Carrefour-Feuilles, jeudi 4 mai 2017 ((rezonodwes.com))–
Le terme « marché » désigne en général un lieu de rencontre entre une offre et une demande qui aboutit à la formation d’un prix (Claude-Daniѐle Échaudemaison, 2013 : 299). Correspondant aux caractéristiques, il peut dégager différentes structures. À cet égard, le marché peut être formel, virtuel et informel. Ce dernier indique le lieu où l’ensemble des activités productrices de biens et de services échappent au regard ou à la régulation de l’État. Autrement dit, ce type de marché est non structuré.
De ce fait, il ne donne lieu à aucun prélèvement fiscal (Claude-Danièle Échaudemaison, ibidem.). Dans les pays sous-développés comme Haïti, ce secteur joue un rôle inéluctablement dominant. De nos jours, toutes les rues de Port-au-Prince sont envahies par les marchands de toutes catégories : canne épluchée, les cireurs de bottes, les vendeurs de minutes, les marchands-es de bois pin, clairin, arachide, les restauratrices…
À cet effet, les pratiques de commerce informel dans l’aire urbaine de la zone métropolitaine de Port-au-Prince constituent la manette fondamentale à partir de laquelle les familles meuvent pour construire leurs survies et celles de leurs proches. Cet exemple de pratique économique au fondement de la vie des familles défavorisées fait du marché un centre dans lequel le futur des enfants et les mobilités familiales se calculent au prix du risque et des difficultés parfois maitrisées.
Sous ce jour, beaucoup de travaux portant sur le commerce informel ont été réalisés. À cet égard, partant d’une enquête menée au marché du centre de Port-au-Prince, Jean Sergo Louis a décrit l’univers social du marché dans ses multiples dimensions, considérant l’approvisionnement de produits de première nécessité, les logiques commerciales, les logiques d’occupation des espaces de vente et de stockage, l’organisation des lieux de transit et de résidence (permanente ou éventuelle), les petites industries, les commerces illégaux et légaux, formels et informels, les agents et les agences qui participent du gouvernement des marchés, les questions qui donnent lieu à des conflits, et les logiques de la violence (Jean Sergo Louis, 2012 : 10). D’autre s’est donné pour objectif d’étudier la relation qui existe entre consommation alimentaire et niveau de revenu des ménages dans l’économie informelle (Augustin Jn Windy, 2008). Dukenson Yvenson (2011), quant à lui, a fait ressortir la relation qui existe entre le microcrédit et l’amélioration des conditions de vie dans le secteur informel en Haïti.
Cependant, ces recherches menées sur le commerce informel dans l’aire de la zone métropolitaine n’ont jamais eu d’étudier la problématique du chômage et celle du « genre » comme facteur d’émergence de cette pratique. Cette déficience nous conduit à se demander : comment la pratique de la restauration dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince est-elle construite ?
Hypothèse, objectif et méthodologie
Soucieux de répondre à cette question, nous partons de l’hypothèse selon laquelle la pratique commerciale de la restauration à Port-au-Prince est le fruit du flux migratoire interne et de la répartition des tâches domestiques au sein de la famille, instance de socialisation. Donc, cet article vise à expliquer le contexte d’émergence de cette pratique commerciale dans l’aire urbaine de la zone métropolitaine en particulier à Carrefour-Feuilles. Pour atteindre cet objectif, tout d’abord, nous montrons comment les parcours ou niveaux biographiques et académiques orientent les marchandes vers cette pratique commerciale ; en d’autres termes, nous montrerons comment cette pratique commerciale s’est-elle authentiquement construite. Nous exposons, par ailleurs, dans quelle mesure les marchandes se conforment aux modes d’appréciation de cette pratique commerciale pour vendre.
De nature explicative, cette étude s’est basée sur une approche ethnographique qui revenait la charge de prendre note et de rendre compte d’observations recueillies sur le terrain, de collecter des faits, etc. (Cf. Sylvain Camelin et Sophie Houdart, 2010). Comme technique de collectes, les résultats recueillis émanent directement de l’ « observation-participante » qui se traduit par notre présence physique et de longue durée sur le terrain et d’entretien avec les sujets de notre recherche. Corrélativement, l’entretien non directif et semi-directif se servent en complément et se privilégient. Ce choix est expliqué en raison qu’il place l’individu interrogé au centre du dispositif puisque c’est le recueil de son point de vue qui est visé (Stéphane Rullac, 2007 : 180). Aussi avons-nous élaboré un questionnaire comprenant cinq questions de nature ouverte et fermée auprès de quatre restauratrices.
Nous avons varié, dans l’échantillon choisi, le profil des restauratrices de la région. Sur ce point, nous avons mené des entretiens, dans un premier temps, avec deux marchandes « chen janbe », c’est-à-dire des restaurants construits en bois, tôles et drap. Dans le second temps, nous avons interviewé deux autres « bann a pye ou machann aleken ».
