Assassinat de 11 jeunes à Ravine Pintade : une tuerie préméditée, selon CARDH qui pointe du doigt des policiers au passé trouble

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Demonstrators flee as Haitian Police open fire, during the clashes, in the centre of Haitian Capital Port-au-Prince, February 13, 2019. - This is the seventh day of protests against Haitian President Jovenel Moise and the misuse of the Petrocaribe fund. (Photo by HECTOR RETAMAL / AFP)

Bavure policière à « Ravine Pintade » (rue Nord Alexis) : Les autorités policières et judicaires doivent s’expliquer, fixer les responsabilités, selon un rapport d’enquête de CARDH (Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme)

Port-au-Prince, samedi 2 octobre 2021 ((rezonodwes.com))–

I. Introduction

Relayées sur les réseaux sociaux et par la presse, des informations choquantes ont fait état d’une intervention brutale de la police dans la soirée du 21 septembre à Ravine Pintade (Ave. John Brown/ Rue Nord Alexis) au cours de laquelle il y eut des exécutions sommaires  et des blessés à l’occasion du tournage d’une vidéo-clip du groupe rap New Wave avec d’autres artistes invités.

Les informations persistantes s’apparentaient à une tuerie. Or, aucune explication concrète et convaincante n’a jusqu’à présent été fournie par les autorités policières et judiciaires. Lors d’une conférence de presse le 22 septembre, la porte-parole de la police, l’inspectrice Marie Michelle Verrier2, a affirmé que les policiers avaient entendu des tirs et qu’une enquête est en cours.

Contacté par des victimes et dans le but de poursuivre ses travaux de monitoring de violations des droits humains, le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) a dépêché une équipe sur les lieux du drame afin de recueillir des     informations.     Celles-ci     ont     été     suivies     d’analyses     assorties     de recommandations.

II. Informations recueillies sur le terrain

A. A propos du Collabo : Groupe New Wave et deux autres artistes

New Wave est un groupe rap fondé le 3 novembre 2017. Il est constitué de cinq (5) artistes   :   Out  Sider  (  Saimbert  Alens) ;  Pol’os  (Reginald  Toussaint) ;  Mike  Usi (Miscadin  Mike) ;  Joker  (  Volcy  Christian) ;  Rosemond  Biliban.  Deux  autres artistes  étaient  invités  à  participer  au  projet  (collabo) :  GPSY  ;  GOGO.  Certains habitent la zone, les autres résident à la ruelle Vaillant,  à Delmas 24 et à Solino.

Interrogés sur les motivations de la vidéo exprimant la violence, les rappeurs ont expliqué qu’ils voulaient exposer la réalité du pays.

La porte-parole s’est contentée de dire qu’il y a eu des détonations dans la zone, et les agents de l’ordre ont dû intervenir suites à des informations communiquées par les riverains et qu’une enquête déterminera si ces armes sont vraies ou fausses.

B. Résumé des événements

Le tournage du vidéo-clip (Arsenal-New Wave3) a commencé à la Ravine Pintade (avenue John Brown / rue Nord Alexis) vers 21h. Les rappeurs utilisaient des armes factices4  achetées en République Dominicaine et s’étaient entourés de fanatiques, de riverains, de curieux, de petits commerçants de la zone…

Une  patrouille  de  la  police  administrative  (Nissan  kicks  de  couleur  blanche)  a sillonné  l’espace,  peut-être  par  hasard  ou  afin  de  constater  le  déroulement  du tournage.  Vers  22h  :  30,  est  arrivé  du  commissariat  de  Port-au-Prince  la  Toyota Land  Cruiser  sans  portes  (communément  appelée  Zo  Reken),  avec  quatre  (4) policiers.

Un policier à genoux a tiré sur la foule. Un autre s’est positionné derrière lui, tirant dans la même direction. Ensuite, les quatre policiers ont pourchassé les gens qui se précipitaient un peu partout dans les corridors, tirant dans toutes les directions. Les maisons ont essuyé plusieurs balles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Il  y  eut  deux  morts  sur  le  champ.  Deux  personnes,  dont  Asalas  ainsi  connu, atteintes d’une balle au pénis et à la ceinture, ont été exécutées. Il y eut également plusieurs blessés…

Les policiers ont ensuite intimé l’ordre à la population de ne pas sortir, puis ils ont mis des armes près des cadavres et ont commencé à les photographier. Arrivés près de celui  de  l’inspecteur  divisionnaire  Louicéus  Délius,  des  curieux  depuis  leurs fenêtres ont crié : « woy gade sa yap fè pitit inspektè polis la!!! » (regardez ce qu’ils font  du  fils  de  l’inspecteur  de  police !!!).  Les  policiers  ont  rapidement  enlevé l’arme.

Plusieurs   patrouilles   d’unités   spécialisées   sont   ensuite   venues:   CIMO,   BIM, UDMO…Des blessés emportés par la police ont été retrouvés morts plus tard au carrefour Samida, à l’avenue Pouplard (carrefour Miragôane), à la ruelle Berne et à la ruelle Jérémie.

Pour  exprimer  leur  mécontentement,  les  riverains  ont  bloqué  la  circulation  en érigeant des barricades le lendemain. Des unités spécialisées sont intervenues et les  ont  brutalisés  :  tirs,  gaz  lacrymogène,  effraction,  destruction  de  meubles, tortures…Conséquemment :   deux   nourrissons   sont   décédés,   des   personnes tombées en syncope…

La vidéo est maintenant disponible maintenant sur YouTube

Dans le constat du juge de paix il est mentionné que : «  (…) nous avons vu une autre du même genre, en vérifiant, nous avons remarqué qu’il s’agissait d’armes factices, faites en plastic dur ».

