A la rencontre de Louis Delorme Gilles, le politique, le modeste et le probe

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Samedi 30 mai 2020 ((rezonodwes.com))– Pestel doit sa renommée non seulement à son café dans le temps, sa traditionnelle fête de la mer, mais aussi à ses luttes pour les conquêtes sociales et à ses grands hommes qui ont écrit leurs noms en lettres d’or dans les annales de l’histoire du pays. De tous ces personnages, on retient le nom du modeste Louis Delorme Gilles qui s’est fait connaitre par son aura, sa capacité intellectuelle et surtout par sa probité.

Ce texte est écrit pour parler de ce Pestelois authentique dont le nom est peu cité et inconnu de la jeunesse, un modèle en politique peut-être à suivre. Il représentait en son temps un symbole parfait de l’honnêteté politique, un combattant, un leader vertical contre la répression et l’injustice sociale, justifié par son attitude et son comportement quand il était juge de paix à Corail. Avec son verbe, il a défendu les intérêts supérieurs du département de la Grand’anse. Qui est-il réellement?

Né à Pestel en 1884 ( source: https://agh.qc.ca) de l’union de Delorme Gilles (1864-1905) et de Marie Félicité Bernard (1864-1952), Louis Delorme Gilles fut l’ainé des cinq enfants de sa famille. Le mariage de son père et de sa mère était historique (Fignolé, juillet 2013). Il a mis un terme au refus de la famille Bernard, mulâtre de souche, de se mélanger avec les Gilles, noire de couleur. En plus, leur union a mis fin à une année de contentieux entre les Bernard et les Gilles, remontant au bombardement de la ville en 1883 par les troupes gouvernementales de Lysius Jeune Salomon dirigées par le général Sabourin aidé par un certain Métès Calixte (Vigoureux, 1909). Les Bernard rendaient Louis Gilles III, le grand-père de Louis D. Gilles, responsable de cet évènement terrible parce qu’il était l’unique allié du pouvoir dans la commune.

Le jeune Louis Gilles avait fait ses études primaires à Pestel. Après les avoir achevées, il fut placé en pension par son père alors commandant de la commune (ancien nom du chef de police), à Port-au-Prince, au Petit Séminaire Collège Saint Martial pour entamer ses études secondaires. Il était membre du corps musical dudit établissement.

Il était âgé de vingt et un an lorsque son père fut assassiné aux Iles Cayemittes pendant qu’il était en mission. Trois années après la mort de son père, il se trouvait dans les rangs des combattants contre le régime Nord Alexis. Voici comment les choses se sont déroulées : Il est rapporté qu’en 1908, Pestel se rallia rapidement au mouvement du général Antoine Simon dont le mobile était le renversement de Nord Alexis au pouvoir (1902-1908). Pour rappel, les Pestelois étaient partisans de Firmin lors des élections de 1902, qui l’opposaient à Nord Alexis dit Tonton Nord. En tête de lice de ce mouvement, figuraient Fernand Bernard, Louis Delorme Gilles, Etienne Laplanche et Louis Malebranche. Informés de cette situation, les autorités gouvernementales de Jérémie communiquèrent une dépêche au commandant de la commune de Pestel, Dubrencourt Lesperance, l’instruisant de l’arrestation de tous les opposants du pouvoir sous pretexte qu’ils sèment la pagaille. Raphaël Bazile qui etait responsable du bureau postal, et sympathisant au mouvement anti Tonton-Nord, intercepta le message et avant de l’acheminer à son destinataire, communiqua son contenu à Louis Delorme Gilles. Avant même que Dubrencourt put mettre à exécution l’ordre reçu de Jérémie, Louis D.Gilles s’était déjà rendu ,à bord du bateau St. Gérard, en destination de Jérémie afin d’y rencontrer le général de division, Charles Oscar Etienne. Il se trouvait que le fils du général de division était condisciple de Gilles, au Pétit Séminaire collège St. Martial et l’affaire fut donc immédiatement classée.
De retour à Pestel, Louis Delorme Gilles reprit les armes de plus belle contre le régime de Tonton Nord. Un de ses camarades de combat, Louis Mallebranche, perdit la vie au cours d’une bataille entre partisans et opposants du pouvoir. Charles Oscar Etienne dit-on, regretta de n’avoir pas mis Gilles, sous les verrous.

