Edito de Haïti-Observateur | Le destin d’Haïti ne se joue pas à Port-au-Prince – L’OEA, annonciatrice d’une nouvelle stratégie sur Haïti

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L’OEA, annonciatrice d’une nouvelle stratégie sur Haïti

Au niveau de l’OEA, la Maison Blanche, par le biais du Département d’État, impose toujours sa volonté. Aux Nations Unies, à l’OEA ou à d’autres, les fonctionnaires qui y siègent doivent leur mandat à leur acquiescement.

Depuis la chute de la dictature des Duvalier, le 7 février 1986, dans le cadre des démarches lancées, en vue de faire avancer «la cause de la démocratie », chez nous, le peuple haïtien est le dernier à prendre connaissance des décisions le concernant, arrêtées par les grandes démocraties, qui passent pour « pays tuteurs ».

Ricardo Steinfus: « Il y a 200 ans, Haïti a illuminé l’histoire de l’humanité et celle des droits humains. Il faut maintenant laisser une chance aux Haïtiens de confirmer leur vision«  sans les « bandits légaux PHTK », un véritable cancer pour Haiti.

New York, mercredi 17 aout 2022 ((rezonodwes.com))–

S’il est admis que l’Organisation des États américains (OEA) est un instrument diplomatico-politique de Washington, on ne doit se faire aucune illusion par rapport à l’intervention du 8 août 2022 de son secrétaire général, Luis Leonardo Almagro Lemes. Sur fond de dénonciations de la « communauté internationale », dont il reconnaît l’«échec » de la mission en Haïti, qui s’est étirée sur une période de plus de deux décennies, et la responsabilité des maux infligés sur Haïti durant ce temps, il suggère que les « pays amis » assument le coût de la facture des mesures devant remettre le pays à neuf. Il semble que, dans son communiqué, M. Almagro soit resté collé au scénario qui lui a été présenté, ayant opté pour taire l’ultime objectif de sa démarche.

Aucun doute, contrairement à ce que pensent certains observateurs, voulant faire croire que les États-Unis d’Amérique, en tant que « patron » de l’organisme régional, serait tenu à l’écart des déclarations faites par Luis Almagro, la semaine dernière. Loin de là. Ce message, dont la livraison a été confiée à cet organisme, à qui incombe la responsabilité d’entériner la politique et la diplomatie américaines, par rapport aux États de l’hémisphère occidental, a tout l’air d’annoncer une nouvelle stratégie globale des Américains en ce qui concerne Haïti. Car le secrétaire général de l’OEA n’a pas les coudées franches pour émettre des prises de position indépendamment des États-Unis.

Après sa longue note du 8 août dernier, il faut s’attendre maintenant à ce que s’annonce, ultérieurement —mais à très brève échéance —, le volet le plus important des nouvelles dispositions concernant notre pays partageant la souveraineté de l’île avec la République dominicaine.

En effet, nonobstant les déclarations des officiels américains, à Washington, mille fois relancées par leur ambassade, à Port-au-Prince, le destin d’Haïti ne se joue pas au pays. Car, surtout depuis la chute de la dictature des Duvalier, le 7 février 1986, dans le cadre des démarches lancées, en vue de faire avancer «la cause de la démocratie », chez nous, le peuple haïtien est le dernier à prendre connaissance des décisions le concernant, arrêtées par les grandes démocraties, qui passent pour « pays tuteurs ».

En fait, considérés comme des enfants mineurs par leurs propres dirigeants se réunissant en conciliabule avec les représentants des pays qualifiés « amis d’Haïti », les officiels haïtiens, tout en parlant au nom d’Haïti, ne recevaient pas leurs consignes du peuple haïtien. On en veut pour preuve, les démarches tripartites menées, sur le dos d’Haïti, à Governors Island (à New York), au niveau des ambassadeurs étrangers cherchant à dégager un accord entre Jean-Bertrand Aristide, exilé à Washington, et les militaires haïtiens dirigés par le duo Raoul Cédras et Philippe Biamby (en 1993-1994). Durant les jours, que se déroulaient ces pourparlers, les Haïtiens passaient le plus clair de leur temps à scruter les organes émetteurs d’informations pour se faire une idée de la progression des discussions. Mais, au bout du compte, c’est « le Blanc », qui avait le dernier mot.

Même scénario, au cours des disputes qui ont marqué les élections, délibérément bâclées, ou mal gérées, des années 90 (Jean-Bertrand Aristide) à 2016, particulièrement celles ayant porté Michel Martelly au pouvoir, en 2011. Ou encore la situation prévalant avec Ariel Henry, dont la stratégie consiste à faire durer son séjour à la primature, dans le cadre des différents accords trouvés, mais vite abandonnés.

Membre fondateur des Nations Unies, le gouvernement américain contribue un cinquième de son budget (pour l’année 2021). Créateur aussi de l’Organisation des États américains, Washington assume 66 % de son budget de USD 81 millions $ pour l’année 2022. Suivant le principe généralement admis, selon lequel « qui finance donne les ordres », il est juste de dire que l’Oncle Sam fait exécuter sa politique globale au sein de ces deux organisations.

