Bavure policière à « Ravine Pintade » (rue Nord Alexis) : Les autorités policières et judicaires doivent s’expliquer, fixer les responsabilités, selon un rapport d’enquête de CARDH (Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme)
Port-au-Prince, samedi 2 octobre 2021 ((rezonodwes.com))–
I. Introduction
Relayées sur les réseaux sociaux et par la presse, des informations choquantes ont fait état d’une intervention brutale de la police dans la soirée du 21 septembre à Ravine Pintade (Ave. John Brown/ Rue Nord Alexis) au cours de laquelle il y eut des exécutions sommaires et des blessés à l’occasion du tournage d’une vidéo-clip du groupe rap New Wave avec d’autres artistes invités.
Les informations persistantes s’apparentaient à une tuerie. Or, aucune explication concrète et convaincante n’a jusqu’à présent été fournie par les autorités policières et judiciaires. Lors d’une conférence de presse le 22 septembre, la porte-parole de la police, l’inspectrice Marie Michelle Verrier2, a affirmé que les policiers avaient entendu des tirs et qu’une enquête est en cours.
Contacté par des victimes et dans le but de poursuivre ses travaux de monitoring de violations des droits humains, le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) a dépêché une équipe sur les lieux du drame afin de recueillir des informations. Celles-ci ont été suivies d’analyses assorties de recommandations.
II. Informations recueillies sur le terrain
A. A propos du Collabo : Groupe New Wave et deux autres artistes
New Wave est un groupe rap fondé le 3 novembre 2017. Il est constitué de cinq (5) artistes : Out Sider ( Saimbert Alens) ; Pol’os (Reginald Toussaint) ; Mike Usi (Miscadin Mike) ; Joker ( Volcy Christian) ; Rosemond Biliban. Deux autres artistes étaient invités à participer au projet (collabo) : GPSY ; GOGO. Certains habitent la zone, les autres résident à la ruelle Vaillant, à Delmas 24 et à Solino.
Interrogés sur les motivations de la vidéo exprimant la violence, les rappeurs ont expliqué qu’ils voulaient exposer la réalité du pays.
La porte-parole s’est contentée de dire qu’il y a eu des détonations dans la zone, et les agents de l’ordre ont dû intervenir suites à des informations communiquées par les riverains et qu’une enquête déterminera si ces armes sont vraies ou fausses.
B. Résumé des événements
Le tournage du vidéo-clip (Arsenal-New Wave3) a commencé à la Ravine Pintade (avenue John Brown / rue Nord Alexis) vers 21h. Les rappeurs utilisaient des armes factices4 achetées en République Dominicaine et s’étaient entourés de fanatiques, de riverains, de curieux, de petits commerçants de la zone…
Une patrouille de la police administrative (Nissan kicks de couleur blanche) a sillonné l’espace, peut-être par hasard ou afin de constater le déroulement du tournage. Vers 22h : 30, est arrivé du commissariat de Port-au-Prince la Toyota Land Cruiser sans portes (communément appelée Zo Reken), avec quatre (4) policiers.
Un policier à genoux a tiré sur la foule. Un autre s’est positionné derrière lui, tirant dans la même direction. Ensuite, les quatre policiers ont pourchassé les gens qui se précipitaient un peu partout dans les corridors, tirant dans toutes les directions. Les maisons ont essuyé plusieurs balles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Il y eut deux morts sur le champ. Deux personnes, dont Asalas ainsi connu, atteintes d’une balle au pénis et à la ceinture, ont été exécutées. Il y eut également plusieurs blessés…
Les policiers ont ensuite intimé l’ordre à la population de ne pas sortir, puis ils ont mis des armes près des cadavres et ont commencé à les photographier. Arrivés près de celui de l’inspecteur divisionnaire Louicéus Délius, des curieux depuis leurs fenêtres ont crié : « woy gade sa yap fè pitit inspektè polis la!!! » (regardez ce qu’ils font du fils de l’inspecteur de police !!!). Les policiers ont rapidement enlevé l’arme.
Plusieurs patrouilles d’unités spécialisées sont ensuite venues: CIMO, BIM, UDMO…Des blessés emportés par la police ont été retrouvés morts plus tard au carrefour Samida, à l’avenue Pouplard (carrefour Miragôane), à la ruelle Berne et à la ruelle Jérémie.
Pour exprimer leur mécontentement, les riverains ont bloqué la circulation en érigeant des barricades le lendemain. Des unités spécialisées sont intervenues et les ont brutalisés : tirs, gaz lacrymogène, effraction, destruction de meubles, tortures…Conséquemment : deux nourrissons sont décédés, des personnes tombées en syncope…
La vidéo est maintenant disponible maintenant sur YouTube
Dans le constat du juge de paix il est mentionné que : « (…) nous avons vu une autre du même genre, en vérifiant, nous avons remarqué qu’il s’agissait d’armes factices, faites en plastic dur ».