Nonobstant, certains entretiens ont été enregistrés pour plus rapide. L’exercice de la transcription a été devenu alors un passage obligé. Cependant, le travail de transcription n’est pas la reformulation des idées des marchandes mais celui du sens qui tient compte d’un résumé et de l’interprétation. Ainsi, tout au long du texte, présenterons-nous les données venues des réponses du questionnaire.
À rappeler que notre réflexion se limite à Carrefour-Feuilles, comme étude de cas. Carrefour-Feuilles, zone fortement urbainsé et populaire de la capitale haïtienne, est située en périphérie de Port-au-Prince, du côté sud, au pied du Morne l’Hôpital. Elle très vaste ; elle s’étale sur trois sections communales : la 6e Turgeau, la 7e Morne l’Hôpital et la 8e Martissant.
La restauration: résultat de la question du « genre » ou le chômage ?
L’on retient que la pratique commerciale de la restauration est une liaison des produits destinés à la consommation entre les clients de toute sorte et les marchandes. Nous avons observé que les quatre marchandes, soit 100 %, sont des femmes. Tout au long de notre travail, nous avons remarqué également que les marchandes se distinguent entre deux catégories : grandes (chen janbe) et petites marchandes (bann a pye). En d’autres termes, deux, soit 50 %, sont stables. Cela entraîne une position de domination des grandes marchandes dans ce secteur. Cette distinction est due à leur pouvoir d’achat, leurs clients, leur repère, leur stabilité, etc. Sur ce, les grandes marchandes ont leurs restaurants qui se situent dans des lieux stratégiques (stations camionnettes, motocyclettes, dry cleaning, église, etc.). Les plats de cette catégorie de marchandes sont vendus à un prix élevé, 75 gourdes au moins, soit $ 2 US. La profusion et la diversité deviennent un lieu de référence pour les consommateurs.
Parallèlement, la catégorie de marchandes que nous appelons « bann a pye » a une diversité de parcours, des zones de ventes, etc. En ce sens, elles sont trѐs éparpillées dans toute l’Ave. Magloire Ambroise avec une seule qualité de nourriture appelée « chen janbe ». Elles possѐdent une modalité de vente extrêmement variée. Ce faisant, elles ont cuit une trѐs faible quantité de nourriture, soit deux marmites du riz. Cette difficulté est expliquée par leur pouvoir d’achat qui est limité et ne leur donne pas suffisamment de moyen pour acheter plus.
Les résultats des entretiens montrent que trois d’entre elles, soit 75 %, viennent des Cayes, Pestel, Kenscoffe… bref, elles viennent des villes provinciales dans l’objectif d’améliorer leurs conditions de vie. Leurs parcours académiques et ceux professionnels montrent respectivement une grande similitude. Tout d’abord, leurs niveaux académiques ont compris entre 3e et 6e année fondamentale. La majorité d’entre elles, soit 75 %, ont rattrapé l’affaire de leurs lignages puisqu’elles sont toutes issues de famille de marchandes. Avec cette pratique commerciale, elles ont entre quatre à huit enfants sur leurs responsabilités, y comprend leur mari. Par ailleurs, une seule, soit 25 %, nous a déclaré qu’il est une question pour survie.
Du comportement des restauratrices pour bien vendre
Pour vendre, les marchandes ont différencié de manière fréquente par des modes culturels. En ce qui concerne les grandes marchandes, leurs stabilités leur donnent une très bonne assurance de vente. Comme nous l’avons déjà souligné dans notre introduction, ces marchandes ont construit des petits restaurants en tôles, bois et draps dans des lieux fixes (près des églises, dry cleaning, stations camionnettes, etc.). Dans ces petits restaurants, nous avons également remarqué que des tables et des chaises sont bien arrangées dans l’idée d’assurer les meilleures conditions aux clients. Outre comme mode appréciative pour vendre, nous avons identifié qu’elles ont beaucoup de propreté. En sens, elles ont une tenue vestimentaire très attirante. Elles portent des tabliers, foulards, etc. Enfin, la répartition des tâches chez ces marchandes est un signe très distinctif. En ce sens, les marchandes « chen janbe » ont respectivement, deux et trois femmes employées. En même temps, nous avons pu voir que c’est la propriétaire qui vend les plats et touche des clients.
Elles ont plusieurs catégories d’assiettes. D’autres femmes (employées) sont responsables de préparer la nourriture, d’empiler et laver les assiettes… À cela, viennent s’ajouter, corrélativement, une relation entre les marchandes et les clients. Ils ont une ligne téléphonique pour appeler quand la nourriture est prête. En ce sens, l’on a constaté qu’au moins une femme est parfois responsable d’apporter le repas aux grands clients : ceux qui travaillent dans les « dry cleaning », « machann bòlѐt nan gerit yo », etc.
À l’inverse, les marchandes que nous avons vues en pleine rue qui font des va-et-vient avec la nourriture en tête ne veulent pas dire qu’elles n’ont pas une clientèle spéciale. Au contraire, l’incapacité de leur pouvoir d’achat dans le secteur reste et demeure pareille pour leurs clients. En effet, nous avons constaté que ce sont les cireurs de bottes, les béf chenn, les détaillants de minutes etc. qui achètent plus ce type de repas : aleken.
