L’Edito du Rezo | La France à vif : trois enseignements de la présidentielle de 2022

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Mercredi 27 avril 2022 ((rezonodwes.com))– L’élection présidentielle française s’est achevée, ce dimanche 24 avril 2022, avec la victoire du président-candidat de la République en marche (LREM) (58,55%) face à Marine Le Pen du Front national (FN) devenu Rassemblement national (RN) (41,45%).

Mais ce résultat s’apparente à une victoire en demi-teinte, face à la montée de l’extrême droite aux portes du pouvoir. Le moins que l’on puisse dire est que cette présidentielle s’est déroulée dans un contexte sociopolitique inflammable. À ce stade, trois principaux enseignements peuvent être tirés de ce moment historique.  

En premier lieu, les résultats du premier tour de la présidentielle mettent en évidence un paysage politique composé désormais de trois grands blocs très opposés entre eux : les centristes libéraux de droite et de gauche représentés au sein de la République en marche (LREM) et ses alliés (MoDem, Agir, Territoires de progrès), d’une part, les radicaux de la gauche populaire menés par la France insoumise (FI) à travers l’Union populaire, d’autre part, et, enfin, le RN, principale formation politique du bloc d’extrême droite.

Les abstentionnistes constituent le « quatrième parti de France », sans oublier l’autre « France de la colère » qui vote blanc ou nul. Quant aux partis traditionnels dits de gouvernement, Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS), ils sont sinon en voie de disparition, du moins de dislocation, après avoir reçu une raclée monumentale dans les urnes.

Au vrai, le second tour a été le théâtre d’un affrontement dans les urnes entre deux France irréconciliables : d’un côté, une France épousant les thèses d’extrême droite, particulièrement anti-Macron, et, de l’autre, une France humaniste, venant largement de la gauche, foncièrement anti-Le Pen. C’est cette dernière, composée en grande partie d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour, qui a permis la réélection d’Emmanuel Macron.

En deuxième lieu, la France est, à l’évidence, un pays plus que jamais polarisé. En effet, si dans les années 1990, l’on parlait de la « fracture sociale », la France des années 2000 jusqu’à cette présidentielle de 2022, présente, en réalité, un visage multifracturé. Se radicalisant à tous les niveaux, le pays est désormais au bord de l’implosion. C’est peu de dire que les nerfs sont à vif !

Tandis que certains chiffres économiques concernant notamment la progression du pouvoir d’achat et la baisse du chômage sont réellement au vert, les groupes les plus défavorisés ne le ressentent pas concrètement dans leur vie quotidienne. C’est que ces données, présentées sous forme de moyenne, ne prennent pas en compte les inégalités de revenus qui touchent de plein fouet les plus faibles, les plus vulnérables, les plus démunis, vivant principalement dans la « France périphérique », en zones rurales, dans l’Hexagone, ainsi que dans les Outre-mer.

Alors, perdants de la mondialisation, victimes du capitalisme sans foi ni loi, se sentant acculés, exclus de la vie économique et sociale palpitante des grandes villes, ils expriment une défiance de plus en plus grandissante envers les institutions républicaines et singulièrement à l’égard du chef de l’Etat, considéré comme le « président des riches », et jugé arrogant, hautain, méprisant. C’est ainsi que, ne jurant que par un changement de cap radical et le droit de vivre dans la dignité, ils n’hésitent pas à affronter le pouvoir dans la rue, et parfois violemment, comme lors du mouvement des gilets jaunes ayant causé de nombreux dégâts humains et matériels.

En face, l’exécutif, seul dépositaire de la « violence légitime », ne lésine pas sur les moyens pour riposter fermement, poussant les protestataires dans une radicalité encore plus forte aux conséquences incalculables. À bien des égards, c’est ce cercle vicieux de la violence qui s’est largement exprimé dans les urnes les 10 et 24 avril 2022. Il a eu comme principal effet, s’il en était besoin, de mettre à nu les limites de la démocratie représentative à la française, laquelle est depuis longtemps à bout de souffle.

D’où l’appel insistant à plus de délibération dans les prises de décisions, en vue de mieux prendre en compte les aspirations de la population à travers, notamment, des consultations référendaires régulières et l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives pour une composition de l’Assemblée nationale plus représentative des différentes forces politiques du pays.

Il s’agit là de sujets cruciaux et récurrents dans le débat politique. L’enjeu étant de régénérer les institutions politiques de la Ve République, dans la perspective d’une démocratie plus ouverte, plus inclusive, faisant cohabiter le plus harmonieusement possible la démocratie représentative avec la démocratie participative et la démocratie délibérative.

Autrement dit, cette urgence institutionnelle consiste à insuffler une respiration démocratique dans la manière de gouverner le pays, par une large prise en compte de la participation citoyenne dans la gestion de la res publica. C’est incontestablement un gigantesque chantier auquel le nouvel exécutif, qui sera installé prochainement, devra inéluctablement s’attaquer via une réforme institutionnelle majeure – un impératif démocratique auquel il ne pourra donc pas échapper durant le prochain quinquennat.

En troisième lieu, l’on a coutume de critiquer le peuple français pour son côté rochon, râleur, mais il faut bien reconnaître que c’est un peuple qui a toujours lutté âprement pour faire valoir et respecter ses droits, et qui finit toujours par y arriver tôt ou tard. C’est cet esprit de résistance, qui a donné naissance, entre autres, au Conseil national de la Résistance (CNR), durant la Seconde guerre mondiale, en 1943, qui fait la particularité de ce peuple.

C’est ce même esprit qui continue d’irriguer les luttes pour une transformation sociale, économique et politique, notamment depuis les années 1990, à travers les diverses manifestations contre les politiques jugées anti-sociales, à l’instar de celles qui ont conduit à la grande grève de 1995 sous le gouvernement Chirac-Juppé (plan Juppé : réforme de la Sécurité sociale, réforme des retraites…) ou celles qui ont sérieusement bouleversé les mandats de Nicolas Sarkozy (réforme des retraites, régimes spéciaux…) en 2010, de François Hollande (loi « Travail » ou « loi El Khomri »…) en 2016 et d’Emmanuel Macron (hausse de la taxe sur le carburant/mouvement des gilets jaunes, réforme des retraites…) entre 2018 et 2020.

Et il y a donc fort à parier que ces mouvements sociaux de grande ampleur vont reprendre de plus belle dans les semaines et mois à venir pour mettre en garde le pouvoir en place contre toute forme d’entêtement ou de passage en force dans la réforme des retraites, par exemple. Cette résistance sera d’autant plus féroce dans les rues que les conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine ont déjà commencé à se faire sentir malgré les interventions de l’Etat pour en limiter la portée.

Dans cette perspective, les prochaines semaines seront cruciales, elles nous indiqueront la température avant la rentrée sociale de septembre qui s’annonce très chaude. Et ce dès le traditionnel défilé du 1er Mai, journée internationale des Travailleurs. Est-ce que le nouvel exécutif saura éviter le pire en faisant preuve d’écoute, d’attention, d’intelligence politique vis-à-vis de cette France-cocotte-minute prête à exploser à tout moment ? Le pays est-il à l’abri d’une nouvelle cohabitation à l’issue des prochaines législatives des 12 et 19 juin prochains ?

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