La succession de feu le Président Jovenel Moïse : une opportunité à saisir

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par Me Kebreau ZAMOR
Commissaire

Mardi 20 juillet 2021 ((rezonodwes.com))– Les récents événements qui ont fortement sapé les fondements institutionnels du pays, durant ces deux dernières années, nous ont laissé un Etat  complètement effondré, puisqu’il en est résulté un Parlement inexistant ; un Pouvoir Judiciaire dysfonctionnel, instrumentalisé et en difficulté ; un Exécutif bicéphale privé, à la fois , de son Président et d’un Premier Ministre « légalement » en fonction ; une Cour de Cassation non-opérationnelle, un Conseil Constitutionnel jamais constitué ; un CEP contesté, installé en dehors de la loi, une Cour des Comptes aux prérogatives réduites ; les douanes et les ports très faiblement contrôlés par l’Etat ; une institution policière (PNH) particulièrement démotivée et des élections périodiques non tenues, en vue du renouvellement du personnel politique. Rien ne saurait mieux illustrer la faillite de nos institutions.

Ajouté à cela la fédération des « gangs », ayant entraîné la multiplication des cas de kidnapping dans un contexte où l’insécurité a atteint des proportions inégalées, a été le coup de grâce final à ce qui nous restait de la République, dont le monopole de la violence légitime est devenu une chimère.

C’est dans cette conjoncture particulièrement délétère et calamiteuse qu’intervient l’assassinat odieux, ignoble et brutal du Président de la République, tel un pavé dans la mare. Un énième « crime » d’Etat dont la seule garantie, pour cette espèce, est qu’il risque hautement de ne pas être élucidé. Aussi, est-ce avec le cœur contrit que je présente mes sympathies à la Nation toute entière, déchirée par une telle extraordinaire densité d’émotion et d’angoisse, ainsi qu’à toute la famille du défunt qui reste encore sans voix.

Alors, en tout état de cause, puisqu’il est un impératif absolu d’assurer la nécessaire continuité de l’Etat, il convient de déterminer qui doit remplacer le Président assassiné, pour conduire les rênes du pays, au regard du cadre légal, tel que prévu par la constitution soit légalement ou à défaut, légitimement.

A- LE CADRE LEGAL

Il est intéressant de préciser que ce douloureux événement ouvre la voie, au milieu de cette confusion juridico-politique, à une féconde perspective dialectique qui met en relief les vertus de l’approche juridique dont l’épilogue, par-delà les considérations et argumentations intéressées, ne doit viser que le plaidoyer pour un consensus historique devant tordre le cou à ce dissensus atavique, entretenu et alimentée à souhait par les fossoyeurs de la Patrie et des étrangers en particulier.

En effet, la version amendée de la Constitution de 1987, en son article 149, a prescrit deux (2) scenarii possibles, dans l’hypothèse de toute éventuelle vacance présidentielle, pour quelque cause que ce soit : démission, destitution, décès et incapacité physique ou mentale permanente dument constatée.

Pour le premier scenario, le législateur a prévu que, de la date de la prestation de serment du Président jusqu’à la troisième année de l’exercice de la fonction, en cas de vacance présidentielle, c’est le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier Ministre, qui exerce le Pouvoir Exécutif. Cet énoncé, en lien à une situation d’exception, appelle deux considérations :

1 – Le Premier Ministre n’en est devenu que le Président du Conseil des Ministres, et non –nominalement- celui de la République.

2 – Le Conseil des Ministres exerce le « Pouvoir Exécutif », donc sans Président de la République, tandis qu’en situation normale, c’est plutôt le binôme ou un Exécutif bicéphale (Président de la République + le Gouvernement) qui constitue et exerce le Pouvoir Exécutif.

       b)  Le second scenario porte sur la vacance présidentielle survenue à partir du début de la quatrième (4eme) année du mandat.

A l’évidence, cette hypothèse parait autant problématique que la première, en l’état actuel de la situation, étant entendu que l’Assemblée Nationale suppose la conjonction des deux (2) branches du  Parlement, appelée à élire, au second degré, un Président provisoire. Or, force est de constater que la Chambre des députés est inexistante, en raison de la caducité de la 50ème  législature. Pire encore, le Sénat amputé de deux (2) tiers est, somme toute, agonisant et n’est que l’ombre de lui-même. Il est alors mathématiquement impossible d’envisager l’élection, au second degré, d’un quelconque président provisoire.

