Le rêve démocratique haitien, entre illusions et désenchantement

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Mercredi 30 mars 2022 ((rezonodwes.com))– De 1957 à 1986 , Haïti a connu une dictature féroce qui a trouvé la formule magique pour se faire accepter par les américains qui se disaient défenseurs des Droits humains .

A cette époque Haïti était marquée par une  gouvernance autoritaire qui a réduit le pays en une société lignagère ou encore une  sorte d’héritage familiale  où le fils doit succéder au père.

Pour sortir de cette situation qui faisait l’abnégation des Droits civils et politiques ou encore même de la volonté populaire , des mouvements sociaux et groupes politiques se sont révoltés et ont provoqué l’effondrement du régime des Duvalier en 1986.

Les acteurs politiques de l’époque voyaient en la démocratie le remède aux maux haitiens car pour eux ce modèle de gouvernance permettra au peuple de s’exprimer et de décider aussi de son destin dans un esprit de compétition.

Pour matérialiser ce beau rêve , les acteurs ont senti la nécessité de doter la nation d’une nouvelle constitution, la plus représentative possible mettant les droits de l’homme  au cœur de ce nouveau projet en 1987.

Toutefois,  35 ans après,  nous sommes en 2022 rien n’a vraiment changé :  les droits de l’homme sont violés constamment en Haïti,  la volonté populaire n’est pas prise en compte , la démocratie devient une illusion ; certains réclament à tort ou à raison un retour à la dictature car la situation du pays devient pire qu’avant.

Face à cette situation, une question doit être posée: Pourquoi Haïti n’y parvient toujours pas ?

Des éléments de réponses à cette question sauraient nous aider à mieux cerner ce sujet .

A) la mauvaise appréhension de la démocratie

Nombreux sont nos intellectuels qui ont été endoctrinés par certains courants de pensée qui font croire que la démocratie c’est tout simplement une affaire de pluralisme des idées, d’existence de plusieurs pouvoirs , d’organisation d’élections…

Les acteurs  internationaux  intervenant en Haïti alimentent aussi ces genres de réflexions qui font fi du volet socio économique de la démocratie qui est indispensable à sa matérialisation.

Ils se contentent de financer des élections en Haïti et également des partis politiques( kap pouse tankou djondjon) sans investir réellement dans de véritables projets de développement qui sauraient résoudre les problèmes socio économiques du pays.

Ainsi , si l’on s’inspire de l’intellectuel américain seymour Lypset , certains éléments sont indispensables dans une société pour que la démocratie soit une réalité :

1) l’éducation : cette dernière permet à l’individu de développer son esprit critique et d’être en mesure d’effectuer des choix réfléchis.  Lorsque la majorité de la population n’est pas éduquée, elle n’est pas en mesure d’évaluer la pertinence d’une offre politique.

Personnellement ma grand mère a voté un candidat à la présidence parce que selon elle , ce monsieur a un beau sourire . Ma grand mère est un cas mais il y a des milliers d’autres cas similaires où des gens votent un magistrat, un Député, un sénateur ,un président pour des raisons ridicules.  La faute à l’éducation du peuple.  De toute façon cela arrange les politiciens traditionnels haïtiens ,ils font tout pour que cela ne change pas;

2) la mobilité sociale : dans une société, l’individu doit être capable de changer de position sociale à tout moment grâce aux ouvertures ou aux avantages que lui offre le système.  L’enfant qui est né à martissant ou à cité soleil dans des conditions difficiles devrait avoir la possibilité de devenir n’importe qui dans la société( grand commerçant,  professionnel de tout genre …) . Lorsqu’il n’y a pas de mobilité sociale, cet individu là est condamné à être influencé par le mode de vie en ghetto et deviendra un frustré, un délinquant dont sa profession ne sera pas médecin, tailleur,  informaticien, avocat mais BANDIT . Aujourd’hui demandez vous pourquoi il y a autant de jeunes qui prennent les armes dans les quartiers populaires ? Mais encore une fois c’est dans l’intérêt de nos politiciens traditionnels.

