La fête de l’Université et du drapeau : une rupture épistémique et intellectuelle

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par Luckson Joassaint

Jeudi 21 mai 2020 ((rezonodwes.com))– Le symbole du drapeau fait la une sur les réseaux sociaux, accompagné de petit mots stipulant « bonne fête université et bonne fête du drapeau ». Comme à l’ordinaire, le statut de whatsapp de certains de mes amis reflètent cette même tendance. Ce constat nous a amené à penser au dicton qui se veut que l’université soit le garant de la souveraine nationale ou politique. Cette dernière étant représentée par le symbolisme du drapeau. Il faut dire que cette idée ne découle pas du néant, mais en plein contexte de l’occupation américaine, où Dantes Bellegarde a créé la fête l’Université pour en corresponde avec la fête du drapeau, par une décision ministérielle du 30 Sept. 1919 et confirmée par la loi du 4 août 1920. Ce qui fait, depuis lors, de l’Université le garant du drapeau ou de la souveraineté du pays.

Cette perspective voulant faire de l’Université le dernier rempart, visait quatre facteurs que Bellegarde considérait comme des problèmes fondamentaux pour la souveraineté nationale. Ce sont : le déracinement intellectuel; l’artificialité de l’élite nationale; l’inégalité devant l’école  et le désengagement civique et moral de l’école et l’université (Bellegarde, 1948). Ainsi, selon lui, ces problèmes devraient nous permettre d’assurer notre souveraineté si nous arrivons à les résoudre. De notre lecture, nous pensons que Bellegarde voulait postuler la base d’une université autonome qui peut défendre à tout prix notre drapeau. Autrement dit, une rupture épistémique et intellectuel doit être envisagée. Dans ce cas, l’équation devient : si l’université pourrait atteindre sa souveraineté, son autonomie, il serait dans la mesure de défendre la nation, de permettre au pays d’atteindre sa souveraineté politique. Depuis lors, l’université a-t-elle atteint sa souveraineté ? Assure-t-elle la souveraineté nationale ? Si non, comment devrait-elle s’assurer de cette tache ? Cette interrogation nous servira de fil conducteur pour notre analyse afin de démontrer que l’université non seulement n’a pas pu atteindre sa souveraineté, mais aussi n’a pas assuré la souveraineté nationale.

Pour arriver à notre objectif, nous pensons qu’il serait important de faire une survole sur notre formation sociale, pour dégager les conditions ayant amené à l’implantation du modèle université européenne. Plus loin, faire un résumé sur les luttes menées au sein de l’Ecole supérieure en Haïti, spécialement « l’UEH » pour son autonomie. Pour aboutir à la proposition que la jeunesse de la 8e génération du pays est la catégorie qui devrait assurer cette rupture épistémique et intellectuelle au niveau de l’université.

  • De la formation sociale haïtienne

Comme toutes autres formations sociales, celle d’Haïti est très spécifique. Sa plus grande spécificité peut-être vue par le fait qu’elle soit une sociogenèse. Cette dernière a été la déportation d’un groupe de femme, d’homme et d’enfant par les puissances impérialiste européenne de l’époque les installant sur l’ile d’Haïti pour se reproduire dans la torture, l’exploitation à outrance, la demounisation, etc. C’est ce système qu’on connait sur le dénommé « esclavagisme ». Contre ce dernier, qui consiste à désorienter les captifs de par leur vision du monde, les captifs vont mettre en place des stratégies de survie pouvant leur permettre d’assurer leur subsistance ainsi que leur bien-être. De là, nous pouvons souligner deux grandes visions du monde qui va s’affronter. La première qui se situe dans les manières de voir, de sentir, de penser des européens conquistadors et l’autre venant de l’Afrique. Ainsi, le clash entre ces deux-là vont conditionner au dominer de créer d’autre stratégies pour en sortir de la domination. C’est dans cette perspective que les captifs mettent en œuvre la langue créole, le vodou, la famille élargie, la propriété indivisible, le marronnage, le plaçage, etc.

Si nous faisons allusion à ces deux grandes tendances, c’est parce qu’elles fussent les deux les plus contradictoires dans la colonie ; les deux qui occupaient les places stratégiques dans le mode de production de l’époque. Toutefois, on peut signaler une autre catégorie qui occupe la place intermédiaire. Ce fut les Affranchis communément appelés créoles. Ces derniers, tout comme les colons absentéistes, voulaient maintenir le système esclavagiste, avoir les mêmes droits civiques et politiques que les colons ; et l’autonomie vis-à-vis de la Métropole. Etant rejeter par la classe dominante, la classe des affranchis s’allie au côté des captifs, qui menaient déjà des attaques de tous genres, contre leurs ennemies communes, les colons. D’où, les luttes qui vont déboucher sur l’indépendance du pays le 1er Janvier 1804.

Malheureusement, comme nous le savons tous, cette indépendance pour conquérir le bien-être de tous ne va pas durer surtout avec l’assassinat de Jean Jacques Dessalines. Depuis lors, les créoles s’emparent du pouvoir et orientent le pays selon les prémisses des anciens colonisateurs. C’est pourquoi toute orientation du pays par la classe dominante n’a fait rien d’autre que suivre le modèle européen battît à partir de la conquête. En conséquence, le modèle de politique, de famille, d’esthétique, du genre, de formation primaire et supérieure, etc., vont suivre ce mêmenu77 cheminement.

