Document intégral : la Fédération des Barreaux d’Haïti se prononce sur l’arrestation de Me Robinson Pierre-Louis

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FEDERATION DES BARREAUX D’HAITI (FBH) Résolution 2022-01

Portant sur l’arrestation de Maitre Robinson Pierre-Louis, secrétaire général de la Fédération des Barreaux d’Haïti Adoptée par le Conseil d’Administration Le mardi 02 aout 2022

Vu  les  dispositions  de  la  Constitution  haïtienne  de  1987 amendée  par  la  loi constitutionnelle du 9 mai 2011 ;

Vu les articles 24, 24.1 et 24.2 de ladite Constitution qui énoncent que : « La liberté individuelle est garantie et protégée par l’État. Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu  que  dans  les  cas  déterminés  par  la  loi  et  selon  les  formes  qu’elle  prescrit. L’arrestation et la détention, sauf en cas de flagrant délit n’auront lieu que sur mandat écrit d’un fonctionnaire légalement compétent » ;

Vu l’article 27 qui énonce que : « Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent sans autorisation préalable,  se  référer  aux  tribunaux  compétents  pour  poursuivre  les  auteurs  et  les exécuteurs de ces actes arbitraires quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu’ils appartiennent » ;

Vu l’article  26.1  qui  énonce : « En cas de délit ou de crime, le prévenu peut, sans permission préalable et sur simple mémoire, se pourvoir devant le doyen du tribunal de première  instance  du  ressort  qui,  sur  les  conclusions  du  Ministère  Public,  statue  à l’extraordinaire, audience tenante, sans remise ni tour de rôle, toutes affaires cessantes sur la légalité de l’arrestation et de la détention » ;

Vu la Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre

1969, ratifiée par Haïti le 20 août 1979, en particulier les articles 7.1, 7.2 et 7.3 qui prévoient : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et dans des conditions déterminées à l’avance par les constitutions des États parties ou par les lois promulguées conformément à celles-ci. Nul ne peut faire l’objet d’une détention ou d’une arrestation arbitraires » ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre

1966, ratifié par Haïti le 6 février 1991, notamment en son article 9.1 ;

Vu le  Code  d’instruction  criminelle  haïtien, en particulier  les  dispositions  de l’article   30,   qui   précise   limitativement   les   pouvoirs   du   Commissaire   du Gouvernement  en  matière  d’arrestation :  «  Dans  le  cas  de  flagrant  délit,  le Commissaire  du  Gouvernement  fera  saisir  les  prévenus  présents,  contre  lesquels  il existerait des indices graves, et, après les avoir interrogés, décernera contre eux le mandat de dépôt. Si le prévenu n’est pas présent, le Commissaire du Gouvernement rendra une ordonnance à l’effet de le faire comparaitre : cette ordonnance s’appelle mandat d’amener. La dénonciation seule ne constitue pas une présomption suffisante pour décerner cette ordonnance contre un individu ayant domicile » ;

Vu la loi du 29 novembre 1994 portant création, organisation et fonctionnement de la Police Nationale d’Haïti (PNH), notamment les articles 30 et 31 ;

Vu  les  dispositions  du  décret  du  29  mars  1979  règlementant  l’exercice  de  la profession d’avocat en Haïti, notamment l’article 1 qui dispose : « La profession d’avocat  est  libérale  et  indépendante.  Elle  s’exerce  dans  le  cadre  d’une  organisation corporative, appelée Ordre du Barreau, jouissant de la personnalité civile et ayant sur ses membres un droit de surveillance et de discipline » ;

Vu l’article 52 qui prévoit que « L’avocat militant postule devant toutes les juridictions en toute liberté et indépendance dans la limite des droits et conventions. En acceptant une cause, il s’engage à la produire selon les principes légaux et les intérêts de ses clients. Il jouit,  par  privilège,  devant les  organisations  administratives  ou  de  police  judiciaire, quand il assiste ou représente une personne, de toutes les garanties nécessaires à la défense des droits qu’il exerce » ;

Vu l’article 53 qui précise que « Nulle contrainte, en dehors des cas prévus par la Loi, ne peut être exercée sur sa personne, à l’occasion de l’exercice de sa profession, notamment de l’exécution des actes de son ministère. La violation de ce texte entraine la responsabilité personnelle de son auteur qui en répondra par devant qui de droit » ;

