Violences urbaines, Opérations policières et Aménagement du territoire en Haïti

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De la connaissance des territoires à l’efficacité de la violence des gangs armés au niveau de la région métropolitaine de Port-au-Prince

Par Jean Frantzky Calixte
Sociologue
Spécialiste en Urbanisme et Aménagement du territoire
Faculté des Sciences Humaines/Université d’Etat d’Haïti
Courriel : frantzkycalixte@yahoo.fr
Tel : (509) 40 09 43 47

Dimanche 18 septembre 2022 ((rezonodwes.com))–

Introduction

Depuis 2018, la région métropolitaine de Port-au-Prince est en proie à une montée ahurissante des gangs armés. L’expansion de la criminalité urbaine s’explique par un taux d’homicide jamais vécu jusqu’ici au pays. Le banditisme urbain cartographie un territoire balkanisé et miné par le pullulement des poches de criminalité au cours des 4 dernières années. Cette démultiplication des micro-pouvoirs au sein de l’aire métropolitaine détrône l’Etat comme seul et unique détenteur du monopole de la violence. La ville est pour ainsi dire assiégée. Et si cette cascade de violence qui frappe le citoyen lambda s’observe en plein jour, à la tombée de la nuit, les grandes artères urbaines prennent l’allure d’une ville fantôme. Cette violence a dégradé voire rétrogradé la ville.

De temps à autres, des organismes de droits humains, des médias ou encore la police rapportent des scenarii de crimes où des individus de toutes catégories sociales (étudiants, professeurs, journalistes, religieux, hommes d’affaires, policiers, politiciens, professionnels, ressortissants étrangers…) sont victimes de vols à main armée, d’exécutions sommaires, d’enlèvements contre rançon, de massacres, de balles perdues, etc. Quoique cette violence soit inégalement distribuée socialement, toutefois, elle n’épargne personne.

À première vue, la production de la violence à Port-au-Prince est l’action de groupes de jeunes issus pour la plupart des quartiers malfamés de la région métropolitaine. Au départ, tout porte à croire qu’ils ne sauraient détenir les moyens financiers nécessaires pour s’équiper en armes et munitions qu’ils exhibent régulièrement au niveau des réseaux sociaux. Par conséquent, l’on est en droit de penser que la production de cette violence est une commande politique qui met au prise des forces aux intérêts politiques et économiques divergents. Ce n’est pas sans raison que des groupes de gangs opèrent des alliances avec d’autres pour s’en prendre à leurs rivaux.

À l’évidence, comme relatent certains rapports, notamment celui de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) au sujet de l’enquête sur l’assassinat crapuleux du président J. Moïse, on retrouve des politiciens, des hommes d’affaires qui sont de mèche avec des associations de malfaiteurs. Logiquement, cette connivence de certains personnages puissants de la République qui s’abritent derrière un mur d’impunité imprenable les place au-dessus de leurs hommes de main. Ces derniers ne sont en réalité que de vulgaires exécutants. À un autre niveau, à côté d’autres acteurs de la mafia internationale qui sont aussi partie prenante de cette violence, au sommet de la hiérarchie, on retrouve l’influence grandissante des institutions comme l’ONU et l’OEA[1] qui interviennent régulièrement sur la question sécuritaire en Haïti ainsi que le comportement de l’administration américaine par rapport à l’application de leur agenda politique au pays. En effet, la plupart des armes répertoriées lors des saisies dans les douanes haïtiennes proviennent des Etats-Unis d’Amérique. Mais le dirigeant haïtien, quand il n’est pas lui-même complice de ces actes répréhensibles dans le concert du chaos, joue parfaitement bien sa note du silence pour ne pas gâcher la symphonie sinistre de l’oncle Sam qui le tient toujours par les couilles c’est-à-dire en usant comme d’habitude la bonne vieille politique de chantage à son égard (gel de compte bancaire, révocation de visa, déportation de famille, etc.).

