The Guardian: L’intervention étrangère soutenue par les États-Unis a débouché sur la catastrophe en Haïti

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The Guardian: « US justifications for intervention ignore the ways in which Haiti has rarely, if ever, been allowed to manage its own affairs ».

« Les justifications américaines de l’intervention ne tiennent pas compte de la manière dont Haïti a rarement, voire jamais, été autorisé à gérer ses propres affaires. »

L’occupation américaine s’est justifiée comme étant pour le bien d’Haïti. Elle a notamment permis d’enrichir les élites américaines et de jeter les bases de la montée de la dictature des Duvalier.

Qu’est-ce qui vient en premier en Haïti : la catastrophe ou l’intervention étrangère ? La sagesse conventionnelle, c’est-à-dire celle du premier monde, veut que la catastrophe soit la première.

L’hypothèse sous-jacente est que les Haïtiens ne peuvent pas gérer leurs propres affaires. Le gouvernement est corrompu ou inefficace, ou les deux. Ses habitants sont pris au piège dans une « toile d’influences culturelles résistantes au progrès », comme David Brooks a été autorisé à le dire dans le New York Times juste après le tremblement de terre géant de 2010. Laissé à lui-même, Haïti sombrerait dans le chaos et la crise humanitaire : maladies, violence, mort. C’est alors que les soi-disant amis internationaux d’Haïti – principalement les États-Unis, ainsi que le Canada et la France – sont obligés de venir à la rescousse avec leurs gros calibres et leurs forces d’élite.

C’est le sens de la réflexion aujourd’hui. La communauté internationale délibère sur le déploiement d’une « force multinationale d’action rapide » en Haïti, suivie à moyen terme d’une énième mission de maintien de la paix de l’ONU. Les États-Unis ont déjà envoyé du personnel, des véhicules blindés et des « équipements » non divulgués pour aider la police haïtienne à lutter contre un conglomérat de gangs qui a pris le contrôle du pays. Les États-Unis pourraient bien fournir des troupes à la force d’action rapide. De nombreux civils innocents seront pris entre deux feux, si l’histoire est un guide.

Le point de vue d’Haïti est généralement différent : l’intervention étrangère provoque un désastre. Cette idée peut être contre-intuitive et profondément inconfortable pour les Américains, mais elle a le grand mérite d’être fondée sur des faits. Après tout, Haïti est né de la détermination d’un peuple asservi à se libérer du joug génocidaire des Français, c’est-à-dire de l’asservissement étranger. Elle a depuis subi de nombreuses invasions et intrusions, dont une occupation de 19 ans par les États-Unis, de 1915 à 1934. L’occupation américaine s’est justifiée comme étant pour le bien d’Haïti. Elle a notamment permis d’enrichir les élites américaines et de jeter les bases de la montée de la dictature des Duvalier.

Il ne fait aucun doute qu’Haïti traverse une crise terrible, peut-être la pire de notre vie. Le conglomérat de gangs a bloqué le principal terminal de carburant du pays et a paralysé presque tout. Rien ne fonctionne sans carburant. Une grande usine d’embouteillage d’eau a temporairement fermé ses portes. Des hôpitaux ont fermé leurs portes ou réduit leur capacité. Les prix des produits de base, comme le riz, ont grimpé en flèche, au-delà de la portée de la plupart des gens. Au début du mois, le ministère de la santé a annoncé la réapparition du choléra. Quelques-uns de mes amis qui sont bloqués en Haïti (ceux qui ont un semblant de moyens ont fui) disent qu’ils accueilleraient favorablement une intervention et le rétablissement de l’ordre.

Mais les récits que les États-Unis utilisent pour justifier leur intervention ignorent un fait crucial : Haïti a rarement, voire jamais, été autorisé à gérer ses propres affaires.

Les gros titres ont rapporté qu’Haïti avait demandé une intervention. C’est inexact. C’est le premier ministre d’Haïti, Ariel Henry, qui l’a demandée. Henry s’est plus ou moins nommé premier ministre après l’assassinat du président Jovenel Moise en juillet dernier. Il n’a jamais eu la moindre autorité constitutionnelle et est même impliqué dans l’assassinat de Moïse. Le peuple pour lequel il prétend parler l’injurie. Son seul électorat se trouve à l’extérieur du pays. Au cours des 15 derniers mois, les États-Unis ont insisté pour que l’opposition, une coalition remarquablement large de leaders de la société civile, de militants et d’organisations populaires, négocie avec lui.

La dernière grande intervention a également commencé par une « demande » d’un fonctionnaire non élu. Elle a conduit à la création d’une force de maintien de la paix des Nations unies, la Minustah, chargée de « stabiliser » Haïti après la destitution du président Jean-Bertrand Aristide, soutenue par les États-Unis. Elle est restée 13 ans. Au début de son mandat, en 2005, j’ai fait partie d’une petite équipe des droits de l’homme qui a enquêté sur cette force. Nous avons conclu qu’au lieu de promouvoir la paix et la justice, les troupes de l’ONU aidaient la police à terroriser les quartiers les plus pauvres de la capitale Port-au-Prince, bastions du soutien à Aristide. De nombreux civils ont prétendu que les troupes de la Minustah, dont beaucoup de soldats brésiliens ayant l’expérience des « opérations de nettoyage » dans les favelas de Rio de Janeiro, avaient elles-mêmes commis les atrocités. Parmi eux, une jeune femme de Cité Soleil dont le bébé a été tué lors d’un raid nocturne, alors qu’ils essayaient de dormir. Des balles ont traversé les murs de sa cabane.

En fin d’après-midi, après avoir interviewé un chef militant dans le quartier de Bel Air, nous avons été pris dans une fusillade apparente dans une ruelle déserte. Un véhicule blindé de transport de troupes (VBTT) de l’ONU est passé lentement en déployant un canon à sons. L’APC s’est arrêté devant nous et ce n’est qu’après de nombreuses explications frénétiques – en portugais, une langue que la plupart des Haïtiens ne parlent pas – que ses soldats ont baissé leurs armes.

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