Vu l’article 61 qui prévoit que « l’avocat, pour les faits concernant sa profession, relève du Conseil de discipline » et l’article 66 qui précise que « Le Bâtonnier, soit de sa propre initiative, soit à la demande du Commissaire du Gouvernement ou sur la plainte de toute personne intéressée, peut convoquer le Conseil de discipline, pour lui soumettre tout fait reproché à l’Avocat. Le Conseil, après enquête, statuera préalablement sur la valeur ou l’importance du cas à savoir s’il y a lieu ou non de prononcer contre l’avocat. S’il n’y a pas lieu à poursuivre, le Bâtonnier avertit le plaignant. Si les faits lui avaient été signalés par le Commissaire du Gouvernement, il avise ce dernier. Dans le cas contraire, le conseil de Discipline procède à l’instruction de l’affaire » ;

Vu les  Principes  de  base sur  le  rôle  du  Barreau adoptés  à  la  Havane  en  1990 par   l’Organisation  des  Nations  Unies,  qui  rappellent  en  préambule  que  « les associations professionnelles d’avocats ont un rôle crucial à jouer en ce qui concerne le respect des normes établies et de la déontologie de leur profession, la défense de leurs membres contre toute restriction ou ingérence injustifiée, le libre accès de toutes les personnes qui en ont besoin aux services juridiques et la coopération avec les institutions gouvernementales et autres au service de la justice et de l’intérêt commun » ;

Vu le Principe 18 qui mentionne que « Les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l’exercice de leurs fonctions » ;

Vu les statuts de la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH) adoptés le 14 mai 2002 et modifiés le 7 décembre 2013 ;

Vu le  Code  de  Déontologie  de  la  profession  d’avocat  adopté  par  le  Conseil d’Administration de la FBH le 21 aout 2002 ;

Vu la note de protestation publiée par le Barreau de Port-au-Prince en date du 23 juillet 2022 et le communiqué de presse publié par la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH) le 24 juillet 2022 ;

Vu le rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) sur le dossier du trafic d’armes de Port-de-Paix communiqué au Parquet de Port-au-Prince en date du 25 juillet 2022 ;

Considérant  qu’en  date  du  22  juillet  deux-mille  vingt-deux  (2022),  Maitre Robinson  Pierre-Louis,  secrétaire  du  Barreau  de  Port-au-Prince  et  secrétaire général de la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH), a été arrêté puis gardé à vue par  la  Direction  Centrale  de  la  Police  Judiciaire  (DCPJ).  Cette  arrestation  est survenue  à la suite de  son audition  par le  Bureau des Affaires financières et économiques (BAF), alors que  Me Pierre-Louis s’était  volontairement déplacé pour  répondre  à  une  simple  invitation  dans  le  cadre  d’un  dossier  de  trafic d’armes, pour lequel il était intervenu en sa qualité d’avocat ;

Considérant que l’arrestation de Me Pierre-Louis a été réalisée en dehors de tout cas de flagrant délit et en l’absence d’un mandat émis par une autorité judiciaire compétente, en violation flagrante des articles 24 et suivants de la Constitution et des  dispositions  du  Code  d’instruction  criminelle.  Cette  prise  de  corps  est survenue en contournant sciemment les garanties prévues par le Décret du 29 mars 1979 qui imposent la saisine préalable de l’Ordre des avocats de Port-au- Prince ;

Considérant  que  cette  arrestation  est  fondée  sur  un  amalgame  dangereux entre : 1) les faits reprochés aux suspects, 2) ceux reprochés au Commissaire du gouvernement  de  Port-de-Paix  qui  a  ordonné  leur  libération,  et  3)  ceux reprochés à Me Pierre-Louis. Le rapport communiqué au Parquet de Port-au- Prince par la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) en date du 25 juillet

2022 opère en ce sens une confusion étonnante entre les charges retenues sous le motif générique de « actes de suspicion de corruption, trafic illicite d’armes à feu et de munitions, trafic d’influence, forfaiture et Association de malfaiteurs » ;

