Haïti doit briser les liens infernaux de ce statuquo chronophage et anthropophage

0
1267

Du temps, de l’argent, du talent ; toutes les références de l’efficience s’effritent, se dilapident et se néantisent au sein de notre république infortunée d’accueillir à ses axes stratégiques des cons et des démons. Le temps c’est du travail, le temps c’est du bonheur, le temps c’est de l’argent. En voilà un idéal chimérique au sein de notre Haïti chrysocalisée, prise en otage depuis une décennie par un régime politique cruel. Enfin, que cela cesse ! Haïti a besoin d’utiliser son temps et son talent à bon escient en vue de déguster les délices de la vie.

Samedi 1er octobre 2022 ((rezonodwes.com))–

D’un point de vue chronologique, un jour équivaut à 24 heures ; une année se décline en 12 mois, en 52 semaines ou de manière équivalente en 365 jours. Cependant, sous un angle socioéconomique propice, une année se situe totalement en deçà de la barre de 365 jours. Ce constat est d’autant plus saisissant au sein des sociétés pilotées par une gouvernance mazette. Un jour haïtien est nettement inférieur à 24 heures.

La perturbation des jours de classes en Haïti, l’absence des activités nocturnes, la précarité des espaces d’apprentissage et de loisir, l’impossibilité des transactions et la crispation de la vie au crépuscule du jour – après 17 heures ou 18 heures d’horloge – témoignent du massacre du temps évaporé dans les nuages, sous un ciel obscurci qui néantise ses propres étoiles.

Les résultats sont visibles ; que l’on ne s’étonne pas qu’un Haïtien moyen âgé par exemple de trente (30) ans continue d’être une charge difficile pour ses parents en raison du manque d’opportunités. En Haïti, la pyramide socioéconomique ne suit pas la logique chronologique. De ce chômage asphyxiant qui infantilise des adultes, des fiançailles se perdent dans une longue déperdition sans le moindre espoir de se convertir en mariage. Sauf si la diaspora s’en charge complétement.

Dans les bidonvilles, papas, mamans, enfants, tontons, tantines, cousins et cousines s’empilent dans une promiscuité choquante pour survivre au jour le jour, sans aucun agenda de mobilité sociale. On se voue à Saint Pierre, Saint Michel-Archange ou sainte Marie, mère de Dieu, pour que la diaspora débloque un ou deux dans l’acquisition d’un billet pour se déguerpir en direction du Chili ou du Brésil.

Mais encore du temps énergique à gaspiller dans un triplex discriminatoire : aporophobie, xénophobie et la barrière linguistique. Le récent exode périlleux de la traversée Amérique latine vers l’Amérique du Nord dénote l’insatisfaction patente du compatriote haïtien qui a connu un exil transitoire vers ces sociétés émergentes de l’Amérique du Sud.

Le parasite dans l’œil de la convoitise électoraliste

D’une part, le jeune haïtien languit dans une espérance attentiste d’un visa pour se jeter aveuglément à l’étranger. Entre-temps, il grille le temps en jouant aux dominos et aux cartes à toute heure du jour. D’autre part, il est sous le coup d’une oisiveté terrible susceptible de se convertir en banditisme pour augmenter les barbaries sociales. 

Paradoxal, pendant qu’il ne peut recevoir un minimum d’assistance sociale pour assouvir sa faim, le jeune du bidonville lambda est récipiendaire de manches longues au coût unitaire de plusieurs milliers de billets verts. Ils sont la convoitise de députés, sénateurs et anciens présidents indécents qui les déshumanisent pour des causes électoralistes. Pour continuer de respirer l’oxygène de la bulle officielle, tous les coups seraient permis. Le démon fait rage dans nos villes débiles et nos bidonvilles décivilisés.

Lorsque de surcroît les jours se gaspillent dans l’inefficience – dans la sinécure, l’imposture, les barricades, les locks, les scandales officiels, l’insécurité et la méfiance généralisée – l’approche du calcul pertinent nettoyé des gangues et des scories voudrait que les heures improductives ou macabres s’annihilent. En Haïti, le temps se perd dans les bons comme dans les mauvais temps.

Sous un angle individuel ou macroéconomique efficients, nous concédons qu’une année partout à travers le globe ne représente jamais 365 jours car des termes de perturbation tels que des catastrophes naturelles ou des chômages conjoncturels font perdre plusieurs heures et de nombreux jours aux individus et aux pays.

Cependant, au sein des sociétés qui ont emprunté la trajectoire de la modernité, les dirigeants établissent des moyens de mitigation des risques qui permettent de minimiser les coûts des chocs telluriens. Les sociétés industrielles et émergentes érigent des balises,  développent des institutions et adoptent des stratégies efficaces pour dissuader la paresse et l’inefficacité.

