Covid-19 : la faible rentabilité de l’école haïtienne. Quel curriculum proposer ?

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Ce texte est élaboré, en ce moment de crise sanitaire, pour sensibiliser les décideurs politiques  sur l’importance d’une véritable réforme  au niveau du curriculum de l’école haïtienne en vue d’arriver à une société produisant des citoyens et des citoyennes qui sont  solution au  problème de la société  mais non l’inverse. Car, le pays  dans toute sa composante,  est fatigué  des crises récurrentes nous empêchant de connaitre un niveau de modernité et de progrès social.

par Yves ROBLIN

Jeudi 25 juin 2020 ((rezonodwes.com))– Et j’en profite pour condamner avec véhémence l’assassinat crapuleux le 15 juin dernier à Pétion-ville de notre collègue Farah-Martine LHERISSON-LAMOTHE et sa famille, ex-Directrice de la Formation au Ministère de l’Education et Responsable de l’Ecole privée St- Leonard. On peut  se demander par rapport à la sécurité des vies et des biens de la population : quel est le rôle du pouvoir central, quel est le rôle  du pouvoir local voire le rôle du commissariat de police ? Par ricochet, la ville n’est pas sécurisée et il n’y a rien d’altérité. .

 Faut-il bien se souvenir  que, dans toutes sociétés humaines, il y a toujours des déviants, des paranoïaques et des criminels  qui sont hantés par la nécrologie à donner la mort. Mais,  il faut qu’il y ait  des institutions fortes comme la Police, la Justice pour les traquer et les mettre hors d’état  de nuire aux fins de  redressement et de rééducation. Puisque la société a le droit de punir un de ses  membres incriminés après  avoir commis un forfait ou une infraction, figurée dans l’échelle des peines du Code d’Instructions Criminelles.

Revenons-nous  à  notre thématique  de rentabilité de l’école  haïtienne et la covid-19 !

A part les gestes barrières  du MSPP dont le confinement, le port des masques et le lavement des mains, nous conjuguons  cinq (5) verbes au présent de l’indicatif aux fins de renforcement de notre système immunitaire comme prévention,  savoir : prier, dormir, faire du sport, manger et boire de l’eau. Tout en récusant l’addiction au sexe, aux cigarettes et à  l’alcool. Nonobstant une nouvelle vague et en dépit d’une montée vertigineuse des cas d’infection, nous devons  connaitre le pic de cette  maladie  vers le début  du mois de juillet selon les épidémiologistes haïtiens.

 En effet, les autres pays ayant été frappés  par la covid-19 au  cours d’un hiver rigoureux ne se sont sortis de ces soubresauts qu’après  quatre (4) mois de détresse. Que ce soient  la Chine, la France, l’Espagne et l’Italie, meurtries,  si l’on tient compte des statistiques. Il faut dire en passant que  ce petit virus a mis à genoux,  à  l’instar de la grande dépression  des années 30, toute l’économie  mondiale.

Face à  l’incertitude croissante prévalant également, dans le pays et aggravée  par cette  pathologie infectieuse  de portée planétaire,  notre seule planche de salut, c’est de mobiliser davantage de ressources vers un enseignement efficace dans l’optique de l’Objectif de Développement Durable (ODD4) du Congrès de New York des Nations-Unies de 2015. Car, l’investissement dans ce domaine  produit toujours des bénéfices. Mais des bénéfices non  marchands en termes de qualité de vie  de la population et  de conscience citoyenne. Pour ainsi dire, de l’augmentation de la croissance économique,  de la réduction de la pauvreté et  de la diminution   des tensions sociales sévissant dans le  pays voire se protéger contre  toute forme de pandémie.

On s’est dit que,  si  nombre de  diplômés  travaillent  quelle que soit la filière  de  8h à  4h avec un salaire princier  tout en respectant la théorie des trois (3) huit, les manifestations ainsi que les casses s’estompent. Et ceux qui ne travaillent pas, reçoivent  de l’Etat une allocation de type  Welfare des USA  ou de bolsa familia  du Brésil pour augmenter leur pouvoir d’achat en attendant qu’ils trouvent un emploi.

De surcroit, faut-il bien  favoriser la microfinance pour des gens  qui veulent se mettre en collégial aux fins de  montage  des activités socio-économiques, génératrices d’emploi et de croissance. Mais les pouvoirs publics doivent  surseoir sur les dépenses futiles comme l’achat de flotte de véhicules et  réduire  les montants faramineux de type contrat juteux des  consultants travaillant dans le pays.