À Nord Alexis, succéda Antoine Simon, en 1908 qui ne tint pas sa promesse envers Gilles à qui ne fut confié aucun poste de cabinet ou autre. Il ne fut pas non plus élu député aux joutes électorales du moment.
Gilles se consacra alors à d’autres activités. Spéculateur en denrées, notaire, juge de paix de Corail, ces postes lui ont porté notoriété et sa réputation d’homme honnête prit naissance. Devenu populaire, il se porta candidat pour la circonscription de Corail dans les élections pour le poste de député. C’etait, en fin de mandat de la présidence de Louis Borno (1930) à une époque où le pays venait de connaitre huit années sans législature. Son principal adversaire était le Coraillais Edouard Tardieu qui en était sorti malheureux. Bien avant l’organisation de ces élections, la commune avait organisé une primaire afin de désigner un Pestelois qui devrait affronter les candidats de Corail ou des Roseaux. Louis Gilles en était sorti victorieux face à son rival Fernand Bernard, lui aussi un notable très connu de la commune.

Gilles fut réélu député de la circonscription de Corail dans les élections organisées le 10 janvier 1932 sous la présidence de Sténio Vincent. Une joute émaillée de fraudes si nous nous référons à ce qu’écrit le journal Le Peuple, « Les élections législatives et communales du 10 janvier (1932) dernier furent vraiment, sous les yeux de l’occupation qui sévit encore dans le pays, et un peu avec la complicité dissimulée des officiers nord-américains de la Grade, un coup de force du Gouvernement contre le peuple. Un peu partout dans le pays, les électeurs furent maltraités, battus à l’aide de rigoises ou de matraques, pendant toute la période électorale. Des centaines allèrent en prison, sous les prétextes les plus fallacieux.* » Gilles fut aussi membre de l’Assemblée constituante et signataire de la constitution du 15 juillet 1932, puis secrétaire de la chambre basse le 03 aout 1933 (Daniel Supplice, 2014).
Dumarsais Estimé qui, entre temps, lorgnait le poste président de la chambre des députés se débarrassa de Louis Gilles sous prétexte que celui-ci pourrait lui barrer la route à la présidence du bureau de la chambre basse. Estimé recommanda alors au président Sténio Vincent de faire nommer Gilles, sénateur du Sud, ce qui fut fait.

Il est rapporté, par Eddy Cavé dans son livre, (de mémoire de Jérémien) que lorsque Gilles était député, son collègue des Cayes Joseph Loubeau, qui devrait affronter Etienne Moraille de Port-à-Piment/Port Salut dans une course à la présidence du bureau, a sollicité son vote. Quelques jours plus tard, le président Sténio Vincent (1930-1937) a sollicité l’appui de Gilles en faveur de Moraille. Cavé raconte que Gilles répondit au président de la république qu’il avait déjà un mot avec quelqu’un d’autre. C’est Loubeau qui l’emporte. Il semblerait que le Parti du president Vincent ait perdu la majorité au parlement à cause de ce vote. Vincent en aurait été furieux et à une cérémonie à laquelle Gilles avait décidé de ne pas participer, le président aurait parait-il traité les députés de tous les noms : « Bandes de menteurs, s’écria-t-il, comment expliquer que Moraille n’ait pas gagné si vous avez tous voté pour lui? Il renchérit en disant que « seul Louis Gilles a eu le courage de me dire la vérité ». En guise d’appréciation, Vincent nomma Louis Delorme Gilles au sénat le 21 aout 1935. Pour rappel, durant tout le long du XIXème et jusqu’au régime duvaliériste, la plupart du temps les sénateurs ou des députés étaient des nominations.

Gilles se porta pour un second mandat aux élections législatives du 12 mai 1946 pour le Sud, sur recommendation de certains notables de Jérémie. Son échec fut attribué à des represailles à la trahison de Louis Déjoie un industriel de la ville des Cayes et homme politique, car celui-ci, dit-il, n’ pas fait voter pour lui dans la circonscription des Cayes. Il préféra son compatriote Max Hidicourt à Gilles qui parait avoir les mêmes intérêts que lui.