Au sein de telles sociétés guidées par un leadership éclairé et une vision altruiste, le talent sportif et artistique ne paie pas les frais scolaires, le génie académique est récompensé, la sommité intellectuelle est honorée. Des primes sont décernées à l’excellence. Il en résulte des effets d’entraînement socialement avantageux par la magie de l’image qui veut que les « Best Practices » se propagent dans un arôme contagieux pour embaumer la société.

Le ton est donné dans le sens d’investissement dans du temps collectivement rentable. Les sociétés avisées n’attendent pas l’avenir ; elles le conçoivent en y investissant du temps de qualité en des projets porteurs qui incitent à l’innovation et à la création de richesse. La formation du capital humain étant la pierre angulaire. C’est cette absence de valorisation de la jeunesse qui cause qu’une palanquée de nos jeunes soient transformés en des petits monstres. Un retour à l’équilibre s’impose.   

Rentabilité du temps

Quels que soient la nationalité, l’âge, la teinte épidermique, le genre, le statut socioéconomique, etc. ; tout un chacun dispose chaque jour d’une durée de temps parfaitement égale, 24 heures. Il n’y a absolument aucune discrimination dans cette richesse initiale au coût gratuit mais dont la rentabilité peut se révéler infinie. Par exemple, il est impossible à un heureux multimilliardaire de disposer de 25 heures d’euphorie dans un jour au détriment d’un miséreux démuni qui lui aurait vendu une heure de son temps de mélancolie.

Évidemment, dans une analyse économique, il faut comprendre que les agents économiques – consommateurs et entreprises – procèdent à des arbitrages en permanence en vendant et en achetant du temps sur le marché du travail. Pour fonctionner à plein rendement, certaines entreprises sont contraintes de mobiliser des millions d’heures par jour. Les géantes technopoles de la Silicon Valley – Facebook, Google, Amazon, etc – en sont des exemples notoires. Ces multinationales recrutent un nombre pléthorique de cadres techniques à travers le monde. Elles mobilisent du talent, elles gèrent du temps ; elles génèrent de l’argent.

Quoique la durée du temps soit isométrique au départ, les résultats qui en découlent divergent par des pratiques hétérogènes d’une personne à l’autre. La captivante fable de La Fontaine nous prévient de l’inconfort et la dépendance qui dérivent du comportement de la cigale paresseuse contrairement à l’autonomie économique durable construite par la fourmi laborieuse. Les parasites et les insouciants mangent du temps en tout et partout. Par contre, les esprits laborieux et avisés savent optimiser leurs profits sous contrainte du temps limité qui leur est imparti.

Ce profit peut être perçu sous de multiples angles. Il peut s’agir de la récompense obtenue à aiguiser la matière grise, des dividendes récoltées des biens et services produits, voire du bien-être à se procurer à travers du plaisir et du loisir en des ambiances saines. Il peut s’agir aussi de procéder à une combinaison optimale de tous ces facteurs concurrentiels. L’essentiel consiste à tirer le meilleur parti en fonction du timing et des objectifs nobles à atteindre.

La vie est un programme d’optimisation d’une fonction de bien-être sujette à des moyens incluant des contraintes temporelles. Dans tous les domaines, on recense des anciens qui disposaient de beaucoup de temps mais qui savouraient très peu de bonheur, et inversement. La précocité de l’immortel Martin L. King qui n’a même pas vécu quarante ans est épatante à propos. Mais aussi de célèbres penseurs ont légué des héritages magnanimes à l’humanité alors qu’ils n’avaient même pas allumé une trentième ou une quarantième bougie d’anniversaire de naissance. Que de créateurs de bonheur qui se sont sacrifiés en investissant leur précieux temps au profit des générations futures.

Le panthéon de la culture universelle est orné d’un ensemble de philosophes et de scientifiques immortels. Par leurs œuvres légendaires qui illuminent les sentiers de la modernité, les esprits créatifs et les âmes magnanimes vivront des milliers d’années, voire l’éternité. L’humanité témoigne sa gratitude envers cette pléiade de philosophes et de scientifiques qui ne dormaient guère suffisamment afin de trouver des antidotes à des poisons mortels, guérir des maladies incurables, proposer des modèles de gouvernance et inventer des formules aptes à vaincre les défis du cosmos.

Qu’il me soit loisible d’emprunter les propos d’André Malraux pour réitérer : « Il faut ajouter de la vie aux années, pas des années à la vie ». L’humanité reconnaissante se fichera pas mal des âges d’or ou de diamant que nous aurons atteints. Mais, elle se souviendra éternellement de la façon dont nous aurons marqué notre existence.