Tout en rééquilibrant  le cadre macro-économique voire assainir les finances publiques pour satisfaire les conditionnalités des institutions de Brettons  Woods comme le FMI et  la Banque Mondiale aux fins d’accès aux prêts et dons. En  dépit du dysfonctionnement du Parlement devant lequel les accords de prêt doivent passer selon l’article 276.2 de la Constitution de 1987 amendée.

Et avec une bonne dose d’instructions civiques, morales et religieuses ainsi que d’éthique professionnelle, inscrite dans les curricula des cours,  les citoyens et les citoyennes vont avoir un bon comportement dans la vie politique, économique et sociale. Par transitivité, on va arriver à la stabilité politique  en dehors de toutes considérations d’ordre idéologique et d’intérêts  de classe.

 Dans la même veine, des politiques publiques peuvent  être envisagées en vue d’apporter des réponses  à certains problèmes auxquels fait face le  pays  comme  la sous-alimentation, la gratuité  de l’enseignement de base, la construction des logements sociaux,  l’accès  à des soins de santé, le travail décent pour les jeunes diplômés et la réorganisation du transport en commun et sans oublier une allocation aux familles vivant dans  des poches de pauvreté par une discrimination inversée.

Des considérations d’ordre épistémologique

Quand on développe un plan d’éducation avec ses outputs, on peut opter,  après diagnostic, pour trois stratégies.  D’abord, on peut le développer par rapport à  la demande sociale en répondant  aux attentes des familles. Ici, l’éducation est perçue comme un bien de consommation.

Ensuite, par rapport à  la satisfaction  des chefs d’entreprise. En ce sens, l’éducation est considérée comme un bien économique en se référant à  la vieille approche main-d’œuvre des années 60 dont la limite c’est la méthode  d’entreprise conduisant à  l’auto-emploi des sortants de la formation professionnelle.

Et enfin, le plan est développé par rapport à l’analyse cout-bénéfice (ACB) pour ainsi dire dans quel sous- secteur de l’enseignement investir en regard d’un choix judicieux ?  Et l’éducation est  analysée comme un investissement.

 Selon Gilbert TSAFAK dans son ouvrage « Comprendre les sciences de l’éducation,  l’Harmattan, 2001 », l’intérêt porté  à l’étude économique de l’éducation a permis de savoir que l’éducation est un investissement rentable. Donc, un facteur de développement. Toutefois, cette rentabilité dépend de la pertinence de l’éducation, de ses contenus, de ses méthodes et de sa capacité à satisfaire les besoins de l’individu et de la société.

Les économistes s’accordent pour mettre l’accent sur trois (3)  méthodes  relatives au calcul de rendement.

La première utilisée par Schultz et Denison expliquant les sources de croissance à  partir des facteurs traditionnels, travail, capital et terre ainsi que d’autres comme l’éducation  pour l’augmentation de la productivité.

 La deuxième méthode part   de l’hypothèse que l’éducation est un facteur de production ou un moyen d’améliorer la qualité du facteur travail.

Et, la troisième  est celle du taux de rendement. L’étude du rendement de l’investissement dans l’éducation peut se faire au niveau de l’individu, d’une collectivité  et d’un  système éducatif. Elle repose surtout sur la théorie du capital humain. Ce dernier est la somme des biens productifs à  caractère humain. Cette théorie soutient que l’homme, agent économique,  est un facteur de production que l’on peut améliorer en investissant dans son éducation et dans sa santé.

Haïti, théâtre d’une conjoncture morose, aggravée  par un petit virus

Le pays s’enlise  dans un climat de désarroi avec des dénonciations tous azimuts de part et d’autre  et  accentué   par  la maladie infectieuse qu’est la covid-19. C’est la débâcle des décideurs politiques. Tout le monde est perplexe et se demande de quoi, demain sera-t-il fait ? C’est la faiblesse de l’école. Jusqu’à présent, le capital humain dont parlait  Becker,  prix Nobel de l’économie, que produit l’université   haïtienne  n’a pas  pu proposer une alternative au pays aux fins  de modernité et de  croissance économique.

