ce serait vraiment s’entêter à faire quelque chose dont le peuple haïtien a dit ne pas vouloir.

Elle ajoute que les manifestants haïtiens ont scandé leur refus de l’intervention étrangère dans les rues. Elle croit que l’actuel gouvernement haïtien et son appel à l’aide étrangère sont tous deux illégitimes.

Interrogé sur la légitimité du gouvernement haïtien actuel, l’historien Frantz Voltaire rappelle que la nomination d’un premier ministre haïtien doit être ratifiée par le Sénat de la République, composé de 30 sénateurs, et par la Chambre des députés.

Il explique que ce ne fut pas le cas. Il n’y avait aucune institution légitime dans le pays capable d’assurer une transition au moment de l’assassinat de Jovenel Moïse, précise-t-il. Si l’intervention militaire venait à légitimer ce gouvernement, je pense qu’il y aura une très forte opposition dans le pays, assure l’historien.

Source. : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1929385/intervention-etrangere-haiti-historique

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