Culture : Pour une nouvelle axiologie haïtienne! par Camille Loty Malebranche

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« …le monstre est en nous, les monstres, c’est nous »
 
Dimanche 6 novembre 2016 (rezonodwes).- L’axiologie est l’échelle des valeurs par lesquelles un homme ou une société se détermine et se juge !
Si la valeur est ce qui mesure l’importance qualitative et quantitative de l’être, quelle que soit sa nature, elle est donc l’indice de la substance des êtres et des choses. À l’échelle humaine et sociale, elle révèle la vérité intrinsèque et extrinsèque, et l’intensité des principes qui président aux idées et comportements.




En Haïti, pays d’exclusion, société d’ostracisme, système marginalisant, l’exclusion la plus féroce ne frappe pas que le paysan réduit au stade d’individu en dehors au pays en dehors, et il n’est pas le pire des exclus !
 
La condition des abandonnés des bidonvilles est aussi un défi au statut de personne humaine, une déréliction programmée contre l’avènement de l’humain et du citoyen dans la société. C’est pourquoi, j’ai dit ailleurs qu’il s’agit d’une situation d’horreur et d’abandon de l’être humain pris fatalement dans la contingence damnée faite malédiction sociale pour la plupart des natifs d’Haïti.
 
Malédiction et fatalisme de la naissance dans un pays qui hait ses enfants !




Voilà pourquoi, je n’ai de cesse de redire que l’axiologie haïtienne est à refaire, c’est à dire toute notre échelle de valeurs, toute notre approche de l’homme et de la société, tout notre projet avorté de Nation, tout notre système étatique (État Moloch) et ses structures, toute notre mentalité ostraciste qui exclut toujours l’autre, tout notre ego gigantesque qui monopolise, accapare tout par supériorité vis à vis de l’autre qui ne mérite rien, car notre weltanschauung (vision du monde) est pourrie jusqu’au médullaire. Tout notre néotribalisme post indépendantiste où des gonflés de pouvoir, des intumescents de toutes sortes de préjugés regardent de haut comme une espèce inférieure le reste de la population, toute notre mégalomanie de consommateur de luxe, tout notre pseudoracisme anachronique singeant le blanc raciste des colonialismes obsolètes…
 
Il faut redonner à l’Haïtien l’estime de soi-même. Mais en attendant, c’est la conscience des élites qui doit évoluer hors des discriminations enracinées dans l’histoire de clivages extrêmes (qui est la nôtre) vers la libération, afin de libérer la collectivité. Meiji, Castro, Bismarck, Lincoln, Kemal ont refondé, avec un pan de leur élite nationale, la vison de leur peuple en réinventant l’identité étatico-sociale.
 
Bref, tout notre comportement est à refaire, car le monstre est en nous, les monstres, c’est nous ! La laideur frappe tous, originaires d’Haïti, même naturalisés à l’étranger !
 
Et, faut-il le souligner, il y a aussi des culpabilités à tous les niveaux et de toutes les « classes » sociales, mais les privilégiés cossus, corrupteurs et les rapines traditionnelles qui ont tout accaparé sans éduquer le peuple, sans envoyer des signes d’humanité, sans manifester des valeurs humaines et citoyennes, sont de loin les premiers responsables de la marche au supplice d’aujourd’hui.
 
Dans l’intervalle, nous devons cesser ce que j’appelle crise spéculaire, ce retour contre le ressemblant de l’Haïtien traumatisé de sa propre image au miroir de son histoire de déchéance collective permanente après 1804 ! Sorte de suicide projeté qui met à mort le congénère, le ressemblant tout en idolâtrant le corrupteur étranger, deus ex machina de la descente en enfer d’Haïti.
 
Nous devons arriver à la désaliénation des élites elles-mêmes, enfin libérées de la haine ou de la honte du soi ethnique et identitaire entretenue par les ennemis racistes, néocolonialistes et impérialistes du pays. Il faut arrêter l’«entraliénation», c’est-à-dire ce jeu sordide d’identification de l’aliéné victime – quoique parfois enrichi et privilégié pour ne pas se rendre compte de sa misère existentielle – au visage et au projet de son victimaire.
 
Le jeu malsain de l’aliénation dévoile, certes, la pathologie du corrupteur « réificateur », si impur dans sa substance qui corrompt et aliène autrui, mais aussi la part de culpabilité de la victime, l’aliéné complice de ce mouvement ignoble et déshumanisant de réification qu’est l’aliénation.
 