Néanmoins, en dépit des ramifications politiques ou diplomatiques liées à la production de la violence dans le pays, la Police Nationale d’Haïti (PNH) s’engage malgré lui à lutter contre ce fléau. Dieu sait combien cette tâche s’avère difficile lorsqu’on examine de près cette réalité. L’institution policière essuie nombres d’échecs qu’elle se fait parfois ridiculiser par les détenteurs d’armes à feu illégales.

Quand il s’agit d’évaluer l’inefficacité des opérations de la police haïtienne sur le terrain, sa contre-performance est souvent jaugée à l’aune de son effectif dérisoire par rapport à la taille démographique du pays, son sous-équipement, l’éthique chancelante de ses agents, leur formation au rabais, leur salaire misérable, etc. S’il faut accorder de l’intérêt à ces paramètres, il faut tout aussi reconnaître que l’aménagement médiocre du territoire métropolitain constitue un obstacle majeur à une action efficace des forces de l’ordre.

Ceci dit, au-delà de la dimension politique et/ou diplomatique du banditisme urbain à Port-au-Prince, en quoi la connaissance des territoires urbains profite-t-elle aux exactions des gangs armés et entrave les raids policiers ? Comment se manifestent les obstacles liés à une action efficace de l’institution policière sur le terrain ?

Tactiquement, il serait plus aisé pour la police de livrer ses combats dans les centres-villes où les trames urbaines sont plus ou moins ordonnées. Quelles que soient la nature ou l’ampleur des combats à mener, le verrouillage de n’importe quel secteur urbain recèlerait de l’ingéniosité pour le lancement et la réussite des assauts. Mais la police ne choisit pas ses terrains de combat. Elle est censée poursuivre les bandes armées là où elles se retranchent. Au niveau de la région métropolitaine de Port-au-Prince, celles-ci se logent généralement au cœur des bidonvilles, en périphéries urbaines/zones plates et zones pentues. Pour comprendre les difficultés auxquelles buttent les forces de l’ordre sur le terrain, il s’avère judicieux de porter un regard sur les caractéristiques sociogéographiques de ces foyers de vie et/ou de guerre.

Sociographie des bidonvilles en Haïti et contraintes en matière d’opérations policières

Le territoire est consubstantiel à l’existence de l’Etat[2]. Dans les pays du Nord où l’extension des villes s’accompagne d’une vision étatique de prise en compte des responsabilités à travers des politiques publiques urbaines, on parle d’un urbanisme volontaire (top down). Dans les pays du Sud qui ont connu le processus inverse et, où l’Etat est plus ou moins défaillant, surgit un urbanisme par le bas (bottom up), la ville est donc produite par les particuliers. Cela génère de vrais problèmes renvoyant à la connexité, la santé, l’écologie, l’énergie, la sécurité, etc. En Haïti, ce modèle d’urbanisme par le bas a toujours donné du fil à retorde aux décideurs publics.

Dans les bidonvilles haïtiens, entendu au sens de Mike Davis (2006 :25-26), l’extension métropolitaine prend le contre-pied de toutes les démarches de l’urbanisme classique. En effet, comme dévoile leur cadre anthropique, les populations en manque chronique imposent leurs propres normes à l’urbanisation. C’est ainsi que prime la logique anarchique sur la logique urbaine que ce soit à Martissant ou au Fort-National (Port-au-Prince) ; La Saline, Bélécourt, Boston (Cité-Soleil) ; Solino, Simon-Pelé (Delmas) ; Butte Boyer, Torcel (Tabarre), Jalousie (Pétion-ville), pour ne citer que ceux-ci.

Le modèle d’urbanisation spontanée qui prévaut en Haïti permet de comprendre l’incapacité de l’État à fournir certains services à sa population. L’Etat haïtien est en effet incapable de répondre à la demande sociale de logement en ville. Par rapport à cette syncope publique, des particuliers se substituent aux décideurs pour apporter eux-mêmes des réponses à ce besoin même en se privant d’autres types de services. Leurs réponses prennent ainsi caricaturalement la forme de la maison individuelle sans raccordement aux grands réseaux (eaux, égouts, électricité, routes, etc.). De la sorte, ces zones où des êtres humains résident en complète promiscuité avec des animaux charpentent le lieu de prédilection de développement et de transmission de nombreuses maladies (choléra, diarrhée, malaria, typhoïde, etc.) ainsi que le lit d’éventuels bastions criminels.