Grand négociateur, au cours de son mandat de sénateur, grâce à ce talent il a pu négocier avec le ministre des finances d’alors Monsieur Fernand Hibbert la première manche de la percée de la route kafou Zaboka-Pestel, (1935) la construction du grand citerne communautaire du centre-ville en 1935 pour qu’il puisse encourager ses pairs à voter le budget national dans les mêmes termes que le gouvernement l’a envoyé. C’était à titre du président de la commission des finances qu’il a concopté le coup d’avoir inséré ses projets dans la loi des finances à voter.

Son jeune frère Ney Delorme Gilles venait de perdre les élections législatives pour sa circonscription de Corail face à Pierre Tardieu dans des conditions frauduleuses dit-on, manigancées par le ministre intérieur d’alors Louis Raymond (26 nov.1948_06 mai 1950). Dans un entretien privé pour plaider sa cause auprès du président Paul Eugene Magloire fraîchement arrivé au pouvoir, (1950-156) Ney D. Gilles s’était fait accompagner de son frère. President Magloire répète t-on preferait que Louis D Gilles qui avait déjà fait ses preuves, soit reconduit au sénat. Louis D. Gilles déclina la proposition, au bénéfice de son frère. Pour convaincre le président qui doutait de Ney, Louis dut le rassurer que « mon frère et moi sommes deux frères siasmois ».

L’électrification de la ville de Pestel était une promesse électorale non tenue du candidat Pierre Tardieu en 1946, et que Louis Gilles exécuta en réaction à ce type qui a menti à Pestel, onze années plus tard grâce à ses propres moyens. Ce fut cet affront qu’il voulait laver pour Pestel qui l’anima d’un tel sentiment d’électrifier pour la première fois le bourg. Le Député Louis D. Gilles équipa Pestel d’une génératrice qui fut installée en 1957 par son fils, l’ingénieur Hervé Laplanche, né d’un second lit.

Apres s’être retiré de la vie politique, dès l’accession de Duvalier au pouvoir, Gilles a poursuivi ses activités de spéculateur en denrées jusqu’à la fin de ses jours, si ce n’est pour les deux dernières années de sa vie qu’il passa à Port-au-Prince où il s’est éteint à l’âge de 87 ans en 1973. Très connu à Jérémie et à Corail, il était très apprécié tant pour son élégance intellectuelle que pour son honnêteté. À propos de sa renommée d’honnête homme, on garde plusieurs témoignages de certaines personnalités dont l’entrepreneur haïtien Charles Mérovée Pierre qui disait de lui que Gilles est d’une honnêteté proverbiale ; l’ancien maire de Jérémie Fritz Allen qui disait à son tour « Louis D. Gilles est un nom que je respecte » ; et aussi , le Révérend Père Ernest Legarec, curé de Pestel de qui disait à qui veut l’entendre que si Haïti pouvait compter sur 10 Louis Gilles, elle serait un grand pays.

Les Pestelois à ce jour très affectueusement et avec beaucoup de respect parlent encore de Tonton-Loulou ou encore de Sénat Loulou. Quoique vénéré, les Pestelois lui réprochent quand même deux faits: son vote favorable à la présidence de Sténio Vincent au détriment de Seymour Pradel et son appui inconditionnel à Clément Jumelle son ami, dans les élections 1957 au détriment de Daniel Fignolé, fils de Pestel.

Notes bibliographiques
CAVE, Eddy, de mémoire de Jérémien,
SUPPLICE, Daniel : Dictionnaire biographique des personnalités politiques de la République (1804-2014). C3 éditions, Port-au-Prince, 2014.
Article de Jean Claude Fignole (Pestel entre souvenirs et perspectives) paru dans Magazine Raj, #15, Destination Grand ‘Anse, Juillet 2013. PP52-54.
Les trouvailles de Didier Gilles
Les notes d’Antoine Gilles
https://gw.geneanet.org/lizairef?n=bernard&oc=&p=leon+emosan
Par Leslie Péan*
Soumis à AlterPresse le 18 juillet 2013
https://www.amazon.fr/Memoire-Jeremien-Eddy-Cave/dp/9993579688

Autres sources: Yoland Gilles, Fernand Bernard dit Fedo, Roldy Gilles

James St Germain 

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