Séisme : La mauvaise gouvernance et ses effets catastrophiques

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La vulnérabilité aux désastres naturels de notre espace géographique n’est plus à démontrer. Des menaces multiformes dont les cyclones, les inondations, les séismes et tsunamis taraudent nos esprits puisqu’elles risquent de nous couper l’oxygène de vie et d’appauvrir du jour au lendemain même les couches les mieux loties.

Mercredi 12 janvier 2022 ((rezonodwes.com))–

Si par une « boule de borlette » un citoyen peut dormir pauvre et se réveiller riche, avec d’ailleurs une probabilité infinitésimale; il est tout aussi vrai, sinon plus probable, qu’un citoyen puisse aller au lit très riche et se lever dans la pénurie la plus totale suite à une secousse sismique ou une inondation. À preuve, lors de l’évènement tragique du 12 janvier de 2010, une pléiade de propriétaires et investisseurs avaient rendu l’âme sous les décombres ; dans la douleur  atroce. D’autres ont assisté au cauchemar de voir partir en cendre – en moins d’une minute – leurs immeubles, leurs personnels et leurs patrimoines construits sur des dizaines d’années.

Les pertes économiques post-désastres sont prévisibles et perceptibles à l’ œil nu quand les mesures de protection et les techniques modernes ne sont pas adoptées pour prévenir les dégâts. Notre génération a entamé et intensifié des réflexions et recherches sur les risques sismiques depuis seulement une décennie, car Haïti n’a pas vécu de tels scénarios sur le dernier demi-siècle. Cependant, il n’y a pas que les séismes qui désemparent le pays de ses ressources rares. Les inondations et les cyclones successifs qui se sont abattus sur notre pays ont également engendré des pertes énormes.

Par exemple, de Jeanne jusqu’à Matthew, notre ami Thomas Lalime a analysé la situation économique des derniers cyclones en Haïti, qu’il a évaluée à plus de 12 milliards de pertes économiques. Pourtant, selon le docteur en économie, ce n’est pas tant les catastrophes naturelles qui font mal aux familles et à la nation. Mais plutôt la gestion calamiteuse desdites catastrophes par les dirigeants myopes, incultes et cupides. Pour nous en convaincre, le chroniqueur du Nouvelliste de la rubrique « Des idées pour le développement » a rappelé  que le taux de croissance économique en l’année du tremblement de terre a été de -1.5%, sans surprise une méforme économique notoire.

Parallèlement, au cours de la période de la grande turbulence politique entre 1993 à 1995 où la sanction de l’embargo y a été imposée, Haïti accusait des performances économiques dramatiques se reflétant en un taux de croissance économique moyen spectaculaire de -12%. Si une catastrophe naturelle a « la vertu » de chatouiller la sympathie des amis de l’international en des actions caritatives, les chaos politiques tels que les coups d’état, le banditisme d’Etat et les comportements concupiscibles auraient plutôt le résultat inverse.

D’ailleurs les institutions internationales qui contribuaient un tant soit peu à travers leur support dans quelques secteurs porteurs seraient invitées à plier bagage pour se réfugier à leurs pays d’origine. Les « partenaires » sont de préférence enclins à censurer quand les crises sont perçues comme une autodestruction par des humains, de mauvais dirigeants incapables de s’entendre et de poser les jalons pour attirer les coopérations et les investissements étrangers.

À l’instar d’un séisme ou d’un cyclone, le mauvais choix de dirigeants politiques ou la mise en œuvre de politiques publiques irréfléchies causent des dégâts économiques aussi pervers, sinon plus graves à la société. Autant exercer de la vigilance quand il s’agit de placer des têtes à la tête du pays.

12 janvier 2010, comme l’Armageddon, 12 ans après, quelles mesures ?

En moins d’une minute environ 280 000 morts, 300 000 blessés et 1.5 millions de sans-abris ; d’une magnitude de 7.3 sur l’échelle de Richter, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 que l’on croyait annonciateur de la fin du monde a causé au pays des dégâts majeurs estimés à 7.9 milliards de dollars, soit 120% du PIB en 2010 (Statistiques de l’ONU). Le capital humain a été affaissé par la perte de 17% des membres de la fonction publique dont des personnalités remarquables d’un niveau académique compétitif et d’une riche expérience pertinente.

Des familles, des mères, des pères, des frères, des sœurs, des oncles, des tantes, des cousins, des cousines, des amis, des professeurs, des collègues, des camarades, des lignées familiales, des références amicales. Une flopée de connaissances académiques et professionnels  ont été succombées sous la dictature funeste de la catastrophe mortelle du 12 janvier, soit la plus désastreuse de notre hémisphère. Professeurs, étudiants et cadres du personnel administratif de l’université déjà déshydratée et amputée de plusieurs de ses membres en raison de la crise de la fuite massive des cerveaux y avaient exhalé leur dernier souffle dans une souffrance extrême. Des sommités intellectuelles et des figures emblématiques de l’élite économique avaient disparu lors de cet évènement tragique.

