La diaspora et son combat pour les victimes de choléra! par Dr Jean Ford G. Figaro

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« J’ai quitté là-bas, mais je ne suis pas encore d’ici. » Dany Laferrière
 
Lundi 21 novembre 2016 (rezonodwes).- En dépit de son caractère réduit et galvaudé, la diaspora haïtienne ne saurait être sous-évaluée dans la lutte d’émancipation des couches paupérisées et discriminées en Haïti. Souvent le concept acquiert des connotations péjoratives d’individus du dehors et oublieux de leurs racines ancestrales. C’est dans cet ordre d’idée que l’écrivain Joel Des Rosiers nous parle des espaces métasporiques pour indiquer des sujets qui vivent dans des territoires post-nationaux. Il serait mieux selon le locuteur haïtien de faire usage du concept « métaspora » que celui de diaspora, compte tenu de son essence haineuse dans la mémoire collective et individuelle haïtienne. Quelle que soit l’appellation donnée, dans ce texte nous parlons du courage de nos compatriotes qui vivent la nostalgie d’être loin des frontières haïtiennes.




Quelque lointain qu’il soit, l’haïtien pleure sa terre natale. Environ huit mois après le dévastateur séisme du 12 janvier 2010, le pays était contraint de faire face à une nouvelle catastrophe humanitaire, cette fois-ci de nature médico-sanitaire. Après des mois de grande spéculation, de confusion et de grande désolation d’une population en agonie, les premières études scientifiques sur la genèse de la nouvelle maladie fraichement introduite dans le pays, commençaient à faire surface autour de cette pathologie diarrhéique qui tuait par centaines les haïtiens, surtout les plus vulnérables du pays. De la première étude du professeur Renaud Piarroux jusqu’au rapport de Yale University, tous les spécialistes ont pointé du doigt le contingent militaire népalais récemment arrivé en Haiti en octobre 2010 de katmandu, où une épidémie de choléra sévissait quelque semaines avant leur départ pour la nouvelle mission haïtienne. Sans équivoque, les népalais ont introduit la bactérie du choléra en Haïti. Une nouvelle qui allait éclater comme une bombe nucléaire et se répandre expéditivement au sein de la société haïtienne et de la communauté internationale, qui ne comprenait pas que cette mission humanitaire (Minustah) pouvait provoquer une crise sanitaire et sociale aussi grave dans le pays, la plus grande de l’histoire au moment où les haïtiens pleuraient encore leurs morts.
Malgré les grognements de la mission onusienne et le démenti du secrétaire général Ban ki-moon, sur le rôle joué par les soldats onusiens cantonnés à Mirebalais dans l’importation de la maladie diarrhéique aqueuse, dans la localité de Meille, ils ont disputé leur responsabilité en envoyant un panel d’experts qui a confirmé les résultats des études précédentes. Face à ces preuves irréfutables, tout le monde s’attendait à trois choses: primo, des excuses formelles au peuple haïtien, segundo, la décision de dédommager les victimes, tercio, la résolution de contribuer à l’éradication de cette maladie. À la surprise générale, c’était tout le contraire, ils ont blâmé tout le monde sauf eux-mêmes. Entre temps, on commençait à compter les morts et les malades par milliers et l’état haïtien restait impuissant par rapport à ses faibles moyens pour venir en aide aux personnes infectées par la bactérie mortelle.