Avec le capitalisme, le sol urbanisable est devenu un bien commercialisable c’est-à-dire une marchandise, donc est accessible à un prix. L’endroit où l’individu se sédentarise dépend de son pouvoir d’achat. Un vieux dicton haïtien stipule : « Mezi lajan w, mezi onga w ». Faute de mieux, on installe son logis là où ses moyens se le permettent. C’est dire que la qualité d’un habitat n’est pas sans rapport avec le niveau de vie de ses habitants. Le hasard ne tient aucune place au fait que les bidonvilles soient une réserve de chômeurs[3] et d’individus frustrés. À travers les politiques urbaines, on assigne des places à tout le monde dans la ville[4]. En réalité, les habitants des bidonvilles sont privés du « droit de cité » tenant compte de leur statut et de leur rang social. Le développement urbain prend la forme du développement social. La neutralité est à bannir dans la production de la ville[5].

Ainsi, en Haïti et expressément, dans les milieux urbains, l’intégration n’est pas automatique pour ne pas dire souvent perverse. L’aire métropolitaine de Port-au-Prince est un berceau de frustrations sociales et de déséquilibres spatiaux. Les inégalités sociales sont palpables dans la configuration sociospatiale du territoire. À côté des îlots de richesses et d’opulences triomphe une vue abjecte et sordide de la misère. Des taudis jouxtent des résidences au luxe insolent, exprimant par le fait même, une violence symbolique brutale. Or, qui dit inégalité, dit insécurité chronique. En portant l’attention sur le cas du Brésil, l’un des pays les plus inégaux au monde, le sociologue Jean Ziegler (2011) est assez explicite à ce sujet en écrivant que : « La moitié des brésiliens ne dorment pas parce qu’ils ont faim. L’autre moitié ne dorment pas non plus car ils ont peur de ceux qui ont faim ». Les inégalités sociales sont sources de tensions sociales.

Les bidonvilles abritent certes une population hétéroclite, mais, elle est majoritairement composée d’individus ayant des statuts socio-économiques modestes et vivant sous le seuil de la pauvreté, menant donc des vies de misère car non insérés dans les liens du travail. Autrement dit, ce sont, pour la plupart des individus ayant un niveau de vie extrêmement bas et qui survivent dans ces lieux non intégrés dans les activités productives. L’imagerie satellitaire comme outil géomatique se révèle, à cet égard, assez pertinente pour exposer la spatialisation des inégalités extrêmes qui sévissent dans la société haïtienne.

Le bidonville en Haïti est un espace de socialisation assez complexe où des gens qui l’habitent cultivent une forme de sociabilité résultant de leurs dures conditions de vie similaires. C’est ce qu’on observe à travers le partage d’un joint, d’un plat ou encore le prêt d’argent, de vêtements, de chaussures et autres entre des jeunes au sein de ces quartiers urbains déshérités.

Le bidonville haïtien est une ville dans la ville, avec ses codes, ses valeurs, sa morale, etc. En parcourant le récit de vie de quelques-uns de leurs habitants, l’on découvre souvent beaucoup de liens de parenté parce qu’ils se reproduisent entre eux et forment par conséquent de véritables familles élargies à l’intérieur de ces territoires qu’ils appellent « geto ». Etant donné que ces individus ont toujours été considérés comme les laissés-pour-compte de la civilisation urbaine ségrégante, la proximité qui définit leurs relations entre eux renforce davantage, et au cours des ans, leur complicité au sens psychologique du terme. Ce sont donc des alliés naturels dont les souffrances et les privations sociales de toutes sortes fermentent les liens. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle certaines jeunes femmes ne se gênent pas d’être concubine de certains chefs de gangs déclarés ennemis publics ou qu’une marée humaine provenant de ces lieux soit descendue dans les rues pour exiger la libération de certains d’entre eux quand ils se font appréhender par la police.