De tout ce qui précède, il en ressort qu’aucune des deux solutions prévues par la Constitution à l’article 149 ne peut point trouver sa moindre application dans le  présent cas de figure. Inextricable imbroglio juridique. Alors, à défaut de pouvoir légalement résoudre l’équation que pose cette vacance, on ne peut que recourir légitimement à une solution éminemment consensuelle, dans un sursaut de conscientisation dictée par cette gêne collective traumatique, dans la perspective de poser les jalons de la Refondation de l’Etat, par la bonne gouvernance, à travers cette parenthèse transitoire qui, de toute évidence et malgré l’horreur que suscite cette exécution exemplaire, ayant atteint les sommets de l’horreur, doit être exploitée comme une ultime opportunité à saisir pour la conclusion d’un pacte social, entre les différentes couches sociales, notamment les élites politiques et intellectuelles versus les élites économiques, devant permettre la réforme institutionnelle par le renforcement de l’Etat de droit, quintessence incontestable, s’il en est, de cet autre système réclamé à cor et à cri.

Néanmoins, on risquerait de passer à côté de l’essentiel si l’accent n’est pas mis sur l’urgentissime et l’ultimissime obligation de conclure, enfin, un « pacte de gouvernabilité et de stabilité » avec les USA,  lequel pacte devrait pouvoir favoriser et soutenir, sans hypocrisie et par le biais d’un processus permanent, le renforcement de l’Etat de droit, sachant que, comme l’affirme Alexis de Tocqueville, « il est particulièrement dangereux de faire d’un peuple l’arbitre des destinées d’un autre peuple ».

B – LES JALONS DE LA REFONDATION DE L’ETAT

Il est un truisme qu’il n’existe point d’Etat qui ne fasse référence aux institutions et dans le cas d’Haïti, elles sont à ce point systématiquement affaiblies qu’il importe urgemment de les renforcer. Et, c’est là  toute la prétention et la garantie de l’Etat de droit dont la vocation essentielle est de favoriser, via le cadre légal d’une part, la suffisante autonomie des institutions régaliennes et de contrôle et, de l’autre, la véritable indépendance du pouvoir juridictionnel, notamment en nommant les Magistrats en général pour une durée indéterminée, tout en affranchissant les Commissaires du Gouvernement de la tutelle hiérarchique trop perverse de l’Exécutif. A cet égard, il convient d’articuler la réforme institutionnelle susceptible de permettre l’édification de cette refondation qui doit prendre en compte, au premier plan, la modification de la Constitution ainsi que celle de tous autres textes dont l’autonomie et l’indépendance ne sont point réellement garanties.

Donc, il est fondamentalement impérieux d’établir, en référence à la loi et de façon limpide, les garanties suffisantes relatives à cette double exigence ambitieuse d’autonomie et d’indépendance, de telle sorte qu’il soit mathématiquement impossible à l’Exécutif, par des arguties juridiques, d’en passer outre, sans qu’il se soit exposé à des sanctions. A cette fin, il convient de rappeler le rôle de gardien et de protection de la constitution qui incombe à cette majestueuse entité qu’est le Conseil Constitutionnel.

Il en sera dès lors ainsi, de la configuration du CSPJ assujetti à l’Exécutif, disposant déjà de 3 membres sur 9, de la procédure de nomination (hautement trop politique) des Juges à la Cour de Cassation, du critérium relatif à la nomination  du Directeur Général de l’ULCC, de l’UCREF,  de la PNH des membres de la CSCCA, du CEP, du Conseil Constitutionnel, de l’IGF, de la procédure de nomination ainsi que de la discipline des Magistrats en général, bref de toutes ces institutions, dont il faut pour chacune, revoir ou modifier leur loi d’application, ou loi-cadre et règlements intérieurs, rien que dans le souci de garantir -respectivement- cette autonomie et indépendance.

Pour y parvenir, dans le contexte actuel, rien ne parait plus idéal et pertinent que de concevoir ces réformes dans le cadre d’une rapide transition limitée à douze ou quinze (12 – 15) mois, bien avant la réalisation de toutes élections. A ce propos, je voudrais préciser que l’approche politicienne et foncièrement hypocrite qui tend à diaboliser voire, discréditer la perspective d’une transition est du pur enfumage, puisqu’en réalité, ce n’est pas la transition en soi qui pose problème, mais plutôt, ce qu’on envisage d’en faire.