Michel SOUCAR aurait écrit «  30 ans de crise  pour un pays normal ». Comme il avait écrit dans le passé  un ouvrage titré   « 16 ans de lutte  pour un pays normal ».

 Ainsi  se demande-t-on   avec  Jean Price-Mars du mouvement indigéniste des années  20  quelle est la vocation de l’Elite en Haïti ?  Les gouvernements qui se sont succédé, quels ont été leurs programmes ? Et les Présidents pendant les trois dernières décennies, qu’est- ce qu’ils ont fait pour le pays en termes de paix sociale ? Et les pays   dits  amis d’Haït dans le cadre des accords bi et multilatéraux relatifs au financement ? Mais pour quels bénéfices ? Pour quel accompagnement ?

Je ne peux pas dire comme l’écrivain français de tendance  messianique  Zola « J’accuse ». Toutefois, il est temps que la nation demande des comptes avec  l’historien Alain Turnier.  Et a-t-on   le droit de s’interroger davantage sur les causes de nos malheurs avec l’économiste  Edmond Paul ayant  marqué  la seconde moitié du 19eme siècle haïtien, pour parodier Eddy A. JEAN, de regrettée  mémoire, brillant professeur à  l’INAGHEI et aux Encyclopédistes d’Haïti ci-devant l’UNAFH.

Un diagnostic accablant

 Lorsqu’on fait le diagnostic   du secteur éducatif, on  décèle   toutes les pathologies  dont souffre ce secteur  et pour lesquelles des palliatifs sont proposés sous forme de grands axes, consignés dans un plan d’éducation, tels que la qualité de l’enseignement de base, l’accroissement de l’accès des enfants à l’école, l’amélioration de l’adéquation formation-emploi et le renforcement des capacités institutionnelles avec un bon système d’information pour la gestion de l’éducation.

Parfois, on a l’impression que  l’école forme et déverse des diplômés  qui soient sulfureux, égoïstes, acculturés,  ambitieux et  brasseurs d’affaire. Et l’ex-ministre de l’éducation, Dr Charles Tardieu étant très scandaleux et provocateur  parle de corrompus. Par contre, loin de l’idée de manichéisme, je rencontre des gens sur mon parcours qui puissent être considérés comme des bénéfices pour la société.  Que ce soit dans la filière de l’éducation, que ce soit dans la filière de la justice et que ce soit  dans le secteur religieux.

Pierre Bourdieu et John Dewey soutiennent que les problèmes politiques, c’est le corollaire de  l’école. Il faut bien qu’on le comprenne qu’en Haïti, nous n’avons pas une école haïtienne à proprement parler (Roland Mathieu de l’UniQ, décédé  le 19 juin dernier)  voire une école républicaine qui porte une pensée.  Mais plutôt des écoles pour ainsi dire congréganiste, protestante, laïque, à  majorité privée (80%) dont le point d’orgue, c’est l’extraversion. En référence à  une économie extravertie qui produit pour le marché extérieur.

 Entretemps, se dessine dans le pays  un phénomène auquel assistons-nous impuissants  celui de « la fuite des cerveaux » où  des diplômés, toutes filières confondues,  sont en instance de  départ pour des cieux qui soient plus cléments. Malheureusement,  le pays n’a pas les moyens  pour  mener une politique de rétention par rapport à l’émigration des sortants du système éducatif.. Et comme dit l’autre, ils n’ont pas voyagé  à l’esprit de retour mais plutôt  ils sont partis.

 La presse haïtienne rapporte, avant la crise sanitaire de covid-19  que plus de 85% de nos diplômés vivent à l’étranger particulièrement en Amérique  du Nord. C’est un fort cout d’opportunité pour le pays qui a  besoin tant de compétences pour son niveau de modernité et de décollage économique. En clair, pour la reconstruction du pays depuis l’après du  séisme dévastateur  du mardi  12 janvier 2010  de magnitude 7.3 à l’échelle de Richter et  le passage de l’ouragan Matthieu  du mardi 4 octobre 2016 gradué  à l’échelle 4 de Saffyr-Sympson  pour des rafales de 230 kms/h.

Une classe moyenne décapitalisée.