Rapport hétérogène au temps

À l’inverse des gouvernants modernes, les dirigeants incompétents qui rendent leurs pays réfractaires à la stabilité et au développement socioéconomique procrastinent et piétinent les institutions. Ils assassinent le temps et le talent. Ils improvisent, tâtonnent et allument des hostilités pour ensuite se faire pompiers avec des citernes privées d’eau pour éteindre le feu. Le destin d’un humain ou celui d’un pays ne peuvent se tracer par les caprices de la providence.

Oubliez cette fausse thèse de la malédiction qui n’est qu’une foutaise. En effet, Dieu nous a déjà dotés d’une intelligence humaine suffisante pour diriger, construire, créer et apprivoiser les dynamiques de l’univers. Quand les moyens sont déjà à la disposition de l’être humain pour dessiner son propre destin, le Tout-Puissant n’exauce pas sa prière de libération de la privation ou de la domination des forces chtoniennes. Sur cet angle, la figure emblématique du sophisme, Protagoras, n’a pas tort d’épiloguer que l’homme est Dieu sur terre.

Se détacher des liens de la servitude volontaire, de la procrastination et de l’exploitation du tyran ne peut s’accomplir en y épinglant la culpabilité du dominant mais plutôt par la responsabilité de la victime (La Boétie, 1574). Dans la dérive de l’atteinte des objectifs au profit de la collectivité, il faut cesser de chercher l’erreur du côté du dirigeant maniaque au service du démon qui accomplit sa mission d’abêtir le peuple. Au contraire, le problème se situe chez les millions de personnes qui ne peuvent se résoudre de plébisciter la science et la conscience aux institutions publiques en vue d’assurer la bonne gouvernance. « Vox Populi, Vox Dei » n’est pas un slogan creux. Haïti doit se libérer de de cette domination diabolique.

Par la fuite massive de cerveaux et l’hibernation catatonique de la force de travail qui amplifient la tendance décroissante du bien-être collectif, les pays en développement ratent la synergie de la création de richesse que seul un capital humain performant est à même de garantir. Haïti est un prototype typique des sociétés exsangues de leur matière grise qu’elles offrent gratuitement aux sociétés industrielles en panne du rajeunissement de leurs populations.  Sans la dynamique de la migration sélective qui leur permet de maintenir une existence démographique compétitive – base de la production économique – le Canada et les États-Unis auraient disparu. Tout pays nécessite du talent et du temps qualitatif pour maintenir sa survie dans l’arène de la compétitivité mondiale. Puisque plus de 80% des Haïtiens les mieux formés résident à l’étranger, le paradigme de la fuite inversée du cerveau paraît imminent dans l’optique de transformer le tableau socioéconomique.

Tout gouvernement conscient penserait à garder et à sauvegarder sa jeunesse au bercail afin de booster son économie. Lorsque c’est l’inverse qui prévaut, la dialectique ne devient plus perplexe, elle a la certitude que les traîtres fils trônés illégitimement aux sièges stratégiques concoctent avec des faux-amis de la communauté internationale perfide la fin ultime de cette nation au passé glorieux. L’élite haïtienne est interpellée à s’indigner pour y mettre du temps à cogiter dans une harmonie salvatrice pour contrecarrer les forces ténébreuses et empêcher la réalisation de ce projet macabre.

Sur la ligne temporelle, Haïti ne fait que régresser à pas de géant pour se diriger avec fracas vers un abysse profond pour ne léguer aux générations futures que des vestiges d’une épitaphe ignoble. En gaspillant temps, argent et talent, Haïti est à deux doigts de chavirer vers le néant. Le résident et le passant à tous les points géographiques de la république vivent un suspense psychotique dans un kidnapping cynique et une mort tragique qui leur font des yeux doux au quotidien. Le temps, la vie ; rien n’est compté au sein de cet espace jadis attrayant qui aujourd’hui évince la méritocratie pour plutôt accueillir la médiocratie sur tapis rouge.

Sans une conscience collective pour 1) se débarrasser du statuquo infernal et 2) plébisciter une gouvernance aromatisée de science et de conscience, Haïti s’effacera de la carte mondiale. Casser ce statuquo génocidaire qui extermine les valeurs tangibles et intangibles de la nation n’est plus une option, mais une obligation.

Puissent les esprits vigilants être indignés et interpellés à jouer leur partition pour offrir des alternatives politiques adaptées aux normes de la modernité. Temps d’un nouveau départ. Haïti doit renaître de ses cendres.

Carly Dollin
carlydollin@gmail.com

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.