Une grande mobilisation a commencé sur le territoire national, motivée par le désaveu des Nations-Unies de reconnaître et d’accepter leur responsabilité, de fait avérée par les hommes de science. Plusieurs organisations haïtiennes se révoltaient en prenant les rues de Port-au-Prince pour manifester leur mécontentement. Devant une telle humiliation, il ne restait qu’à la diaspora haïtienne d’emboiter le pas pour accompagner la population et les victimes dans cette longue et grande bataille de la dignité du peuple haïtien. Il faut souligner, que ce n’est pas la première fois que les haïtiens d’outre-mer accompagnent les luttes revendicatives sur le point sanitaire. On se rappelle au début de l’apparition du SIDA, dans les années 80, Haiti a été victime de la théorie des 4H. Les scientifiques américains dans le but d’élucider l’origine de la pandémie du VIH/SIDA ont développé cette thèse indexant les homosexuels, les hémophiles, héroïnomanes et haïtiens. Dans son livre ‘’Sida en Haiti, la victime accusée’’ le Dr Paul Farmer, affirmait que cette « affiliation n’avait aucune base scientifique ». Il a fallu la grande mobilisation des haïtiens de la diaspora dans une grande marche qui a secoué le pont de Brooklyn le 20 Avril 1990 sous le leadership de Wilson Désir, pour dénoncer cette stigmatisation qui a fait beaucoup de mal à l’image et à l’industrie touristique du pays. Ces allégations racistes et discriminatoires ont contribué à sombrer de plus l’économie haïtienne qui était déjà chancelante.
Plusieurs compatriotes de la diaspora haïtienne,(Etats-Unis et Canada), allaient se regrouper en mettant sur pied la première organisation de lutte, le « Collectif de la diaspora en soutien avec les victimes ». Des haïtiens de toute idéologie confondue allaient organiser la première manifestation devant le siège des Nations-Unies le 26 septembre 2012, à Manhattan (New York), pendant le déroulement de l’assemblée générale en vue de faire passer les revendications des victimes de l’épidémie cholérique. À cette occasion, j’ai été désigné l’orateur de la marche et j’ai demandé au premier ministre de l’époque, Mr Laurent Lamothe, de dénoncer sur la tribune l’irresponsabilité de l’Onu dans le dossier de l’épidémie. Cette démarche a été soldée par l’admission et la reconnaissance publique du chef du gouvernement haïtien pour la première fois de la « culpabilité morale » de l’organisation mondiale des droits de l’homme dans l’introduction et la propagation du vibrion cholérique en Haiti.




En 2013, de concert avec d’autres compatriotes de Boston, nous avons formé une autre organisation ‘Kolera Jistis projet’ qui a vite pris une dimension internationale dont j’ai eu l’honneur de présider à cette date. Dans un temps record, j’ai été invité à prononcer des dizaines de conférences dans les meilleures institutions académiques aux États-Unis, telles que Harvard University, Brown University, Yale University, Fordham University, New York University et tant d’autres Alma Mater pour parler de l’évolution de la septième pandémie en Haiti. Les journaux et les chaines de télévision américains se sont intéressés à la lutte en donnant régulièrement des interviews aux membres de l’organisation. J’ai participé dans un documentaire sur la chaine arabe Al Jazeera, qui a montré la misère des personnes infectées par la maladie.
De concert avec les avocats de l’institut de justice et démocratie (IJDH), j’ai participé au nom de l’ organisation et comme médecin engagé dans un panel constitué de Mr Brian Concannon et de Mr Ira Kurzban, pour annoncer au monde entier, que nous allons engager une procédure judiciaire contre l’Onu si elle ne prend pas position pour dédommager les victimes. Cette conférence donnée le 9 août 2013 était relayée par la presse internationale. Ce qui a valu une réplique du porte-parole de l’entité, désormais sous pression de l’opinion publique américaine et internationale.
Le 18 novembre 2013, j’ai été demandé de participer dans un panel d’experts, accompagné du professeur Muneer Ahmad de Yale University, le chef du groupe scientifique qui a rédigé le rapport sur la responsabilité de l’Onu et le journaliste Jonathan Katz, le premier à dévoiler la nouvelle de la propagation du choléra par le contingent népalais dans un article publié dans le journal, New York Times. Au cours de cette rencontre historique, j’ai demandé aux honorables représentants américains que la seule façon d’aider le peuple haïtien et les victimes, c’était de faire pression sur le gouvernement américain afin de forcer cette organisation financée en majeure partie par leur pays d’indemniser les pauvres victimes. Ce fléau a brisé les familles haïtiennes en augmentant la quantité des familles monoparentales et d’enfants orphelins en Haïti.
Du 19 au 21 Mars 2014, le kolera Jistis Project a réalisé l’un des plus grands événements que la diaspora haïtienne ait jamais connu, le premier « Forum de la diaspora contre le choléra et la Minustah ». Une activité réalisée dans la ville de Boston, à laquelle ont participé trois honorables sénateurs: Dr Wesler Polycarpe, président de la commission de santé, Moise Jean Charles et Jean Baptiste Bien-Aimé. Une délégation de trois députés dirigée par le Dr Sinal Bertrand qui présidait la commission de santé dans cette dite chambre, avait fait aussi le déplacement pour dénoncer le laxisme du gouvernement haïtien. L’émission « Moment vérité » avec les journalistes Péguy Jean et Tamara Orion étaient aussi de la partie pour le grand débat. Des centaines de compatriotes venus de partout ont grandement contribué à la réussite de cette grande première. Plusieurs représentants des institutions des droits de l’homme basées aux États-Unis et Haiti, comme le bureau des avocats de Maitre Mario Joseph et l’institut de Justice et de démocratie à sa tête, Mr Concannon, ont pris part en vue de supporter cette cause qui fait affront aux droits fondamentaux des haïtiens.
Pendant la visite de l’ancien président Martelly à la maison blanche, il en a profité pour donner une conférence le 5 février 2014 à Howard University, Washington, aux étudiants et la communauté haïtienne. Après son exposé, je lui ai confronté sur les raisons pour lesquelles, il n’a jamais opté de dénoncer la culpabilité de l’Onu. Sous les applaudissements de l’assistance, j’ai accusé le chef de l’état ainsi que son prédécesseur Rene Préval de comploter par leur silence contre ceux qui avaient voté pour eux et qui sont entrain de mourrir à cause du refus de l’ONU d’agir en faveur des victimes. Une question qui avait déplu au président, à laquelle il répondait avec beaucoup de difficultés, qu’il ne voulait pas de conflit avec cette organisation qui assurait sa sécurité en Haiti.
 