Tout compte fait, le bidonville n’abrite pas que ces gens-là. Les bidonvilles sont pour la plupart des espaces de transit pour certains citadins comme par exemple des étudiants qui y résident pendant leur scolarité mais qui les abandonnent peu après une mobilité économique. Cependant, même s’ils sont transitoires pour ceux qui caressent un quartier de rêve, n’empêche que d’autres y passent toute leur vie.

Sur le plan social, au-delà des divergences claniques, ce sont des espaces qui se caractérisent par la chaleur et la profondeur des liens[6]. Alors qu’au plan démographique, ce sont des territoires massivement construits mais affichant un Coefficient d’Occupation du Sol (COS) extrêmement faible.

Que pourrait-il se passer au cours d’une intervention policière dans un territoire pareil ?

D’abord, les difficultés sont d’ordre technique. Etant donné que le bidonville est anarchiquement construit, les possibilités pour la cavalerie de quadriller, de pénétrer et de permettre la libre circulation des troupes à l’intérieur d’un îlot sont assez compliqués par les voiries en spaghetti.

Par ailleurs, le poids démographique du bidonville est un argument qui plaide en faveur des bandes criminelles qui se servent des habitants comme boucliers humains en cas d’attaques policières. L’effort pour limiter les dommages collatéraux au cours d’éventuels affrontements entre les forces de l’ordre et les gangs requiert, du côté policier, une approche fine en termes de techniques d’intervention, de connaissances du territoire, du profil des agresseurs, etc. Car les gangs armés ont toujours tendance à se fondre dans la population civile. Et s’ils n’obéissent à aucune règle, du moins les leurs, les agents des forces légales quant à eux sont censés entreprendre leurs offensives suivant un protocole rudement élaboré. C’est pourquoi, ils peuvent être l’objet de poursuites internes au sein de l’institution policière après toute opération qui aurait mal tournée, dans n’importe quel pays d’ailleurs, dès que ça touche au non-respect du protocole d’intervention.

Quand deux bandes rivales s’affrontent dans un bidonville en Haïti, ça débouche souvent sur de vrais carnages parce que même des ménages qui se mettent à couvert à l’intérieur de leurs maisons sont atteints de projectiles.  Cela s’explique d’abord par l’attitude du bandit qui d’habitude ne lésine pas sur les munitions. Il se moque qu’il atteigne ou pas sa cible, le plus souvent, celui-ci vide son chargeur pour impressionner c’est-à-dire démontrer sa puissance de feu. S’ils ne sont pas de vrais tireurs, ce sont des plaisantins amateurs de sensations fortes qui jouent à la balistique, c’est pourquoi ils sont d’autant plus dangereux. D’autre part, dans des bidonvilles où les constructions sont assez vulnérables aux feux nourris, tout le monde est exposé aux rafales de leurs arsenaux. Donc, en fonction de la direction et la vitesse du vent, la pression atmosphérique, le taux d’humidité, l’air, quand ces armes de guerre se mettent crier leurs pluies de balles torrentielles, les victimes sont dénombrées partout.

Périphéries urbaines plates/Zones pentues et contraintes topographiques en matière d’opérations policières

Le relief du territoire métropolitain tout comme celui de l’ensemble du pays est contrasté. Dans les périphéries urbaines de Port-au-Prince, il existe des unités urbaines qui partagent à la fois des sites de plaines et des sites de montagnes comme l’actuelle agglomération de Canaan surplombée par la chaine du Trou d’eau, la Croix-des-Bouquets et Pernier par un versant du massif de la Selle et Martissant par le morne l’Hôpital. Ce qui ne veut pas pour autant signifier qu’Haïti soit un pays à vocation montagnarde. Les tendances d’urbanisation qui se sont développées au cours de l’an 2 000 ont gangrené systématiquement les surfaces agricoles de la plaine du Cul-de-sac, considérée jadis comme le grenier de Port-au-Prince. À présent, la frénésie de construire atteint des zones pentues qui font plus de 45⁰ comme au versant sud du morne l’Hôpital.

