L’Édito du Rezo : Le PHTK et l’Opposition au pied du mur

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Dr Arnousse Beaulière

Mardi 2 juillet 2021 ((rezonodwes.com))–

Dans son rapport de mission de crise sur Haïti du 8 au 10 juin 2021, la délégation de l’Organisation des Etats américains (OEA) a émis trois recommandations principales : d’abord, la nomination d’un nouveau gouvernement avec à sa tête un Premier ministre de consensus venant de l’opposition d’ici à la mi-juillet, ensuite, la constitution d’un nouveau Conseil électoral provisoire (CEP) crédible et légitime aux yeux du peuple haïtien et, enfin, la restauration d’un climat apaisé contre l’insécurité généralisée orchestrée par des gangs lourdement armés. Ces trois orientations auraient pour but l’organisation des élections législatives et présidentielle avant la fin de l’année.

Comme par hasard, deux jours avant la publication de ce rapport, le CEP illégal de Jovenel Moïse a choisi de publier un nouveau calendrier électoral annonçant le report du référendum constitutionnel, la tenue du premier tour des élections législatives et présidentielle le 26 septembre prochain et le second tour le 21 novembre. Un calendrier électoral jugé totalement fantaisiste, irréaliste par les dirigeants de l’opposition politique et sociale qui dénoncent la velléité de Jovenel Moïse de passer en force pour réaliser un référendum inconstitutionnel et des élections truquées. Selon ces dirigeants, cela ne peut conduire qu’à une exacerbation de la crise. De ce fait, ils l’invitent à reconnaître son échec incontestable et jeter l’éponge pour le bien d’Haïti, avant qu’elle ne sombre davantage dans le chaos où il l’a conduite.

Bien entendu, le président de facto s’y oppose énergiquement. Pourtant, il a déjà avoué lui-même son impuissance face à l’état déplorable dans lequel se trouve le pays. Affaibli, complètement inaudible, il a totalement perdu la confiance de ses « frères et sœurs de l’opposition », comme il lui arrive parfois de les appeler. Paranoïaque, passé maître dans l’art de la mythomanie, il vacille : tantôt il appelle ses adversaires au dialogue, tantôt il les attaque violemment, en les menaçant de leur « taper sur les doigts », voire les écraser s’ils osent se mettre en travers de sa route. Le tout dans une posture autoritaire-populiste-réactionnaire où il se présente en défenseur de la cause du peuple. Pour l’opposition, il devra rendre compte tôt ou tard devant la justice non seulement pour les nombreux massacres perpétrés par les gangs alliés sous sa présidence dans les quartiers populaires (Lasalin, Gran Ravin, Bèlè, etc.) – sans oublier les assassinats de journalistes, d’avocats, de militants des droits de l’homme et d’opposants politiques – mais également pour son inculpation dans les détournements des fonds PetroCaribe.

Comme le décrit le journaliste Philomé Robert, Haïti plonge toujours plus loin dans le chaos – un chaos sécuritaire, sanitaire, économique et politique (France 24, 27 juin 2021). C’est dans ce contexte pour le moins apocalyptique que les principaux partis de l’opposition, de nombreux acteurs de la société civile organisée et l’opinion publique dans sa majorité, considèrent que Jovenel Moïse ne peut pas être en même temps le problème et la solution, c’est-à-dire qu’« on ne peut résoudre un problème avec […] celui qui a généré le problème », pour citer Albert Einstein. Aussi, faut-il donc parvenir à le neutraliser en vue de trouver une issue à cette crise interminable et inextricable. Dans cette optique, la stratégie consistant à dialoguer avec la frange fréquentable du PHTK pourrait y contribuer. D’autant plus que certains dirigeants de cette tendance ont ouvertement dénoncé le projet de référendum de Jovenel Moïse le qualifiant d’inconstitutionnel, non transparent et non inclusif.

Vu la quadrature du cercle à laquelle elle est confrontée, c’est une piste sérieuse et encourageante que devrait exploiter l’opposition. Le constat est indéniable : la tâche est ardue. En effet, en dépit de ce chaos, ce président autocrate, complètement dépassé par les évènements, est toujours soutenu par l’International et une partie de l’oligarchie – qui ont leur part de responsabilité dans cette crise –, sans compter les milices fédérées et armées jusqu’aux dents réputées proches du pouvoir qui théorisent la population.

Ainsi, au pied du mur, l’opposition et le PHTK sont plus que jamais condamnées à trouver un accord de sortie de crise inter-haïtien en assumant pleinement leurs responsabilités dans le cadre d’un dialogue franc et constructif, au risque de se voir imposer, une énième fois, par l’International, une résolution contraire aux intérêts nationaux. Ils ne sont pas non plus à l’abri d’un gigantesque mouvement rébellionnaire de la part du peuple haïtien contre cette barbarie à ciel ouvert qui gangrène le pays en toute impunité.

En effet, comme le mentionne le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) dans son rapport détaillé sur le carnage à la rue Acacia, Christ-Roi et à Delmas 32 (Port-au-Prince), une quinzaine de personnes dont la sociologue et militante politique, Marie Antoinette Duclaire, et le journaliste, Diego Charles, ainsi que le policier Guerby Geffrard, porte-parole du syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH-17), appartenant au groupe Fantom 509, ont été exécutés par des membres de gangs alliés du pouvoir. « Il ne fait donc aucun doute, un climat de terreur est instauré dans le pays avec la complicité des autorités étatiques et les droits à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et psychiques des citoyens-nes, sont constamment violés. » (RNDDH, cité par Rezo Nòdwès, 1er juillet 2021).

Serions-nous en train de vivre une dictature qui ne dit pas son nom ?

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