Le palais national, le palais législatif, les ministères, le parlement, la cathédrale, des maisons, de nombreux édifices privés et publics ont été effondrés aux secousses démoniaques de cette catastrophe sanglante. En revanche, des travaux de recherche publiés par le docteur géophysicien Steeve Smythe avaient permis de déceler que le séisme du 12 janvier a été plutôt provoqué par une faille sismique secondaire à Léogane qui avait libéré ses folles énergies à une amplitude schizophrénique pour affliger toute la république historique.

Selon l’ingénieur Claude Prepetit, ce n’est pas tant la magnitude du séisme d’amplitude 7.3 sur l’échelle de Richter qui avait produit autant de désastres ; mais surtout nos pratiques de construction anarchique. De tels propos sont renforcés par l’ingénieur Marc-Ansy Laguerre – doctorant à Rice University – qui a évoqué la faiblesse cruciale des supports latéraux dans les bâtiments qui sont de faux châteaux, susceptibles de chuter comme des châteaux de cartes à la moindre secousse. Des attitudes responsables, en amont, sont les meilleurs comportements prescrits pour éviter des répercussions dramatiques quand le cosmos se met à exhiber ses caprices.

À preuve, moins de 800 morts, le tremblement de terre du Chili[1] au 27 février 2010 – survenu un mois et demi après le cataclysme abattu sur Haïti – avait fait des dégâts humains de loin inférieurs à ceux encaissés par l’ancienne perle des Antilles. Au Chili, les pertes matérielles ont été estimées entre 15 à 30 milliards de dollars. Par contre, contrairement aux dirigeants haïtiens, le leadership du gouvernement chilien – sous l’auspice de la présidente Michelle Bachelet qui ne s’en plaignait pas et qui dictait ses besoins en fonction d’un agenda de priorités – avait fait toute la différence.

De ce point de vue de l’importance de la bonne gouvernance, que dire du Japon qui se couche et se lève au quotidien sous des menaces de séisme devenus aujourd’hui non crédibles. En effet, les orientations des politiques publiques à valider par des députés, sénateurs et à implémenter par des ministres et des responsables de projets sont décisives dans une société.

Des efforts du BME, mais insuffisants

Le Bureau des mines a déjà produit des manuels, dont un nouveau code de construction, des bulletins d’information et a entrepris des programmes de sensibilisation, d’information, des séminaires et des formations au profit de nombreux cadres. Des manuels scolaires, des ouvrages de géologie, des spots de sensibilisation sont autant de projets conçus dans la même idée afin de mieux aborder les défis du tremblement de terre notamment en incitant à de meilleurs comportements, dans les écoles et au sein de la population. Dans la perspective de créer une masse critique, capable d’assurer la relève, la Faculté des Science (FDS) a conçu également un programme de master en géoscience qui s’attèle à former des ingénieurs dans ce domaine qu’il nous faut maitriser en vue de mieux apprivoiser les risques de notre environnement.

Ce sont des efforts gigantesques certes ; mais ils sont encore loin d’être suffisants, selon le directeur général du BME. Une palanquée de contraintes logistiques, techniques et légales restent encore à être satisfaites en vue de faciliter l’appropriation des nouvelles approches par la population. Par exemple, en raison des manques de moyen, le travail de micro-zonage sismique, indiqué par la cartographie multirisque conçu par le BME, n’est pas exhaustif ; en d’autres termes, une multitude de failles secondaires n’ont pas pu être encore identifiés. La production des maquettes et des documents est importante ; mais des suivis budgétaires et d’ordre légal sont tout aussi capitaux afin de garantir leur application dans la réalité. Le tableau lugubre que nous a laissé le séisme du 14 Août 2021 dans le Grand Sud atteste une fois de plus de la faiblesse sinon l’absence de vision de l’État. Les entités régaliennes sont censées être mobilisées en amont et en aval, alors que l’État haïtien n’est présent nulle part.

Ce ne sont pas les caprices telluriens qui génèrent les tragédies, mais l’absence de vision et de leadership à la tête de la Cité. La dernière décennie d’ineptie et de péripétie qui a vu coiffée la bêtise à la tête de la république nous aura appris que les solutions soutenables ne sauraient être l’apanage de l’imposture. Les défis économiques, géopolitiques et cosmiques sont relevés à travers des visions ancrées dans des programmes politiques soutenables que seuls des gens honnêtes et compétents sauraient implémenter.

Tant vaut le dirigeant, tant vaut la nation ; tant vaut la planification, tant vaut la vie.

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com


[1] https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1305

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