3) égalité de chances : dans une société où il y a des fonctions qui sont réservées à *pitit entèl*,  des banques ne vont jamais vous prêter de l’argent si vous n’avez pas une référence,  le fils de ti mari sait qu’il ne pourra jamais exercer certains professions à cause de ses origines,  on ne peut pas espérer que la démocratie soit une réalité.  Moi je me souviens lorsque j’ai réussi l’année préparatoire à l’INAGHEI, un oncle m’a envoyé un message me disant je ne dois pas choisir l’option *Relations Internationales* parce que dans ma famille on a ni ambassadeur ni consul ,après tes études à l’INAGHEI ton diplôme ne te servira à rien . Combien de jeunes haïtiens ont déjà connu cette situation ? L’échec est prévisible,  vous allez  à l’école mais vous savez  que vous n’avez pas d’avenir dans le système à cause de votre signature. Encore une fois ce n’est pas dans l’intérêt de nos politiciens traditionnels sinon comment auraient ils pu nommer leurs petits amis qui n’ont aucune compétence dans les ambassades , consulats et institutions publiques du pays .

B) *Absence de vrais partis politiques en Haïti*

Les haïtiens rendent responsables le système politique des problèmes du pays . Or , ils ignorent que le système politique est un ensemble d’institutions et de mécanismes en interaction dynamique dont l’objectif est de répondre aux besoins de la société . Pour que le système politique soit efficace il faut l’existence de partis politiques et de groupes de pressions, car ce sont eux qui lui procurent de l’énergie nécessaire. 

Donc ,pour comprendre la défaillance du système politique haitien, il faut questionner nos partis politiques qui devraient accoucher de meilleurs offres politique ou encore un véritable projet de société à la nation .

A ce sujet je ne saurais trouver le mot juste car il y a des partis politiques en Haïti qui sont enregistrés mais qui ne sont pas de véritables partis politiques.

Un parti politique ,c’est une institution dont l’objectif principal est la prise du pouvoir à différents niveaux mais qui est surtout marqué par une idéologie.

Les partis politiques devraient avoir une vision de l’Etat,  un plan pour aborder les problèmes auxquels la population fait face . Ils devraient pouvoir élaborer une politique dans les domaines clés tels l’économie,  l’agriculture,  la santé,  la sécurité, l’éducation, la coopération internationale… car ce n’est pas au moment où vous accédez au pouvoir que vous allez improviser ou encore tâtonner pour apporter des réponses aux problèmes et situations de crises que connaît le pays .

Mais malheureusement nos partis politiques en Haïti n’ont pas d’idéologie on ne sait pas où est ce qu’ils sont alignés: ce sont des partis *dwategòch*. Ils n’ont aucune vision ,aucun programme viable sinon que leurs propriétaires qui prononcent des discours vides de sens dont l’objectif est de charmer le peuple .

Le pire aujourd’hui ils sont devenus des entreprises privées où l’on remarque à la mort du mari qui était le responsable ou au mieux le PDG , la femme la succède ou encore si le chef est encore là il met une copie à sa place . Dans ces partis on change les membres de coordination à tous les postes sauf le coordonnateur national ou le secrétaire général. Nous sommes dans une logique de *ti pati pam* .

Un parti politique qui devrait être le regroupement de plusieurs chefs est en Haïti la propriété privée d’une seule personne .

En reconnaissant leurs lacunes ils  ne participent aux élections que sous la forme. Mais, en vrai, ils en ont même pas besoin d’y participer pour accéder au pouvoir .  Ils préfèrent jouer la carte de la transition en empêchant à un président sortant d’organiser les élections ou en procédant à un coup d’état pour se partager le gâteau après. 

Donc ,face à ce constat d’échec de l’élite politique haïtienne dont l’offre politique n’a engendré que la corruption,  la misère , l’insécurité,  la migration de nos jeunes , il y a lieu pour qu’une nouvelle classe d’hommes et de femmes politiques émerge en Haïti.

Les politiciens traditionnels haïtiens ont eu plus de  trois  décennies pour montrer à la nation qu’ils détiennent la solution aux problèmes du pays mais ont piteusement échoué dans leurs missions.

Aujourd’hui la jeunesse haïtienne  doit s’unir et s’organiser pour offrir une meilleure alternative à la nation.

Politologue Mathias L. DEVERT

M.S Political Science  ,Université  Grenoble Alpes de France ,

Porte Parole Accord Pour la Paix Sociale et la Stabilité Politique

mathiasdevert@gmail.com

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