La reproduction de l’école creuse un grand fossé entre les gens vivant dans l’abondance et ceux dans la plus deshumanisante misère. Entre les deux groupes sociaux (bourgeoisie et masse populaire), existant les classes moyennes qui ruinent avec la dévaluation de la monnaie nationale par rapport à la devise américaine au taux  d’échange  d’1 dollar pour 110 gourdes. Se demande-t-on pourquoi cette hausse en pleine pandémie où  les ports et les aéroports sont encore fermés ? A quoi ça sert ?  Est-ce le  retour du vieux mercantilisme  marqué  par la thésaurisation de l’or et le contrôle drastique  de la balance commerciale ? Aussi se questionne-t-on  quelles sont les fonctions de la Banque des banques qu’est la Banque de la République d’Haïti  (BRH) ?

 Donc,  une véritable dualité entrainant un malaise dans la société.  Il y a une lutte incessante de classes sociales  en Haïti  hormis le problème de l’idéologie  de couleur,  dans une conception marxiste de l’histoire.

 La pauvreté dans les grandes villes est un terreau fertile pour le pullulement des cours des  miracles ou des bidonvilles  dont le tableau est  déjà peint par Victor  Hugo, poète  français,  dans le courant parnasse du 19eme siècle européen.

Une crise de modèle

Nous assistons de nos jours  à une crise de valeurs. L’Eglise seule force morale et dernier rempart de la société   se croise les bras face au chaos régnant dans la cité. Et qui pis est, lors des marches de l’automne contre le pouvoir en place, l’Institution religieuse était contrainte à marcher, elle aussi, frappée par un effet de mode. La Présidence  est désacralisée à l’issue des manifestations intempestives et des grèves sauvages. La Justice est instrumentalisée selon l’opposition et une frange des organisations des droits humains. Le Parlement est vilipendé à  la suite de nombreux scandales, les uns plus avilissants que les autres.  L’Administration publique est en ébullition pour une prétendue  revendication salariale.

 Et à  l’entrée sud de Port-au-Prince, c’est  le théâtre  d’affrontements  entre bandes rivales. Dans les zones de non droit ou la vallée de l’ombre de la mort que décrit le psalmiste, les bandits  règnent en maitre et défient les forces de l’ordre. Et la mort est banalisée. Un cadavre se trouvant sur une  pile d’immondices, le marchand de pâtée  continue à frire ses pâtes de farine  et le marchand de fresco a  « grager »  son bloc de  glace.. C’est l’effritement de l’autorité en raison d’une crise de légitimation et  de légitimité. Ajouter à  cela,  un véritable schisme existant  entre les trois pouvoirs  de l’Etat allant à l’encontre des théories  de Montesquieu et de Rousseau.  Alors que le virus virulent a mis fin, paradoxalement, à certains schismes ou conflits dans le monde comme au Moyen-Orient. En Haïti, les gangs armés  ne chôment ni ne déposent   non plus  leurs armes.

Une nouvelle école   

Eu égard à cet état de fait, l’école que nous rêvons tous pour Haïti au début  du XXIe siècle est surtout une école où l’on enseigne, à part quelques matières traditionnelles, l’informatique, les langues étrangères, la musique, le sport, la technique, l’éducation à la citoyenneté comme le savoir-vivre ensemble, la résolution de conflits et la gestion en termes de cours d’entrepreneuriat/PME. Je veux parler d’une école  qui s’appuie sur la pédagogie moderne où  l’apprenant construit son savoir à  l’ère de l’économie  du savoir, marque de fabrique de la révolution cybernétique.

L’école haïtienne  doit s’ouvrir sur sa communauté et articuler son fonctionnement et son orientation avec les besoins qui y prévalent. Notre vœu se justifie en raison du fait que, jusqu’à preuve du contraire, l’école haïtienne forme les apprenants pour être salariés, mais non pour être patrons alors qu’elle se constitue comme l’espace par excellence où s’expriment et se découvrent les règles du jeu social notamment en matière de mobilité intergénérationnelle. C’est entre autres ce constat qui fournit des explications relatives au taux de chômage dépassant 60% dans la population active, chômage alimentant une crise aigüe   dont la solution, semble-t-il, n’est pas pour demain.

 La plupart de ceux qui travaillent, observons-nous, évoluent dans une situation de sous-emploi et même de chômage déguisé pour répéter les géographes. Ils bossent, mais ils ne peuvent pas subvenir à leur besoin en raison de la revalorisation du coût de la vie et surtout du marasme économique dans lequel se débat encore le pays..