C. Décès
Au moins 11 personnes ont été tuées, dont Loubens, fils de l’inspecteur divisionnaire Louicéus Délius : trois sur le champ, puis deux blessés exécutés, quatre autres emportés par la police et retrouvés morts au carrefour Samida, à l’avenue Pouplard (carrefour Miragôane), à la ruelle Berne et à la ruelle Jérémie ; trois autres le lendemain.
1. Asalas (Bernard);
2. Mister Ben (Loubens);
3. Jeff promo, tué et emporté par la police ;
4. Un inconnu
5. Quatre à la ruelle Jérémie, à la ruelle Berne, au carrefour Samida et à l’avenue Pouplard ;
6. Trois autres le lendemain.
N.B. Ces chiffres peuvent être revus à la hausse (décès/blessés), car de nombreux riverains ne sont pas encore revenus. Le CARDH poursuit son enquête autour de ce drame.
D. Liste partielle des blessés
Beaucoup de riverains, de petits commerçants, de passants et de fanatiques assistaient au tournage. La liste suivante a été fournie par le groupe et quelques survivants.
1. Niko, Steven Oscar ( deux balles au bras gauche).
2. Jacob (une balle au pied gauche).
3. Outsider ( éraflé de deux balles).
4. Hakam (éraflé d’une balle et bras endommagés ).
5. Adams (bras endommagés, égratignure ).
6. Lezo (bras endommagés).
7. Pouchon (battu avec l’arrière de l’arme, corps endommagé).
8. Imerson (éraflé d’une balle, bras et pieds endommagés ).
9. Naëlle ( battu avec l’arrière de l’arme, blessure au coup).
E. Torture physique
Lors de cette opération, des tortures ont été infligées. Le CARDH en a pu identifier dix (10) victimes. Toujours sous le choc, seulement trois (3) ont accepté de partager des informations. Ils ont expliqué que la police continue de les traquer. Dès 6h du soir, ils sont obligés de rentrer chez eux.
1. Pouchon : deux policiers l’ont jeté par terre. Un a mis ses bottes sur sa tête et l’autre lui a donné des coups de pied. On l’a ensuite précipité dans une rigole.
2. Anglade Estenort ( 30 ans), battu depuis sa chambre et trainé dans la rue, s’est rendu en province pour des soins.
3. Andremène Elsaint (60 ans), paralysée, a été bousculée.
F. Torture morale et autres formes de brutalité le jour suivant
Pour dénoncer la tuerie, des riverains ont placé des barricades et bloqué la route le lendemain. Des back-up de police sont intervenus: tirant des gaz lacrymogène et des balles dans toutes les directions, entrant par effraction dans des maisons (pour la plupart de fortune), détruisant des meubles…
Madame Erèz Joissaint ( 48 ans) s’est précipitée pour rentrer dans sa petite maison quand les policiers, déjà à l’intérieur (effraction), ont pointé une arme sur elle et ont détruit quelques-uns de ses meubles.
III. Analyses et recommandations
La tuerie dans la soirée du mardi 21 septembre 2021 à Ravine Pintade (avenue John Brown/rue Nord Alexis) ayant fait au moins 11 décès et plusieurs blessés est une préoccupation extrême et exige que les responsabilités soient fixées pour que la lumière soit faite.
En effet, cette exécution paraît être injustifiée si l’on tient compte de deux facteurs parmi d’autres, savoir : préméditation et usage de la force disproportionnée. Toutefois, il faut souligner que le groupe a manqué à l’obligation légale d’avoir l’autorisation de la mairie, visée par la police pour l’occupation de l’espace5.
Cependant, il faut souligner qu’en réalité les réalisateurs occupent souvent l’espace public sans remplir cette formalité (plusieurs réalisateurs ont été consultés à ce sujet).
G. Préméditation
Le CARDH estime qu’il y a eu préméditation. Une première patrouille de la police administrative a sillonné la zone, a donc vu le tournage. Ensuite, les quatre policiers de la patrouille Toyota Land Cruiser (commissariat de Port-au-Prince), sans portes, sont venus et ont ouvert le feu sur les citoyens indistinctement.
Rappelons que cette patrouille est confirmée dans l’exécution de personnes (militants et de citoyens opposants des pouvoirs) et des tortures dans la zone métropolitaine.
H. Usage de la force non proportionnelle
Les rappeurs étaient en plein tournage dans une rue allumée, remplie de fanatiques, de gens du quartier qui y assistaient… Les policiers n’ont donné aucun ultimatum, ils ont tiré sur la foule et pourchassé les gens dans toutes les directions. Il ne s’agit nullement d’échanges de tirs, d’autant plus que la zone est réputée paisible.
J. Recommandations
Le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) recommande une enquête policière et judiciaire afin de déterminer les manquements, de fixer les responsabilités et de rétablir les parents des victimes dans leur droit.
L’enquête permettra de définir fondamentalement si les policiers ont été emportés par ces armes factices, apparentées à des armes réelles, et comment devraient ils réagir professionnellement.
Des photos montrant comment les policiers pourchassaient les gens, tirant dans toutes les directions et sans précisions ( des balles atteintes l’intérieur des maisons).
La rue Nord Alexis est située à l’avenue John Brown (Lalue) en face de Olympic Market.