À rappeler q’un ancien chancelier de la république, Mr Pierre Richard Casimir, avait déclaré le 19 octobre 2012 devant une commission parlementaire, qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir la responsabilité de l’ONU dans l’introduction de la maladie en Haiti. C’était le premier faux pas du gouvernement de l’époque en écartant toute possibilité de traduire cette institution en justice aux fins de dédommager le pays et les victimes. Selon les chiffres officiels du ministère de la santé, cette épidémie a déjà causé plus de 10.000 morts et plus de 800.000 personnes contaminées à nos jours.
Tant sur le point politique que de la santé, les haïtiens de la diaspora n’ont jamais manqué de supporter leurs frères vivant en Haiti dans les moments les plus difficiles, malgré la distance. Sous la neige comme les beaux jours, les haïtiens d’outre-terre soutiennent toujours les revendications sociales du pays par des marches, des lettres, des conférences aux différentes institutions transnationales en vue de changer leur comportement vis-a-vis d’Haiti. A part des deux milliards de dollars, une somme plus volumineuse que le budget national, les exilés volontaires d’Haiti, indépendamment de la négation de leurs droits politiques, contribuent dans tous les domaines à leur pays. Faillir à cette mission serait un crime de lèse-majesté et de haute trahison contre la patrie mère. Quelque soit le statut migratoire adopté en territoire étrangère, la diaspora haïtienne reste attachée viscéralement à son pays. La constitution de 1805 sous la férule du général en chef de l’armée indigène, stipulait que l’haïtien reste haïtien d’où qu’il puisse se trouver.
N’était-ce la mobilisation et la participation active de cette diaspora haïtienne dans la grande bataille de justice en faveur des victimes de l’épidémie de choléra, cette petite avancée annoncée par le secrétaire général reconnaissant le rôle de l’Onu comme le seul responsable de l’introduction du choléra en Haiti, ne serait jamais parvenue à ce point. Quand la diaspora s’unit aux batailles de revendications et de justice sociale de son pays, tant sur le côté politique, social et sanitaire, je peux confirmer par mes expériences personnelles, que de grands résultats peuvent en récolter. Soyons tous, haïtiens du dehors comme de l’intérieur, des fervents serviteurs et défenseurs de la patrie commune. Soyons des voix pour les sans-voix, en ce mois qui commémore la grande bataille de Vertières gagnée par nos ancêtres.
 
Dr Jean Ford G. Figaro, M.D, MSC-HEM.
Médecin engagé et défenseur de la santé publique en Haiti.
Directeur exécutif, Choléra Jistis Project.
Boston, Massachusetts

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