Dans la nouvelle axiologie, le primat de l’homme sur le profit et les préjugés, les armes et armures édificatrices – telles l’éducation, le dialogue et le partage dans un espace public dûment aménagé renversant l’individualisme antisocial, antinational, antiétatique et antistructurel pour le renforcement du vouloir vivre collectif – devront être les valeurs-boussole de la société.
 
C’est par elles, inscrites dans de nouvelles structures institutionnelles culturelles et matérielles, que peut naître la nation haïtienne effective et qu’émergera le citoyen haïtien véritable. C’est par elles que surgira la nouvelle humanité et société haïtienne enfin libre et désaliénée.
 
Et pour que cette axiologie soit, il faut que finalement le collectif prime l’individuel par la force des lois et des structures, et grâce à la nouvelle éducation que j’appelle humano-citoyenne, c’est-à-dire d’humanisation de la société et de l’individu haïtiens pour exorciser nos déficits d’humanité, nos démons de barbarie qui ressurgissent à chaque crise aiguë affectant le pays de crises en impasses comme dans une aporie du supplice.




La nouvelle axiologie a pour but premier d’instaurer une culture d’élite non élitiste, parce qu’intégrant tous, où enfin l’individu haïtien aura un sentiment de propriété-appartenance par rapport à son pays, où il ne sera plus ni un étranger, ni qu’un individu, mais un vrai citoyen assumant en toute liberté ses droits et ses devoirs au sein de la nation que l’axiologie nouvelle aura ainsi contribué à créer dans son effectivité. Alors, la nation ainsi sortie des limbes de l’univers fantomatique traditionnel, où l’assigne l’État moloch uniquement répressif et phagocytant, sera nouvelle et marchera vers le progrès humain et social global, intégré et généralisé.
 
Allons-nous continuer avec nos manières d’autruche sociale, par peur de nous regarder et de ne pas voir si hideux après nos deux siècles d’une indépendance qui, pourtant, fut un apport capital à l’abolition de l’esclavagisme dans le monde, où nous étions les phares d’un occident ignoblement ténébreux et inhumain malgré ses discours humanistes d’alors ? Allons-nous continuer à haïr quiconque dit que nous devons changer notre propre vision et comportement social, pour maintenir les mêmes voies suicidaires d’autodestruction collective par orgueil et refus de toute évolution mentale et comportementale, de tout effort positif pour une renaissance nationale? Ou, au contraire, sommes-nous prêts, en humains fiers, vrais et assumés, à vaincre par le renouvellement humain et citoyen de nous-mêmes, dignes du rêve collectif fondateur que fut pour nous la liberté en 1804 ?
 
Que tous les Haïtiens dignes de leur humanité et désirant une citoyenneté effective dans un pays effectif – loin de la gouvernance fantôme qui « dirige » aujourd’hui comme par démission – commencent une méditation féconde et une mise en commun des énergies libératrices pour nous donner les moyens de fonder une nouvelle humanité haïtienne, une nouvelle société haïtienne, un nouveau pays haïtien !

2 COMMENTS

  1. La NATURALISATION n’enleve pas la Marque Fabrique.Les naturalise’s se Conforment avec le systeme d’organisation sociale du pays d’adoption. Ils sont devenus de bons citoyens haitiano-americains… canado-haitiens, respectueux des Lois. Mais, une fois, ils sont de retour en Haiti, ils prennent leurs Kazak de PIL aa, s’enrichir, et retourner dans leurs pays d’accueil pour vivre au frais de la Madone. Byen san swe.

    Dans le cadre de l’Etat Avadra ak Vlen, je suis un anti-diaspo-rat (credit a’ mon Camarade Vladimir Augustin) dans l’ame.

    Un Compatriote de la diaspora qui a une cerrtaine dignite’ ne peut en aucun cas Accepter un poste en GRENN SENK sous pretexte de servir son pays. Sou kwe’m manti al mande l’ancien PM d’appel d’offre Gerard Latortue. Il est vrai, il avait arrondi les salaires des grands commis tenten. Mais, je ne sais pas s’il avait extorque’ les derniers publics. En maintes fois, a’ entendre M. Latortue au micro de son ami Lesly Jacques, il ne s’en remet de ses mesaventures en Haiti. Et l’on comprend pourquoi il s’etait retire’ sur la pointe des pieds sans assister a’ la passation de pouvoir entre les bossus, dans le cadre du systeme d’exclusion et apartheid.

  2. Dommage qu’il y ait si peu d’intérêt et de commentaires pour un article aussi fondateur! Oui, le premier problème de notre pays est un problème de fausses valeurs, donc problème de vision et d’hommes, nous voyons tout de travers et agissons de manière autodestructrice.

    Mèsi anpil pou atik la. Kenbe fèm Mèt la, toujou vin di nou laverite.

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