 Epiloguant sur cette situation, un collègue nous rapporte qu’une banque de la place avait organisé un concours de recrutement, la majorité des postulants qui s’étaient présentés et qui étaient, d’ailleurs, dans la tranche d’âge de 25 à 35 ans n’ont jamais fait l’expérience de travail. On s’est dit quelle aberration !

Une inadéquation formation-emploi

Toujours est- il  que, quand dans une société nombre de diplômés végètent dans la précarité et le chômage après avoir investi leur temps et leur avoir dans leur scolarisation et/ou dans le processus qui mène à leur professionnalisation, il est dans l’ordre normal des choses que des problèmes de taille qui ne font que s’exacerber se posent à l’attention des plus hauts responsables.

 L’école  et l’entreprise  en Haïti sont toujours aux antipodes l’une  l’autre, et pourtant ce sont des éléments indissociables qui doivent être pensés ensemble en regard bien sûr de la finalité de l’éducation d’autant que nous vivons dans un monde qui met beaucoup d’accent sur la compétitivité et sur la Trans nationalisation de la production ainsi que sur  des études  de traçabilité pour mesurer le degré de satisfaction des chefs d’entreprise qui embauchent des diplômés en revenant des centres professionnels.  Nous devons donc nous interroger sans cesse sur l’efficacité   du secteur et, pourquoi pas, sur la politique gouvernementale  en matière de création d’emploi.

 Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que nous reléguions au second plan les aspects humains de l’éducation avec ses dimensions morale, affective et culturelle. Bien au contraire ! La corruption, qui donne au pays, lors du scandale politico-financier de Petro caribe, une mauvaise presse au niveau international et qui décrédibilise en même temps les institutions haïtiennes dans leur ensemble auprès des nationaux en mettant à jour le fait que leur rentabilité sociale laisse à désirer, oblige à verser dans nos préoccupations la philosophie selon  laquelle l’école inscrit ses apprenants à travers un curriculum caché qui ne serait que le résultat concret de tout ce que l’école emporterait de son environnement qu’elle n’arriverait  pas à changer.

Inculcation d’une morale moralisante

Nous avons besoin de transmettre aux élèves des systèmes de valeur axés sur l’économique, certes, mais surtout sur une morale moralisante, pour parodier le professeur haïtien Wilson JABOIN de l’Université  QUISQUEYA , de telle sorte que lorsqu’ils accèdent  plus tard à des postes de responsabilité, ils ne transforment pas l’administration en caverne d’Ali Baba où les gens s’impliquent à longueur de journée dans des opérations marginales, constituant un manque à gagner pour le fisc.  Dans cette optique, nous pensons que l’enseignement- apprentissage doit être redéfini et les programmes revisités  en inculquant aussi aux élèves des compétences comme apprendre à apprendre, apprendre à faire, apprendre à entreprendre et surtout apprendre à vivre ensemble, pour répéter Jacques DELORS de l’UNESCO.

 Dans la perspective d’une éducation à la citoyenneté, nous devons développer chez l’élève haïtien comme compétence, l’intelligence émotionnelle dans l’optique de Daniel  Goldman de manière à ce qu’il soit en mesure de gérer non seulement ses propres émotions, mais également celles des autres en vue d’avoir une culture de tolérance.

 Aussi  faut- il  développer  dans une conception durkheimienne  sinon encourager chez les apprenants le moi social et le moi moral afin qu’ils aient des projets porteurs en commun pour le développement de la communauté  et la création de richesses. Qu’ils ne deviennent pas en raison de l’orientation proposée par l’école un problème pour la société, mais plutôt solution au problème  de la société.

Vers la pédagogie du forgeron

 L’école à laquelle nous aspirons devrait puiser profondément dans l’approche de la pédagogie du forgeron. C’est le fameux « learning by doing’ » de John  Dewey, courant pédagogique véhiculé au siècle dernier. Et d’autres parlent de l’approche par compétences, empruntée à l’enseignement technique et professionnel au profit de l’éducation de base et du secondaire. Elle a été expérimentée dans un village en Tunisie où des enfants du cycle primaire ont pu faire fructifier leur plantation de légumes.