Considérant qu’il ressort clairement des éléments du dossier que c’est bien en sa qualité d’avocat que Me Pierre-Louis a contacté le Commissaire par téléphone pour assurer la défense de son client. Il est scandaleux de laisser croire que Me Pierre-Louis pourrait être associé aux faits de trafics d’armes et association de malfaiteurs  reprochés  aux  suspects,  qu’il  ne  connaissait  même  pas  avant d’intervenir sur le dossier en appui à un confrère du Barreau de Port-de-Paix ;

Considérant  que  le  seul  élément  retenu  par  la  DCPJ  contre  Me  Pierre-Louis repose  sur  l’audition  du  Commissaire  du  gouvernement  de  Port-de-Paix  qui, après son arrestation, a allégué que Me Pierre-Louis aurait fait mention de sa fonction de membre du Cabinet du Ministre de la Justice lors de leurs échanges. Il  est  surprenant  de  constater  que  la  DCPJ  puisse  considérer  que  ce  simple témoignage,  aussi  faible  sur  le  fond  que  sur  la  forme  et  dont  le  contenu  est d’ailleurs contesté par Me Pierre-Louis, pourrait être suffisant pour le rendre coresponsable  de  la  décision  de  libération  incriminée,  ce,  d’autant  plus  que, comme on peut d’ailleurs le lire dans le rapport, Me Pierre-Louis n’était pas en mesure de donner un quelconque ordre au Commissaire du gouvernement ;

Considérant que si la question de l’existence d’un conflit d’intérêt entre la prise en charge légale de ce dossier et la fonction de membre du Cabinet du Ministre de la Justice peut être posée, celle-ci relève avant tout du domaine des règles éthiques et déontologiques, dont la discipline est de la compétence du Barreau d’attache, apte à prendre toutes les sanctions prévues par la loi ;

Considérant que  le  Barreau de  Port-au-Prince  et la Fédération des  Barreaux d’Haïti se sont vu dans ce contexte dans l’obligation d’introduire en urgence un recours  en  habeas  corpus,  plaidé  devant  le  Doyen  du  Tribunal  de  Première Instance de Port-au-Prince le lundi 25 juillet 2022 à partir de 1H05pm ;

Considérant que, profitant d’une suspension d’audience, le Doyen s’est déplacé pour rencontrer le Commissaire dans son bureau, lequel a présenté à la reprise de l’audience un certificat de greffe manuscrit mentionnant que le dossier aurait été transmis au Cabinet d’instruction le même jour à 2H30 pm. L’opportunité du moment comme la célérité constatée dans le suivi de cette procédure ne peuvent qu’être  questionnées  alors  que  tant  de  dossiers  sont  laissés  à  l’abandon,  les bandits notoires s’exposant désormais en pleine rue, occupant même le tribunal de la capitale depuis plusieurs semaines, pour commettre leurs méfaits sans être aucunement inquiétés ;

Considérant   que   le   Doyen   a   délibérément   violé   les   dispositions   de   la Constitution en s’abstenant de rendre sa décision séance tenante. Entre-temps, Me Pierre-Louis a été transféré au Pénitencier national en date du samedi 30 juillet, et se trouve de ce fait depuis maintenant douze (12) jours en détention. Ce n’est que le lundi 1er aout 2022 que le Barreau et la Fédération ont pu prendre connaissance de la décision rendue par le Doyen qui, contre toute attente, n’a pas ordonné la libération de Me Pierre-Louis, malgré le caractère manifestement arbitraire et illégal de son arrestation et de sa détention ;

Considérant que le poids symbolique de cette violation délibérée des garanties accordées  aux  avocats  et  des  prérogatives  conférées  aux  Barreaux  en  tant qu’ordre professionnel indépendant, est encore renforcé au regard des fonctions occupées par Me Pierre-Louis au sein de la corporation, comme secrétaire de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince et secrétaire général de la Fédération des Barreaux d’Haïti ;

Considérant que cette situation inédite met concrètement en danger l’ensemble des avocats et avocates qui pourraient dès lors potentiellement être incarcérés à n’importe quel moment pour le seul motif qu’ils assisteraient légalement leurs clients, remettant concrètement en cause l’une des principales garanties du droit à la défense ;

Considérant que la première mission de la Fédération des Barreaux d’Haïti est de s’engager pour la défense des dix-huit Barreaux du pays et des avocats qui en sont membres, non pas pour octroyer à ces derniers une immunité totale mais bien pour les protéger dans l’exercice de leur profession des risques d’immixtion et d’arbitraire des autorités ;