Elles n’ont pas une fixation des prix pour les plats. C’est-à-dire elles vendent donc moins cher, soit vingt gourdes au moins. Cette catégorie (100 %) a une seule catégorie d’assiettes. Comme techniques de ventes, ces petites marchandes ont les leurs. En dépit de tout, nous avons remarqué que les marchandes « aleken » ont beaucoup vendu le dimanche. Elles sont toutes stables ce jour-là. Cette stabilité est expliquée du fait que les grandes marchandes prennent le repos les dimanches.
Conclusion
Au terme de notre investigation à travers quelques concepts qui débouchent sur des analyses anthropologiques, certaines conclusions paraissent s’imposer.
Nous venons de passer, d’une part, en revue les différents facteurs permettant l’émergence du commerce informel en particulier la restauration dans l’aire urbaine de la zone métropolitaine et nous avons également démontré combien cette pratique commerciale est importante dans la vie socioéconomique des marchandes. Nous avons, d’autre part, exposé comment les marchandes se comportent aux modes d’appréciation pour vendre. La définition du « marché » avait ainsi donc nous donnés une compréhension sur ses composantes et les relations qui existent entre les marchandes et les consommateurs.
En définitive, nous avons observé dans notre étude que le commerce de la restauration est totalement pratiqué par les femmes et est le fruit d’une grande division du travail, c’est-à-dire de la répartition des tâches. Les femmes en qualité essentiellement de nourrices et de servantes sont liées par deux grandes causes. Premiѐrement, sur le plan économique, le développement du chômage urbain, conséquence logique de la crise économique, s’est accompagné d’émergence et de l’essor du secteur informel en particulier le commerce de la restauration à Port-au-Prince. Bref une question de survie. Outre cela, cette pratique commerciale va au-delà de la survie. C’est grâce avec la restauration que leurs enfants ont tous accѐs à l’école, payer leurs loyers, prendre soin de tous les membres de leurs familles, etc. Pour répéter Jean Cazeneuve (1976 : 225), nous pouvons dire que la pratique commerciale de restauration est un facteur de la mobilité sociale (verticale).
A cet égard, Jean Cazeneuve a écrit : la mobilité sociale (verticale) est la façon dont les individus peuvent s’y insérer, c’est-à-dire dans quelle mesure ils ont la possibilité de déterminer eux-mêmes leurs places, de choisir leurs statuts, de les changer, et surtout, de monter les degrés de ces échelles (op. cit., pp. 223-225). Etant donné que leurs enfants sont en Philo, en Rhéto, à l’université, etc. grâce à cette pratique commerciale, l’on peut dire qu’un fils d’ « ouvrier » a autant de chances qu’un fils de cadre supérieur de réussir dans ses études sans avoir à sa disposition un héritage.
À bien comprendre Maurice Gaudelier (1982), elles (pratiques commerciales) sont liées anthropo-sociologiquement à la reproduction de la société. Car ce sont les femmes qui pratiquent totalement ce type de commerce. Cela revient à dire que, certes, les tâches domestiques sont totalement réservées aux femmes. Ce problème, a écrit Marlѐne Coulomb-Gully (2012 : 10), est un construit. Si la représentation du genre est sa construction, la famille est avant tout et directement interpellée. Car elle participe directement à l’imposition des normes (tâches ménagѐres, domestiques, etc.) qui structurent le genre tout en prétendant n’en être que le reflet (op. cit, p. 10).
Références bibliographiques
Claude-Daniѐle ÉCHAUDEMAISON (dir.), Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Espagne, Éditions Nathan, 2013.
Jean Sergo LOUIS et alii., Les marchés du centre de Port-au-Prince. Morphologie, circuits, agents, gouvernance, Port-au-Prince, NuCEC, 2012.
Jean Windy AUGUSTIN, Relation entre consommation alimentaire et le niveau de revenu des ménages, mémoire de licence, Université d’Etat d’Haïti/Faculté de Droit et des Sciences Economiques, 2008.
Dukenson YVENSON, Analyse des impacts de la microfinance sur le secteur informel en Haïti pendant la période 1995-2010, mémoire de licence, Université d’Etat d’Haïti/Faculté de Droit et des Sciences Economiques, 2011.
Stéphane RULLAC, « Les méthodes de recherche : des outils pour comprendre le fonctionnement social », in Société et Economie, Paris, Vuibert, 2007.
Sylvain CAMELIN et Sophie HOUDART, L’ethnologie, Paris, Presses Universitaires de France, « QUE SAIS-JE ? », 2010.
Maurice GODELIER, La production des Grands Hommes. Pouvoirs hérités, pouvoirs mérités, Paris, Fayard, 1982.
Jean CAZENEUVE, Dix grandes notions pour comprendre la sociologie, Paris, Seuils, 1976.
Marlѐne COULOM-GULLY, « Féminin/masculin : question (s) pour les SIC », Questions de communication, no 17, pp. 1-19, 2012.
Wilner Jean, étudiant finissant en communication sociale
Email : jeanwilner56@yahoo.fr
Tél : (+509)3333-21717/3682-5699/4087-6692