Ce qui nous fait penser à la réforme du Ministre haïtien de l’Education Maurice Dartigue des années 40 où il était prévu, dans le cadre de l’enseignement rural, une parcelle de terre attachée à chaque établissement scolaire aux fins d’expérimentation. Bien que le Ministre Joseph C. Bernard plus tard ait jumelé l’enseignement rural et l’enseignement urbain en un seul type d’enseignement appelé « enseignement fondamental ». Sa réforme a voulu donner aux élèves un enseignement de type holistique où la théorie et la pratique  sont concomitantes. Et que l’apprenant  sorte  avec un métier lui permettant de gagner sa vie et de contribuer au développement de sa communauté.

Nous y voyons un certain pragmatisme qui contraste avec l’orientation théorique ou classique qui caractérise le système éducatif actuel dans un contexte assez particulier où l’enseignement est d’ordre général de telle sorte que les filières ne soient pas diversifiées. On accuse un retard qui nous met hors de compétition même au niveau régional.

Remarquons cependant que nombre de pays dans le monde comme le Canada ont déjà repensé l’articulation de leurs programmes scolaires en ce sens et, en même temps, ont beaucoup investi dans les activités scolaires et parascolaires, et dans tout ce qui ramène à la vie de l’école et qui est en mesure de permettre aux élèves de développer certaines habiletés pratiques à travers des activités qui les responsabilisent et qui instaurent chez eux une culture de résultat, de responsabilité et d’imputabilité. Le savoir-faire est essentiel pour arriver au développement endogène  et surtout pour sortir l’école de sa faillite.

          Une école bovaryste marquée par une culture de miroir

 L’école haïtienne a toujours été une école élitiste de type bovaryste marquée par une culture de miroir, selon le professeur Lyonel Trouillot. C’est comme dans le roman de Flaubert,  l’héroïne idéalisée, Mme  Bovary,  qui incarnait le superficiel.

 Pendant longtemps, l’éducation de qualité a toujours été l’apanage d’une minorité. Perçue comme un outil de reproduction sociale dans la conception de Bourdieu, l’école en Haïti est une école de compétition au lieu d’une école de coopération dans la logique d’Ovide Decroly  et de Maria Montessori, tenants de la philosophie de l’éducation  nouvelle au début du siècle  dernier. 

Une école prônée  où   les enfants dès leur plus jeune âge commencent  à respecter la diversité culturelle et  résoudre leur petit différend ainsi  qu’à avoir de petits projets en commun sous forme simulée pour le développement de leur communauté en termes d’apprentissage de type « projet main à la pâte »  en vue d’entrer dans la vie active.

Une école de psittacisme reposée sur des examens

Aussi repose-t-elle, l’école haïtienne, sur des connaissances encyclopédiques, des connaissances apprises sous forme de psittacisme avec une pédagogie frontale et interrogative de type behavioriste.  L’élève réussit tant bien que mal pour l’école mais non pour la vie. Il fait l’objet d’une formation qui laisse à désirer et qui est souvent en inadéquation avec les besoins réels du pays voire du secteur moderne de production et de services.

De toute évidence, notre école doit être repensée pour aborder les vrais problèmes de la société comme la gouvernance, la tolérance, le respect de la res publica, le paiement de l’impôt et la question du temps électoral  ainsi que l’équité sociale. Toutes choses restant égales par ailleurs, si les curricula ne sont pas révisés  dans leurs programmes ainsi que dans leurs orientations générales, nous n’arriverons jamais à cette nouvelle société dont nous rêvons tous.

En effet, les compatriotes haïtiens, toutes couches sociales confondues, sont fatigués des crises cycliques   qui émaillent l’histoire de notre vie de peuple. Une histoire dont la formation sociale  est mal partie avec la  conjuration conduisant à la disparition du Fondateur de la Patrie en la personne du General  Jean Jacques Dessalines.

Par ailleurs, depuis les évènements fâcheux de 1806, on  peut dire sans ambages  que  c’est la  théorie des dominos avec des coups d’état en cascade, des guerres civiles larvées, des occupations étrangères et  des dictatures féroces  et comme incidences : l’accentuation de la pauvreté des familles dans les grandes villes,  le chômage des diplômés  et le non-achèvement  des plans-programmes-projets.

