La création de l’Observatoire haïtien de crimes contre l’humanité : quel apport à la « politique de civilisation » dans les propos de Me Sonet Saint-Louis

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Dimanche 25 octobre 2020 ((rezonodwes.com))– L’expression « politique de civilisation», utilisée par l’ex président de la République française Nicolas Sarkozy lors de ses vœux télévisés aux Français en 2008 dont l’invention méritée à l’inspiration d’Edgar Morin consiste à réfléchir sur la transformation de l’État dans les sociétés modernes. 

La création de l’Observatoire  Haïtien de crimes contre l’humanité est une initiative à la fois louable et courageuse eu égard au contexte politique actuel. De façon sensée, il n’est pas inutile de s’aligner à son objectif cardinal de poursuivre les grands criminels d’État. Cependant, il faut être prudent dans la mise en œuvre de sa politique citoyenne. 

À ce titre, il convient de relever des erreurs dans les propos, tenus par l’un de ses éminents conseillers lors de l’émission Ranmase en date du 24 octobre 2010 sur radio télé Caraibes (94.5 FM), dont le poids n’est pas négligeable dans l’internationalisation de la justice pénale. 

En effet, l’éminent pénaliste-constitutionnaliste a évoqué la contribution de l’avènement de l’Observatoire et la compétence passive de certains pays ( ce qui peut s’analyser en droit pénal classique comme la compétence passive) dans la lutte contre l’impunité dont jouissent des autorités politiques haïtiennes. En outre, il a affirmé « qu’on est en train de créer le tribunal international ad hoc en Haïti » pour juger les grands criminels au motif que les infractions de crimes contre l’humanité sont imprescriptibles en précisant que la signature du statut de Rome ( 17 juillet 1998) en date du 26 février 1999 constituerait l’instrument juridique empêchant la commission des infractions de crimes contre l’humanité par les autorités politiques haïtiennes. 

Avec tout le respect porté au niveau intellectuel de cet éminent juriste, il ne semble pas inutile de préciser quelques erreurs dans ses propos dans le cadre de l’interdiction constituée de présomption directe des traités ( I) et la compétence universelle en matière de crime contre l’humanité ( II). 

I- l’interdiction constitutionnelle de présomption d’applicabilité directe des traités 

En effet, la seule obligation à laquelle est assujetti un État partie à une Convention internationale en matière du droit international est l’exécution de bonne foi des engagements internationaux consentis . Cela sous-entend l’insertion des normes internationales convenues dans l’ordre juridique interne afin que celles-ci puissent être opposables aux autorités politiques et être judiciarisées. 

Ainsi, les méthodes d’intégration de ces normes en droit interne se diversifient en fonction des régimes constitutionnels des États. Bien que l’intégration des normes extérieures en droit interne soit généralement tributaire de la volonté politique, mais le rôle du Parlement dans les sociétés modernes n’est pas négligeable. De fait, il vise dont  à légitimer autant que légaliser des engagements internationaux. 

En ce qui concerne Haïti, les modalités procédurales exigées par la combinaison des articles 276.1 et 276.2 de la Constitution de 1987 visent exclusivement la ratification d’un traité par l’Assemblée nationale pour qu’il soit par valide et opposable aux autorités politiques et incorpore l’ordre juridique interne .  

Or, en évoquant la seule signature du traité de Rome du 17 juillet 1998 pour freiner la commission des infractions de crimes contre l’humanité dans une démarche prédictive et sur la base de laquelle un tribunal pénal international pourrait être créé, les propos de Me Saint-Louis tendent vers la consécration d’une présomption d’applicabilité directe de celui-ci, ce qui est constitutionnellement interdit ( art. 276.2 Constitution de 1987 amendée ). 

Dans ce cadre, seule la ratification de ce traité conférera compétence aux juges nationaux  pour apprécier des demandes fondées sur ce traité. C’est cette transposition constitutionnelle qui offrira aux pouvoirs publics la possibilité de créer un tribunal pénal international ad hoc. Toutefois, il convient de rappeler que toute création d’un tribunal pénal international ad hoc doit émaner du Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu du principe de la solidarité internationale.

C’est exactement sur cette solidarité internationale dont se fondent certains pays pour s’attribuer une compétence universelle en matière de répression des infractions de crimes contre l’humanité. 


II- Sur la compétence universelle : compétence passive 

En matière d’internationalisation de la justice pénale, la compétence passive s’analyse en la reconnaissance d’une compétence universelle adoptée par le législateur national pour connaître des faits de crimes contre l’humanité commis sur un territoire étranger. 

Cela dit, sur la base de la compétence territoriale, il y a une autonomie de la répression de ces infractions par le droit national indépendamment de la signature ou ratification d’un traité ou d’un Accord international. Le seul fondement de la poursuite de la justice pénale nationale confine dans l’intégration Traité en question dans l’ordre juridique interne.

En l’espèce, la judiciarisation des infractions de crimes contre l’humanité nécessite l’intégration du Statut de Rome dans l’ordre juridique haïtien. Cependant, l’absence de cette transposition dans le droit national ne limite pas la légitimité de l’exercice de l’application de la justice pénale extérieure. 

Donc  , une visite officielle d’une autorité sur le territoire du pays s’attribuant de la compétence passive ( universelle) peut entraîner une poursuite judiciaire sur le fondement de crimes contre l’humanité, étant entendu que les chef d’État et les Chanceliers jouissent des immunités judiciaires en tout état de cause. 

Partant, il convient de souligner que la présence des autorités haïtiennes pourraient effectivement entraîner une poursuite judiciaire sur le fondement de crimes contre l’humanité indépendamment de la signature ou non du Statut de Rome. La compétence juridictionnelle de l’État requis se fondera en ce sens  sur l’intégration du Statut de Rome dans son ordre juridique interne. 

Pour cela, il importe que les acteurs de l’Observatoire Haïtien de crimes contre l’humanité ne s’attellent pas uniquement à recueillir des données dans l’objectif illusoire de croire pouvoir prévenir la récurrence des crimes contre l’humanité en Haïti. 

Mais, ils doivent concéder la nécessité de faire un plaidoyer infatigable auprès de l’Organisation des Nations Unies ( ONU) pour faire pression sur les autorités politiques haïtiennes afin de ratifier le Statut de Rome du 17 juillet 1998 relatif aux crimes contre l’humanité. Ainsi, l’Observatoire apporterait vraisemblablement une nouveauté dans la lutte pour la sauvegarde de l’État de droit en Haïti.

Dans le cas contraire, il n’agrandirait que la liste des institutions sans se faire une place originale dans la lutte pour le respect de l’État de droit en Haïti. 

Me. Guerby BLAISE                
Avocat et Enseignant-chercheur en Droit pénal et Procédure pénale              
Centre de droit pénal et de criminologie                
École doctorale de Paris Nanterre 

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