C – UN GOUVERNEMENT DE CONSENSUS POUR UNE TRANSITION LEGITIME / CONSEIL DE SAGES

Après avoir démontré qu’il est illusoire d’envisager légalement l’application minimale d’une quelconque solution constitutionnelle, on ne peut alors qu’emprunter la voie consensuelle, par un compromis suffisamment représentatif et qualitatif, pour déterminer légitimement sinon, la meilleure, du moins la moins mauvaise formule devant nous amener à la formation  d’un  Gouvernement « largement inclusif » de qui aura vocation d’assurer minutieusement cette transition, par l’application rigoureuse d’une feuille de route non-exhaustive ci-après proposée, assortie d’un chronogramme d’activités à réaliser. Le grand Abraham Lincoln n’a-t-il pas dit justement à propos : « Des mesures non-constitutionnelles peuvent devenir « légitimes » quand elles sont indispensables ». Aussi, ce gouvernement de transition indispensable sera-t-il assisté d’un « Conseil de Sages », constitué de cinq ou sept (5-7) personnalités crédibles dont la trajectoire professionnelle et éthique incarne le « nec plus ultra » de la société civile et autres, convaincues de cette dimension d’Hommes d’Etat qui les contraint à s’instituer « arbitres impartiaux » entre leurs ambitions et l’intérêt général, tout en étant illuminées par l’éthique de responsabilité.

Alors, pour la constitution de ce gouvernement, deux hypothèses paraissent convenir :

  1. Soit qu’au niveau de la Cour de Cassation, pour ce qui concerne les juges restants, tous les secteurs politique et de la société civile engagés dans les discussions pour une sortie de crise consensuelle devront délibérer par vote, pour retenir parmi ces Juges, hormis celui/celle ou ceux-là qui en auront décliné, le Juge qui sera désigné  Président provisoire ;
  • Soit, en cas de rejet par impossible de la susdite hypothèse, dégager un consensus autour de la mise sur pied d’une Présidence Collégiale, qui sera composée de trois ou cinq (3 ou 5) personnalités ,au-dessus de tout soupçon, cumulant les mêmes critères que ceux exigés pour le Conseil des Sages, qui auront fait preuve de leur sens de l’Etat. Cette hypothèse pourrait avoir la vertu d’emporter l’adhésion de plus de secteurs possibles et permettre ainsi d’arracher ce compromis tant attendu.

Ce gouvernement aura pour tâche, valant «  feuille de route initiale », de :

  1. De ramener, in limine litis, par toutes les voies de droit et de fait, la paix et la tranquillité publiques, en rétablissant un climat de stabilité durable et propice à la réussite de la transition. Un préalable indiscutable. Il est cependant à craindre qu’il soit dommage hautement improbable que tout cela puisse se réaliser, sans la présence d’une force étrangère devant soutenir la Police Nationale – sur tous les plans – et pendant le temps qu’il faudra. Dans cette perspective, un programme d’insertion  sociale et de désarmement devra être enclenché.  

 Parallèlement, rendre fonctionnel le CSPJ, en favorisant au plus vite l’installation des membres élus et désignés, après avoir nommé un Président ai, à la Cour de Cassation et pris un arrêté rapportant celui ayant renvoyé à la retraite les trois honorables juges de ladite Cour.

II – De réaliser, dans un délai ne dépassant pas 30 jours, la tenue d’un « dialogue national » qui mettrait autour d’une table, toutes les personnalités représentatives du secteur privé des affaires, les secteurs organisées de la société civile, les organismes de défense des droits humains, les représentants des partis politiques et certaines organisations sociales, les personnalités désignées par l’Université, les représentants des institutions régaliennes et de contrôle ,les représentants de la Direction Générale de la PNH, les organisations paysannes, les représentants de tous les secteurs religieux organisés, assistées de spécialistes de divers domaines. A l’issue de ces débats, des recommandations devant compléter l’élaboration de la feuille de route initiale seront formulées.

N.B.- L’ambitieuse finalité de cette initiative est d’arriver à la conclusion d’un pacte social susceptible de favoriser, outre le progrès social et économique du pays, sinon la réconciliation de la classe possédante et des classes moyennes, du moins d’en permettre le rapprochement, dans l’intérêt de la stabilité, tout en exigeant l’implication obligatoire et la participation impérative des forces économiques dans  la dynamique du changement et progrès social. Aussi, devra-t-il être forcément question d’engager des discussions avec eux, sur les immenses privilèges liés au monopole et oligopole dont ils sont les seuls bénéficiaires au détriment de la masse, ainsi que de l’ouverture à l’investissement étranger.

