3 octobre 2025
Décolonisation mentale : la langue française comme instrument de domination en Haïti
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Décolonisation mentale : la langue française comme instrument de domination en Haïti

par Wisly Joseph

Dimanche 28 aout 2022 ((rezonodwes.com))–

La langue française a une influence dominante sur la société haïtienne depuis des siècles. Quand nos ancêtres se sont rendus indépendants en 1804 et qu’ils ont voulu faire connaître au monde, dans un acte d’indépendance solennel, leur détermination de vivre à jamais séparés de la France, c’est à la langue de leurs anciens maîtres qu’ils recoururent à cette fin.

Ils acceptaient ainsi, dans l’ensemble de l’héritage colonial, la langue française comme langue officielle du nouvel État, dit-il, le docteur Pradel Pompilus, dans sa thèse: “La langue française en Haïti” (1961).

Il est important de souligner que Jean Jacques Dessalines a déjà mis en garde l’influence française sur l’État en construction dans l´Acte d´indépendance du premier janvier 1804, en ces termes: “(…) nos lois, nos mœurs, nos villes, tout porte encore l’empreinte française”.

Dans le fameux ouvrage intitulé: “Ainsi parla l´Oncle”, Jean Price Mars a eu raison lorsqu’il disait que la société haïtienne revêtit sa défroque de la civilisation occidentale au lendemain de 1804. Elle cherchait à modeler sa pensée et ses sentiments à se rapprocher de son ancienne métropole, à lui ressembler, à s’identifier à elle. À son époque, il a pu constater que beaucoup de noirs ont eu honte de parler de la culture haïtienne, c’est-à-dire : du créole, vaudou et de la culture populaire.

C´est ce qu’il va appeler plus loin le “bovarysme collectif”. Qu´est-ce-que cela  signifie ? Pour lui, le bovarysme collectif est la faculté que s’attribue à une société de se concevoir autre qu’elle ne l’est pas. Dans cette déclaration, il voulait nous montrer que le colonisé se voit toujours dans la tête de son colonisateur, c’est-à-dire, il pratique une langue, religion, science ou culture qui ne s’adapte pas à sa réalité. C´est ce qu’il va appeler plus loin “les poètes français égarés sur le sol d’Haïti”.

En conséquence, les élites haïtiennes vont organiser la société à partir de l’héritage colonial, c’est-à-dire, suivant le système éducatif français, langue française, la religion catholique et le code Napoléon.

Les premiers écrivains haïtiens ont été formés en France, sous la direction de professeurs français et dans des livres écrits en français. Par la suite, ceux qui seront formés en Haïti, iront pour la plupart en France pour compléter leur formation, nous rappelle Jean Rosier Descardes (1999).

En d´autres mots, les premiers écrivains haïtiens, en même temps qu’ils célébraient la victoire sur les troupes de Bonaparte à travers leurs discussions littéraires, se glorifiaient de la culture française.

Nous nous rappelons, bien-sûr, l’une des plus remarquables phrases d’Ussol lorsqu’il affirme: “Notre langue est française, françaises sont nos mœurs, nos coutumes, nos idées et, qu’on le veuille ou non, française est notre âme”.

Dans le recueil “Rire et pleurs” (1896) d’Oswald Durand, en particulier, dans son poème populaire intitulé: “Chouchoune”, l ́auteur nous a montré deux complexes d’infériorité chez la negresse surnommée “Choucoune”: a) couleur blanche; b) et langue française. Il pleurait qu´il avait perdu cette jeune femme qu´il était amoureux à l´époque à cause d´un concurrent, en plus d´être blanc, il parle français aussi.

Yon p’tit blanc vini rivé :

P’tit’ barb’ roug’, bell’ figur’ rose ;

Montr’ sous côté, bell’ chivé…

– Malheur moin, li qui la cause !…

Li trouvé Choucoun’ joli :

Li parlé francé, Choucoun’ aimé-li…

Pitôt blié ça, cé trop grand la peine,

Choucoun’ quitté moin, dé pieds-moin lan chaîne !

Le français est donc aujourd’hui en Haïti la langue hégémonique en comparaison au créole parlé par la masse populaire. Le français est la langue de l’enseignement, de l’administration publique et privée, de la justice, du journal, de la radio, du film, de la musique, de l´ouvrage académique, de la messe de l´église, dans les cérémonies de mariage, de funérailles et dans certaines relations amoureuses.

En Haïti, dans le langage courant, lorsque quelqu’un agit avec bonté ou une qualité très rare; donc, on l’appelle: “blan gason”, ou du moins, “li pa ayisyen, se po l ki nwa”. Celui qui parle aisément le français on dit souvent: “li pale fransè tankou rat”; ou encore, “li pale fransè tankou dlo”. Comme dit le père fondateur de la patrie, J. J. Dessalines, l’empreinte française est encore présente chez nous.

En outre de langue française, il nous faut décoloniser toutes les choses qui ont un statut hégémonique dans la société; c’est-à-dire, les manières de voir, d’entendre, de faire, de penser, d’apprendre et d’enseigner. Comme dit Price Mars: “Soyons nous-mêmes, le plus complètement possible”.

Sources

DESCARDES, Jean Rosier (1999). Francophonie en Haïti: Etat des lieux et perspectives. Mémoire de DEA de Droit de l’Economie Internationale et du Développement ; sous la direction du Professeur Edmond Jouve.

DURAND, Oswald. Choucoune. In: Rires et pleurs [recueil]. Haïti, 1896.

HAITI. Acte d´indépendance, 1804. Disponible en: “https://mjp.univ-perp.fr/constit/ht1804.htm#:~:text=Dessalines%20et%20les%20chefs%20de,qui%20est%20bient%C3%B4t%20proclam%C3%A9%20empereur”. Accès le: “27/08/2022”.

PRICE-MARS, Jean (2009). Ainsi parla l’oncle. Essais d’ethnographie. Édition numérique réalisée le 8 février à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec, Canada.

POMPILUS, Pradel. La langue française en Haïti. Thèse de doctorat es-lettres, Université de Paris, 1961.

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