Considérant que ces risques sont particulièrement élevés en ces temps de crise socio-politique marqués par un démantèlement accéléré du système judiciaire et la  disparition  des  derniers  garde-fous  démocratiques.  Cette  attaque  frontale contre l’un des contre-pouvoirs institutionnels encore en place, opérée par des autorités provisoires qui dirigent le pays en dehors de tout cadre constitutionnel et sans aucune perspective claire de retour à l’ordre démocratique, marque une

nouvelle étape dans la remise en question de l’idée  même de séparation des pouvoirs qui fonde notre République ;

Considérant qu’il est primordial de ne pas se laisser emporter par le jeu malsain qui consiste, face à la légitime exigence de justice et de sécurité, à fabriquer un exemple factice pour tenter de camoufler l’incapacité manifeste des autorités à enrayer le cercle vicieux de la violence et de l’impunité. Qu’il revient dans ce cadre au Pouvoir judiciaire de se garder de tout préjugement et de tout mettre en œuvre pour garantir les conditions d’un procès équitable, en se préservant des pressions qui pourraient venir du pouvoir comme de l’opinion publique ;

Considérant que la Fédération des Barreaux d’Haïti se doit de rappeler que la défense de l’Etat de droit impose la mise en place d’une politique publique de lutte contre l’insécurité qui ne saurait s’appuyer sur la violation des droits et libertés fondamentales ;

Après discussion,

La Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH) :

1.   Condamne  le  caractère  arbitraire  et  illégal  de  l’arrestation  de  Me Robinson   Pierre-Louis   et  réitère   sa   demande   de   mise   en   liberté immédiate

2.    Dénonce la conduite des autorités judiciaires du Tribunal de Première

Instance  de  Port-au-Prince  qui  donnent  manifestement  l’impression d’agir aux ordres du pouvoir exécutif pour contourner les procédures tracées  par  la  Constitution,  les  Conventions  internationales  et  la législation haïtienne

3.   Dénonce les violations des garanties accordées aux avocats et à leurs Barreaux  pour  la  protection  du  libre  exercice  de  leur  profession, lesquelles  violations  mettent  en  danger,  au-delà  des  membres  de  la corporation, la défense des droits de l’ensemble des justiciables

Le Conseil d’Administration de la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH)

Me Jacques LETANG, Bâtonnier des Coteaux, Président ;

Me Carl-Henry VOLMEUS, Bâtonnier de Saint Marc, 1er Vice-Président ;

Me Pierre MOISE, Bâtonnier de Grande-Rivière du Nord, 2ème Vice-Président ;

Me Jaccène JACQUES, Bâtonnier des Gonaïves, 3ème Vice-Président ;

Me Anthony MILORD, Bâtonnier de Petit Goâve, Trésorier ;

Me Youdeline CHERIZARD JOSEPH, Membre du Barreau des Gonaïves, Secrétaire générale adjointe ;

Me Marie Suzy LEGROS, Bâtonnière de Port-au-Prince, Conseillère ;

Me Sosthène CHOULOUTE, Bâtonnier de Croix-des-Bouquets, Conseiller ;

Me Marc-Dalla JOSEPH, Bâtonnier de Jacmel, Conseiller ;

Me Gesner ETIENNE, Bâtonnier de Anse-à-Veau, Conseiller ;

Me Ronel TELSYDE, Bâtonnier du Cap-Haïtien, Conseiller ;

Me Elines DUMESLE, Bâtonnier de Port-de-Paix, Conseiller ;

Me Evens FILS, Bâtonnier de Fort-Liberté, Conseiller ;

Me Fritz-Nel SAINT-LOUIS, Bâtonnier de Miragoâne, Conseiller ;

Me Jorel LUBIN, Bâtonnier de Mirebalais, Conseiller ;

Me David JACQUET, Bâtonnier d’Aquin, Conseiller ;

Me Joseph DESCHARLES, Bâtonnier de Jérémie, Conseiller ;

Me Zackary PIERRE, Bâtonnier de Hinche, Conseiller ;

Me Evald SIPRICE, Bâtonnier des Cayes, Conseiller ;

Pour authentification :

Me Jacques LETANG                                                            Me Carl-Henry VOLMEUS Président                                                                                     1er Vice-Président (00509) 3695-5953                                       

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