Cela signifie que les secrétaires généraux qui pilotent ces deux entités et les institutions qui y sont affiliées prennent leurs ordres de Washington. Ou bien, quand il y a conflit entre les membres permanents, au niveau du Conseil de Sécurité de l’ONU— États-Unis, France, Grande Bretagne, Chine et Russie—, la décision avancée par le gouvernement américain triomphe le plus souvent. Au niveau de l’OEA, la Maison Blanche, par le biais du Département d’État, impose toujours sa volonté. Si d’aventure, surgit la dissidence, celle-ci se retrouve isolée en optant pour le retrait de l’organisation, à l’instar du Nicaragua, sous la férule de Jose Daniel Ortega Saavedra. Ou bien du Venezuela, sous la présidence de Nicolas Maduro Moros, expulsé par vote majoritairement concocté par les États-Unis.

En clair, donc, la politique mondiale est gérée au rythme des États dits puissances tutrices faisant entériner leurs décisions au sein des organisations internationales. Aux Nations Unies, à l’OEA ou à d’autres, les fonctionnaires qui y siègent doivent leur mandat à leur acquiescement. Aussi la jouissance continue des prérogatives, dont ils sont dotés, se résume-t-elle à la bonne note de leur obéissance aveugle aux quatre volontés des dirigeants des grands pays, les États-Unis y détenant la part du lion des influences.

À cet égard, Ricardo Seintenfus, ancien représentant spécial de l’OEA en Haïti, vend la mèche, dans son article publié dans Le Nouvelliste et Rezo Nòdwès, au lendemain de la sortie du communiqué d’Almagro. « (…) Il n’empêche que lorsque Washington veut la tête d’un dirigeant d’une organisation internationale (Boutros Ghali, à l’ONU, Mauricio Bustani, à l’OPAQ, ou encore les crises permanentes avec l’UNESCO) il trouve un moyen de s’en débarrasser », écrit-il.

À la lumière de tous ces faits, aucun doute que Luis Almagro, et ses prédécesseurs avant lui, ainsi qu’Antonio Guterres (aussi bien que ceux qui l’ont précédé, à l’ONU), évoluent-ils dans le sens des intérêts américains. Aussi, sont-ils partie intégrante de tout ce qui a contribué à la descente aux enfers d’Haïti. Il serait donc illusoire de dissocier ce dernier des accusations portées contre ces deux organismes internationaux.

En guise de résumé des critiques formulées à l’encontre de la communauté internationale, dans le communiqué de M. Almagro, et les non-dits de ce même document, il est fait un rappel objectif de la transformation socio-politique et économique qui s’est opérée, en Haïti, au cours des trente-six dernières années. Certes, le constat est universel : Gouvernement totalement dysfonctionnel, assorti d’un système judiciaire mori-bond (pour ne pas dire non existant), en sus d’un parlement en congé définitif. Des forces de sécurité presque totalement absentes : Police affaiblie et sous performante, numériquement faible et privée des moyens de remplir sa mission, laissant le champ libre aux gangs armés qui imposent leur loi sur tout le pays et semblant bénéficier de la complicité des dirigeants de facto du pays. En plus d’une force militaire remobilisée, mais restée atrophiée, numériquement et en termes d’équipements. Dès lors, incapable de se substituer à la Police ou de lui prêter main forte décisivement dans ses rares opérations limitées contre les malfrats.

Voilà le cheminement qu’a connu progressivement Haïti, durant la période de temps indiquée dans le communiqué du secrétaire général de l’OEA. De toute évidence, l’objectif poursuivi, dans le cadre des différentes missions de l’ONU déployées au pays, de 1993 à ce jour visait son anéantissement. Également respecté à la lettre par ceux qui dirigent l’organisme hémisphérique.

Tout compte fait, Luis Almagro, dans sa déclaration du 8 août, s’est limité à répéter le message qui lui a été communiqué par ses patrons. Ni plus, ni moins !

S’il faut accepter que Washington se fait passer pour le « décideur » de la communauté internationale, il y a fort à parier qu’il temporisait avec la situation, qui se dégradait, en Haïti, dans l’attente d’un appel général à agir. Il semble que les Américains voient le moment venu de changer leur fusil d’épaule, c’est-à-dire de rectifier les torts qui ont été délibérément infligés à Haïti.

En attendant que toutes les responsabilités soient fixées, dans la débâcle de la communauté internationale, il faut commencer par libérer définitivement le pays des gangs armés, avant que tous les autres objectifs soient visés.

À ce tournant, redonnons la parole à Ricardo Seintenfus : « La reconstruction et l’accompagnement d’une société si riche sont une des dernières grandes aventures humaines. Il y a 200 ans, Haïti a illuminé l’histoire de l’humanité et celle des droits humains. Il faut maintenant laisser une chance aux Haïtiens de confirmer leur vision ».

Edito de Haiti-Observateur
VOL. LII, No. 32 New York: Tel : (718) 812-2820; • Montréal (514) 321-6434; • Port-au-Prince: (011 509) 223-0785 • Paris (33-1)43-63-28-10 17- 24 out 2022

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