C.  Décès

Au   moins   11   personnes   ont   été   tuées,   dont   Loubens,   fils   de   l’inspecteur divisionnaire  Louicéus  Délius  :  trois  sur  le  champ,  puis  deux  blessés  exécutés, quatre  autres  emportés  par  la  police  et  retrouvés  morts  au  carrefour  Samida,  à l’avenue Pouplard (carrefour Miragôane), à la ruelle Berne et à la ruelle Jérémie ; trois autres le lendemain.

1. Asalas (Bernard);

2. Mister Ben (Loubens);

3. Jeff promo, tué et emporté par la police ;

4. Un inconnu

5. Quatre à la ruelle Jérémie, à la ruelle Berne, au carrefour Samida et  à l’avenue Pouplard ;

6. Trois autres le lendemain.

N.B. Ces chiffres peuvent être revus à la hausse (décès/blessés), car de nombreux riverains ne sont pas encore revenus. Le CARDH poursuit son enquête autour de ce drame.

D. Liste partielle des blessés

Beaucoup  de  riverains,  de  petits  commerçants,  de  passants  et  de  fanatiques assistaient au tournage. La liste suivante a été fournie par le groupe et quelques survivants.

1. Niko, Steven Oscar ( deux balles au bras gauche).

2. Jacob  (une balle au pied gauche).

3. Outsider ( éraflé de deux balles).

4. Hakam (éraflé d’une balle et bras endommagés ).

5. Adams (bras endommagés, égratignure ).

6. Lezo (bras endommagés).

7. Pouchon  (battu avec l’arrière de l’arme, corps endommagé).

8. Imerson (éraflé d’une balle, bras et pieds endommagés ).

9. Naëlle ( battu avec l’arrière de l’arme, blessure au coup).

E. Torture physique

Lors de cette opération, des tortures ont été infligées. Le CARDH en a pu identifier dix (10) victimes. Toujours sous le choc, seulement trois (3) ont accepté de partager des informations. Ils ont expliqué que la police continue de les traquer. Dès 6h du soir, ils sont obligés de rentrer chez eux.

1. Pouchon : deux policiers l’ont jeté par terre. Un a mis ses bottes sur sa tête et l’autre lui a donné des coups de pied.  On l’a ensuite précipité dans une rigole.

2. Anglade Estenort ( 30 ans), battu depuis sa chambre et trainé dans la rue, s’est rendu en province pour des soins.

3. Andremène Elsaint (60 ans), paralysée, a été bousculée.

F. Torture morale et autres formes de brutalité le jour suivant

Pour dénoncer la tuerie, des riverains ont placé des barricades et bloqué la route le lendemain. Des back-up de police sont intervenus:   tirant des gaz lacrymogène et  des  balles  dans  toutes  les  directions,  entrant  par  effraction  dans  des  maisons (pour la plupart de fortune), détruisant des meubles…

Madame  Erèz Joissaint ( 48 ans) s’est précipitée pour rentrer dans sa petite maison quand les policiers, déjà à l’intérieur (effraction), ont pointé une arme sur elle et ont détruit quelques-uns de ses meubles.

III. Analyses et recommandations

La  tuerie  dans  la  soirée  du  mardi  21  septembre  2021  à  Ravine  Pintade  (avenue John Brown/rue Nord Alexis) ayant fait au moins 11 décès et plusieurs blessés est une préoccupation extrême et exige que les responsabilités soient fixées pour que la lumière soit faite.

En effet, cette exécution paraît être injustifiée si l’on tient compte de deux facteurs parmi  d’autres,  savoir :  préméditation  et  usage  de  la  force  disproportionnée. Toutefois,  il  faut  souligner  que  le  groupe  a  manqué  à  l’obligation  légale  d’avoir l’autorisation de la mairie, visée par la police pour l’occupation de l’espace5.

Cependant, il faut souligner qu’en réalité les réalisateurs occupent souvent l’espace public sans remplir cette formalité (plusieurs réalisateurs ont été consultés à ce sujet).

G. Préméditation

Le CARDH estime qu’il y a eu préméditation. Une première patrouille de la police administrative a sillonné  la  zone,  a  donc  vu  le  tournage.  Ensuite, les  quatre policiers de  la  patrouille Toyota Land Cruiser  (commissariat  de  Port-au-Prince), sans portes, sont venus et ont ouvert le feu sur les citoyens indistinctement.

Rappelons  que  cette  patrouille  est  confirmée  dans  l’exécution  de  personnes (militants  et  de  citoyens  opposants  des  pouvoirs)  et  des  tortures  dans  la  zone métropolitaine.

H. Usage de la force non proportionnelle

Les   rappeurs   étaient   en   plein   tournage   dans   une   rue   allumée,   remplie   de fanatiques, de gens du quartier qui y assistaient… Les  policiers n’ont donné aucun ultimatum, ils ont tiré sur la foule et pourchassé les gens dans toutes les directions. Il  ne  s’agit  nullement  d’échanges  de  tirs,  d’autant  plus  que  la  zone  est  réputée paisible.

J. Recommandations

Le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) recommande une enquête policière et judiciaire afin de déterminer les manquements, de fixer les responsabilités et de rétablir les parents des victimes dans leur droit.

L’enquête permettra de définir  fondamentalement si les policiers ont été emportés par ces armes factices, apparentées à des armes réelles, et comment devraient ils réagir professionnellement.

Des photos montrant comment les policiers pourchassaient les gens,  tirant dans toutes les directions et sans précisions ( des balles atteintes l’intérieur des maisons).

La rue Nord Alexis est située à l’avenue John Brown (Lalue) en face de Olympic Market.

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