Crise du carburant : Marché noir et enfer quotidien des propriétaires de véhicules à moteur en Haïti
Par : Vitalème ACCÉUS
Jeudi 4 novembre 2021 ((rezonodwes.com))–
En Haïti, si la hausse des prix est très importante, elle n’est pas encore suffisante pour décourager la contrebande d’une partie du carburant dans les pompes et vers la République Dominicaine. Certains trouvent dans l’enfer quotidien des automobilistes et des motocyclistes, un moyen de subsistance inespéré.
Gérard a vingt six ans, une famille à nourrir et pas d’emploi. Pour lui, la crise est une manne : il a trouvé, dans l’enfer quotidien des automobilistes pour trouver de l’essence, un moyen de subsistance inespéré. En vendant des galons au marché noir, il se fait un pécule non négligeable.
« Ceux qui veulent éviter les files d’attente infernales sous le soleil de plomb font appel à moi, je leur livre l’essence jusque chez eux », affirme-t-il .
Des pourvoyeurs clandestins comme Gérard, il y en a aujourd’hui un peu partout à travers d’Haïti. Car le pays subit de plein fouet une crise aiguë d’approvisionnement en carburant, en raison de blocage de la zone du terminal varreux par les gangs du G9 et les kidnapping des chauffeurs à Martissant.
Or, même en plein renchérissement du gallon d’essence, certains automobilistes ne rechignent pas à payer davantage encore pour s’épargner le calvaire quotidien des heures d’attente dans lequel est plongé le commun des mortels.
Pour Gérard, le déclic est venu avec le début de la crise, il y a quelques mois. « J’ai commencé par remplir le réservoir de ma propre voiture plusieurs fois par jour à Malpasse au Sud-Est de Port-au-Prince, avant de le vider de son essence dans des gallons pour la revendre à des particuliers », raconte-t-il. Cette méthode assez bancale, qui supposait de faire la queue plusieurs fois par jour, lui rapportait environ 1500 HTG par galon (quand celui-ci ne coûtait encore qu’environ 2000 HTG). Il facturait ses services un peu plus cher quand il devait livrer l’essence chez ses « clients ».
Peu à peu, Gérard a développé son business parallèle dans la zone de Croix-des-bouquets, en partenariat avec certaines stations services qui cherchent à se faire des profits supplémentaires, n’étant pas directement connectées au business juteux mais périlleux de la contrebande.
Aujourd’hui, les stations en question l’appellent en pleine nuit et lui remplissent plusieurs gallons, qu’il paiera plus cher que le prix du marché et qu’il revendra encore plus cher le lendemain. « Le matin, je revends ces bidons à certains automobilistes en panne d’essence, ou alors à ceux qui n’ont pas le temps de faire la queue, dit-il. Peu à peu, je me suis fait une réputation, et les gens font désormais appel à moi. »
Actuellement, l’ampleur de la crise est telle que Gérard se fait aider par des jeunes qui proposent aux clients de faire la queue à leur place afin de remplir leur voiture d’essence. Le business est juteux, puisque Gérard facture les 5 gallons d’essence pas moins de 12,500 HTG.
« Suis-je responsable de la crise ? »
Si Gérard a trouvé dans ce chaos un moyen d’assurer la subsistance de sa famille, il a néanmoins peur d’être inquiété par les autorités, qui ont interdit le remplissage de gallons dans les stations.
« Mais au nom de quoi m’arrêterait-on ? » s’insurge-t-il. « Qu’est-ce que je fais de mal en facilitant la vie des Haïtiens excédés par la crise et qui me le rendent par une rémunération bien méritée ? Est-ce moi qui suis à l’origine de la crise ou la mafia de PHTK3 et les Jovenelistes se battaient pour le contrôle du pays? Est-ce moi qui suis responsable de ce chaos, ou les autorités incompétentes ? S’ils veulent pénaliser le commerce au noir de galons, qu’ils aillent à La Saline ou à Martissant, où les bidons sont ouvertement proposés en bordure des routes !»
Gérard est loin d’être un cas unique, ce business parallèle se développe un peu partout en Haïti, prouvant une fois de plus que l’ingéniosité qui consiste à contourner les crises l’emporte sur la recherche de solutions adéquates et définitives aux problèmes, occultant la nécessité d’une contestation d’un état de fait absurde.
Les stations d’essence se sont ainsi transformées en un Far West où se multiplient les pots-de-vin versés aux pompistes pour faire le plein, les bagarres autour d’un droit de passage ou en raison de « privilèges » accordés à certains chanceux, les subterfuges qui consistent à remplir discrètement des gallons en faisant semblant d’introduire la pompe dans le réservoir…
Un chaos total où règne la loi du plus fort, du plus connecté, du plus bruyant. Les propriétaires des stations d’essence, eux, semblent tout-puissants, même face à des forces de l’ordre débordées dont le rôle se limite actuellement à assurer leur protection des incidents plus ou moins graves, certains impliquant même un usage des armes.
Cette crise de l’essence, qui s’installe dans la durée et vient se superposer à toutes les pénuries ponctuant dorénavant la vie des Haïtiens (nourriture, médicaments, électricité…), permet à Gérard de se trouver une source de subsistance, même précaire.
Mais les chômeurs comme Gérard se rendent-ils compte que ce système qui cloue aujourd’hui les Haïtiens dans des files d’attente interminables est celui-là même qui est responsable de leur incapacité à trouver un emploi décent et à vivre dignement?
Vitalème ACCÉUS
acceus@gmail.com