III- De rechercher la meilleure formule représentative et qualitative devant favoriser, dès le deuxième (2ème) mois et pour une durée ne dépassant pas 30 jours, la constitution d’une Assemblée Constituante devant se pencher sur la modification du texte constitutionnel, à l’issue de laquelle le peuple sera invité, par voie référendaire, à adopter ou rejeter ladite modification.

N.B.- Il est important de souligner que les conclusions de ces assises du dialogue national, une fois rendues officielles, seront scrupuleusement intégrées dans le texte constitutionnel modifié, autant qu’il en sera possible.

IV- De mettre en branle dans une dizaine de jours au plus, soit dès le troisième (3ème) mois, sitôt adopté le texte constitutionnel modifié par voie référendaire, le processus de désignation des membres du CEP, sur la base d’un critérium, selon la formule prescrite ou prévue par la susdite modification, dès lors que le Conseil des Sages aura élaboré le « décret électoral », conforme au texte constitutionnel modifié, devant régir l’organisation des élections qui devront se tenir à la fin du septième ( 7ème) mois du mandat transitionnel.

V- De prendre toutes les dispositions en vue de rendre fonctionnelle la justice, en accordant la priorité à la problématique de la détention préventive prolongée. Rendre opérationnelle la Cour de Cassation, en y comblant les vacances, selon qu’il sera autrement prescrit par la constitution modifiée. Favoriser l’accès à la justice et sévir avec rigueur, de concert avec le CSPJ, contre les pratiques scandaleuses liées à la corruption et au déni de justice.

VI.- De créer un environnement sécuritaire apte à favoriser la reprise des activités économiques, et surtout d’adopter un train de mesures ayant vocation à conduire à l’efficacité d’une bonne gestion des finances publiques, par la promotion de la discipline budgétaire ainsi que la lutte effective contre la contrebande et la corruption. Ce qui entrainera probablement la dépréciation de la devise américaine, l’élargissement de l’assiette fiscale et par voie de conséquence, la baisse des produits de première nécessité.

VII.- De fournir tout l’accompagnement nécessaire aux Magistrats par la fourniture des moyens techniques et autres, notamment en matière de sécurité, relativement pour la conduite des différentes enquêtes et investigations en cours ou à venir. Et, pour combler un déficit flagrant d’ordre procédural, portant largement atteinte à la liberté, il parait devoir s’imposer qu’un décret soit pris pour réglementer :

La durée de la garde à vue pouvant aller jusqu’à 6 jours, spécifiquement pour les infractions qui présentent une certaine complexité, sur autorisation écrite du Commissaire du Gouvernement à la Police judiciaire.

Le recours en habeas corpus, via un texte de procédure, contraignant, entre autres, le Commissaire du Gouvernement à se représenter à l’audience.

L’interdiction de départ (justificatif, durée, exemptions, recours etc.)

Cette réflexion, en définitive, loin d’avoir la prétention de proposer des solutions aux problèmes pressants et structurels auxquels fait face la Nation, elle se veut une modeste contribution citoyenne articulée autour des différentes propositions assez intéressantes jusque-là formulées dont l’objectif, pour plus d’un, est d’amorcer le virage dans le sens du «  changement de système », par le renforcement et la réforme des institutions, par la bonne gouvernance, bref par le renforcement de l’Etat de droit.

A ce compte, il est intéressant de souligner à l’encre-forte qu’une telle ambition exige un sens élevé de transcendance, de dépassement, de vision, de convictions politiques, de sacrifices, du compromis, du courage, de détermination, voire du patriotisme. Car, il nous appartient d’inventer des solutions pour restaurer cette dignité collective bafouée par autant de pratiques rétrogrades qui ont fini par contraindre certains, soit à l’exil, soit au désespoir, soit à la résignation ou au pire à la misère ,et d’autres, écrasés par le poids de la nécessité éthique en lien à l’engagement citoyen, – malgré tout- heureusement, à s’indigner, à résister et à se révolter. La tâche qui incarne cette invincible espérance en des lendemains meilleurs, à laquelle vous êtes tous conviés, est résolument exaltante.

Aucun sacrifice, même consenti par le meilleur de ses fils, ne pourra jamais s’élever à la dimension de ce qu’exige et représente cette grande Nation, Terre de Liberté.

Pour les Ancêtres, pour votre progéniture et les générations futures.

QUE  DIEU  BENISSE  HAITI….

Kébreau Zamor
Militant de l’Etat de droit

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