Et cette problématique  devient de jour en jour un sujet d’intérêt  pour  les cadres du pays ayant la vocation de services publics et qui ne voulaient pas rester à  l’étranger en se posant cette  question que je qualifie  de transversale  : peut-on planifier un secteur  peu  importe le domaine d’intervention  dans une situation de chaos ? Dans cet intermède de covid-19 sur la scène politique en Haïti, que faire  pour sortir le pays de ce bourbier  dans lequel  il se débat  depuis des lustres ?

Une peur bleue de l’insécurité comme fait social

 Avant l’apparition de ce virus, il prévalait  dans le pays une peur bleue de l’insécurité  et du kidnapping où  des jeunes gens vulnérables sans espoir s’adonnant à la drogue comme élément addictif  se font enrégimentés dans des gangs  armés pour semer le deuil et la désolation dans les familles. Ce qui a contraint nombre d’entre elles à envoyer leurs progénitures à l’étranger  pour ainsi dire à  destination des endroits plus sécures  où l’impunité est bannie.

 En amont, il faut dynamiser l’offre scolaire, la rendre plus qualitative et s’assurer de la circulation au sein de l’institution éducative des  valeurs qui ne contredisent pas sa mission.

L’éducation : stratégie de modelage de la pensée

 Il va sans dire que la pertinence  des programmes  de l’école haïtienne ne va pas résoudre toutes les chicanes de la société, mais tout au moins les atténuer. Les pouvoirs publics doivent consacrer une part importante de ressource  vers l’éducation en vue d’accroître l’efficacité du secteur. Faut-il bien se rappeler que  l’investissement dans l’éducation comme filière porteuse d’avenir et pérenne en regard de  cette société cognitive marquée par le numérique  et le multimédia, comporte toujours  de la rentabilité  en termes de compétences transversales et comportementales et de satisfaction psychologique  dans l’optique de Maureen Woodhal dans son ouvrage titré   « l’analyse coût- bénéfice dans la planification de l’éducation »

. L’éducation permet, tout aussi bien, de modeler la pensée de l’homme pour qu’il ait, effectivement, le sens de la cohabitation et du partage. Et, dans notre cas, elle peut extirper dans l’anthropologie haïtienne toute forme de méfiance et de mysticisme nous handicapant à  nous mettre d’accord sur un minimum de projets pour conduire le pays vers un niveau de développement durable, prôné par le système des   Nations-Unies dans ses différentes assises. L’école haïtienne en tant qu’entité a une part de responsabilité dans la déchéance de cette société conduisant à une crise d’identité et de repère. Or, comme le veut ce vieil adage, « tant vaut l’école, tant vaut la nation ». Et de surcroit, « Ouvrir une école dans une école  dans une section communale, c’est  de fermer une prison ».

 Des programmes frappés d’obsolescence

Les programmes obsolètes de plus de vingt (20)  ans  ne sont jamais innovés et comme corollaire faible rendement  externe. En fait, l’Etat, comme  symbole de puissance publique et ayant un pouvoir régalien, doit développer des mécanismes aux fins d’un meilleur rééquilibrage entre l’offre de formation et la demande du marché de l’emploi  tout en encourageant  le micro-crédit  et le partenariat avec le secteur privé  d’affaires. Dans cette même veine, les pouvoirs publics doivent gérer la balance commerciale ainsi que  celle de paiement pour éviter la fuite des devises sans nier le rapport import-export. Cela nous amène à des politiques de protectionnisme moins drastiques.

Ce nouveau paradigme qui sous-tend la réorganisation du curriculum exigerait aux décideurs  du pays comme l’Exécutif et le Parlement ainsi que l’implication de la société civile  à travailler en synergie d’action. Tout ceci va nous permettre sans nul doute d’arriver enfin  à  la stabilité politique et  à  la paix sociale  nonobstant les contradictions majeures en raison de gros intérêts. Tant au niveau interne avec l’accumulation d’une minorité qu’au niveau de la géopolitique avec la dépendance économique vis-à-vis  de grandes capitales.  D’où la révolution silencieuse au niveau de la conscience de l’homme haïtien.  

Yves ROBLIN,  Diplômé  de l’Institut International de Planification de l’Education de Paris et  Auteur «  Les grands axes en matière d’éducation en Haïti : des stratégies pour la réduction de la pauvreté et pour la paix sociale ». Imprimerie Media-Texte. Librairie  La  Presse Evangélique (rue Capois) et Henri Deschamps (Rte de l’aéroport) au prix de 1.000 gourdes ou 10 US.

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