Si l’urbanisation de la plaine du Cul-de-sac a donné lieu dans un premier moment à de la spéculation foncière ou à un prélèvement de rente pour les propriétaires terriens, elle a tout aussi permis la perception de certaines taxes relatives à la construction pour les municipalités de la place. Toutefois, il a toujours existé une catégorie de gens, souvent des marginaux, pour soutirer de l’argent entre les mains des nouveaux constructeurs de maisons faute de quoi leurs chantiers seront fermés. Cette pratique s’est développée, s’est mûrie au point que ses acteurs soient devenus de vrais caïds prêts à se lancer dans le crime organisé. D’autre part, c’est la propension de certains regroupements à « faire du social » qui est à la base du foisonnement des associations scélérates dans le pays car l’Etat déroge à ses responsabilités.

Les meutes criminelles colonisent à la fois les plaines et les montagnes. Et quand elles doivent se battre contre les forces de l’ordre, elles se comportent comme des joueurs d’échecs.

À l’est de Port-au-Prince, dans les territoires de la Croix-des-Bouquets par exemple, plus précisément dans sa partie rurale, il subsiste encore de vastes domaines, de terrains libres à l’abri de l’urbanisation frénétique. Quand les forces policières progressent dans leurs offensives et acculent les hordes criminelles dans la frange urbaine, celles-ci se replient ou disparaissent comme dans un écran de fumée vers les vastes milieux ruraux où l’effectif réduit des unités spécialisées ne sauraient s’aventurer. La police peine à lancer des hostilités dans tels espaces car les périmètres à couvrir sont trop importants. Sinon, ce serait partir à la chasse aux fantômes ou s’offrir bêtement un aller simple pour le cimetière. Quand la situation est vraiment tendue en ville, les bandits font profil bas dans les bois, pour ensuite revenir commettre leurs exactions dans les périodes de calme apparent. Ainsi, la bataille devient une routine quotidienne et semble perdurer ad vitam aeternam.

Par ailleurs, si la montagne n’est pas exploitée comme elle devrait l’être pour un pays qui en compte près de 75%, il faut bien admettre qu’elle dessert assez bien l’action des hors-la-loi. Ces derniers peuvent bien semer la pagaille dans la partie basse de la ville et se réfugier dans les mornes quand elles sont traquées par la police, mais elles ne s’inquiètent nullement des représailles d’une institution qui ne dispose pas d’unités aéroportées. En outre, même si l’on dispose en tant que force légale de la grosse artillerie (drones, hélicoptères, missiles de longue portée, avions de chasse, porte-avions, sous-marins), l’ultime bataille se gagne au ras du sol, donc dans la poussière. Et ça, les bandits le savent.

L’établissement des campements en hauteur (Laboule, Canaan, Tibwa) est un calcul stratégique opéré par les bandes criminelles pour défier tactiquement les forces de police limitées sur plan logistique. En cas d’attaques policières terrestres, elles sont prévenues à la vitesse de la lumière car elles disposent d’une vue panoramique de leur environnement qui s’étend jusqu’à l’horizon. De surcroît, la position en hauteur est favorable aux tirs des gangs. Quiconque pense que la police joue sur du velours en les matant se trompe sur toute la ligne. Par endroits, certains de ses campements sont totalement inaccessibles même pour des véhicules tout-terrain. Y parvenir à pied, totalement à découvert, sur des territoires aussi hostiles ne saurait être des parties de plaisir.

Conclusion

Les différentes cités profilant la cartographie sociale de la région métropolitaine de Port-au-Prince sont des micro-espaces sous-intégrés à la grande ville, donc dominés par la pauvreté, l’inadvertance des responsables politiques et l’acceptabilité sociale du banditisme endémique. Elles se dressent sur des espaces non constructibles et ne bénéficient d’aucuns programmes sociaux en particulier. Ce sont des univers urbains prédominés par des calamités sociales et, où l’on se moque des droits de l’homme et de toute forme de justice spatiale. La société haïtienne est issue d’une matrice coloniale et esclavagiste. La culture de la violence est profondément enracinée dans le passé de cette formation sociale. D’où la cristallisation d’un imaginaire institué et instituant de la violence en Haïti entendu bien sûr au sens de Franklin Midy[7]. Et depuis belles lurettes, celle-ci est appropriée à des fins politiques. La léthargie du système de redistribution des richesses à atténuer les effets du paupérisme urbain alimente les foyers marginaux de promesses creuses et, en conséquence, se sont-ils transformés en de vraies bombes à retardement.

La meilleure stratégie pour optimiser l’action policière consiste en une fine connaissance des territoires dans lesquelles elle intervient tant sur le plan social que sur le plan géographique. Cela suppose des séances de formation continue pour les unités d’intervention dans les domaines de la géographie, de la cartographie, de l’enquête de terrain, etc. Car en matière de combat, tout le danger réside autour de ce que l’un ignore de l’autre. Pour remporter une bataille, en dehors de l’armement, il faut globalement une bonne connaissance de l’adversaire.

Le chaos et le désordre sont des éléments qui caractérisent notre territoire. Si l’on souhaite lutter efficacement contre le banditisme urbain, il faut penser à un aménagement responsable du territoire métropolitain. Cela consiste dans la construction de logements sociaux pour les catégories sociales les moins aisées en éradiquant progressivement les bidonvilles les plus dangereux et en une conquête de la montagne en Haïti à des fins utiles. De tels des projets supposent des gouvernements jouissant d’une forte légitimité populaire et disposant de gros budget d’investissement. Dans l’état actuel des choses en Haïti, on en n’est pas encore là, mais la construction de l’Etat passe inexorablement par le contrôle strict de son territoire, la force de sa législation et de ses institutions, l’intégration de sa population, etc.

Bibliographie

AVENEL, C., 2010 [2015]. – Sociologie des quartiers sensibles. Paris, 3e édition, Armand Colin

BEAUCHARD, J., 1999.- La bataille du territoire, Paris, L’Harmattan

DAVIS, M., 2006.- Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte

DI MEO, G., 1993.- « Les territoires de la localité ». In Espace Géographique, Tome 22, No 4, p. 306-317

GRANOTIER, B., 1980.- La planète des bidonvilles. Perspectives de l’explosion urbaine dans le tiers monde, Paris, Editions du Seuil

MIDY, F., 2009.- « Haïti. Imaginaire et mémoire de la violence… espoir de changement ». In CORTEN, A., (Sous la direction) 2009.- La violence dans l’imaginaire latino-américain, Paris – Québec, Editions Karthala – Presses de l’Université du Québec

ZIEGLER, J., 2011.- Destruction massive. Géopolitique de la faim, Paris, Editions du Seuil


[1] Voir à ce sujet l’interview du secrétaire général de l’OEA Luis Almagro avec le quotidien Miami Herald de la Floride (USA) en date du 8 août 2022.

[2] Il n’y a pas d’unité politique sans centre et sans frontière.

Cf. J. Beauchard, 1999.- La bataille du territoire, Paris, L’Harmattan, p.19

[3] Globalement, dans le tiers-monde, la création d’emplois ne suit pas la croissance démographique

Cf. B. Granotier, 1980.- La planète des bidonvilles. Perspectives de l’explosion urbaine dans le tiers monde, Paris, Editions du Seuil, p. 42

[4] Toute société met en scène ses différences et les traduit par une véritable hiérarchie spatiale plus ou moins complexe selon les temps et les lieux.

Cf. G. Di Méo, 1993.- « Les territoires de la localité », In Espace Géographique, Tome 22, No4, p. 311

[5] La ségrégation est aussi ancienne que la ville elle-même.

Cf. C. Avenel, 2010 [2015]. – Sociologie des quartiers sensibles. Paris, 3e édition, Armand Colin, p.16

[6] La question sécuritaire apparaît beaucoup plus sensible quand elle touche au recrutement d’informateurs fiables pour les services de renseignements de la police dans ces lieux dominés par des chefs de gangs devenus au fil des années des bons papas pour des gens affamés.

[7] F. Midy, 2009.- « Haïti. Imaginaire et mémoire de la violence… espoir de changement ». In A. Corten, (Sous la direction) 2009.- La violence dans l’imaginaire latino-américain, Paris – Québec, Editions Karthala – Presses de l’Université du Québec

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