  • L’orientation de l’université et l’apparition de Ecoles supérieures en Haïti

Cette partie de notre analyse fait un survol de certaines luttes qui ont eu lieu pour l’autonomie au niveau de l’école supérieure en Haïti, plus précisément à l’UEH d’aujourd’hui. Avant d’entamer ce survol, on voulait apporter une petite précision sur l’université. On n’a pas l’intention de faire l’histoire ni une analyse approfondie sur l’université dans le monde, mais de signaler la posture de l’université à l’heure actuelle dans le système monde capitaliste. Sans oublier qu’elle est avant tout un produit historique, le produit d’un mode de production spatio-temporel.

  • Tendance de l’université dominante

Il faut dire que l’université remonte depuis le moyen-âge. De l’obédience de la fusion du pouvoir temporel et spirituel, elle va sortir pour s’intéresser à la connaissance afin d’atteindre un niveau de bien-être de l’individu voulant l’acquérir. C’est la perspective des auteurs comme Von Humboldt et Kant. Plus loin, on peut signaler la perspective cartésienne qui veut qu’à travers nos connaissances, on appréhende la nature afin de la dominer. Ce postulat et le contenu méthodologique qui l’accompagne règnera comme modèle pour quiconque voulant se plonger dans la quête de la connaissance. Dès lors, cette perspective épistémique ne fait que s’universaliser en substituant à d’autres perspectives dans le monde. Aujourd’hui encore, elle continue à s’imposer comme le modèle absolu. Toutefois, nous pouvons constater bon nombre de perspectives critiques qui ont vu le jour depuis les années 1960 pour donner une autre manière de penser et d’appréhender le monde.

Aujourd’hui, c’est cette perspective qu’on impose dans le monde travers les universités dominantes. Ainsi, ces universités développent des rapports de capital-travail avec des firmes multinationales. La recherche dans ces universités se situe dans la démarche de la reproduction du système monde capitaliste. D’où la dépendance de bon nombre d’université par rapport à des institutions financières, des pouvoirs en place et des firmes multinationales. Ce qui n’épargne pas notre cas en Haïti.

  • L’école supérieure en Haïti et luttes pour sa souveraineté

1860 est l’année de référence pour parler de l’apparition de l’école supérieure en Haïti. Ces écoles se basaient sur l’Ecole de Droit, de Musique, de Médecine, de Dessin, de Peinture, etc., qui consistaient d’assurer la formation technique et professionnel de la jeune nation. Mais, étant le produit de rapports sociaux inégalitaires, ces écoles n’assurent que l’intégration et la reproduction d’un petit groupe qui se croit supérieure à tous. Ainsi, les premières écoles supérieures du pays ont comme essence l’inégalité et peuvent être considérées comme une machine de reproduction d’inégalité sociale. C’est contre ces tendances que vont surgir plusieurs mouvements de luttes menées par des étudiants et autres pour une transformation réelle de l’université pour atteindre sa souveraineté afin d’assurer ces fonctions auprès de la société.

En 1929, suite à d’autres mouvements de protestations contre l’occupation américaine, s’érigent ceux des étudiants de Damiens qui se soulevaient contre le gouvernement de Borno et l’occupation américaine. C’est ainsi que Jn Anil Louis-Juste stipule que : « en 1929, au cri de Vive la Jeunesse et A Bas Freeman, les jeunes universitaires de Damien [11] ont défait le gouvernement de Borno et préparé la désoccupation militaire du pays » (Louis-Juste, 2004, p.4). Avec la création de l’Université d’Haïti en 1944, on va assister à la propulsion du mouvement noirisme dans le pays qui, deux ans après, va être amplifié et mis à mal le mulâtrisme de Lescot et propulsé un grand propriétaire terrien, mais de teinte noire, au timon des affaires publiques. (Louis-Juste, 2003, p. 2).

En 1986, le régime duvaliérisme cherche à contrôler l’université au sens que chaque étudiant devrait s’assurer de la reproduction du gouvernement. Selon Louis-Juste, les étudiants ne jouirent donc pas de la liberté de choisir son organisation de vie, comme les mesures agraires de Toussaint Louverture imposèrent aux cultivateurs, le système portionnaire comme mode d’organisation de la production économique. Contre cette domination, des étudiants se lèvent, plus précisément à travers la FENEH, jusqu’à déchouquer le dictateur Jean-Claude Duvalier. Les luttes ne s’arrêtent pas là malgré tout. On peut signaler celle de 2004 qui surgissait après la décision du président en place de remplacer le recteur de l’UEH pour s’en accaparer. Face à cette décision, les étudiants n’hésitent pas à prendre position contre le gouvernement et se lance dans la protestation par le mouvement « Grenn nan bouda » (GNB). Avec l’aide d’autres groupes du secteur privé, le gouvernement lavalasien quitte le pouvoir. Depuis lors, il y eu certes des mouvements de protestation visant la souveraineté, la réforme de l’UEH, mais le résultat peine encore à venir.

Malgré tous ces mouvements de protestation, nous pouvons dire que la transformation qu’on espérait faire à l’UEH n’a pas abouti au résultat escompté. Puisqu’aujourd’hui encore, elle est contrôlée par un petit groupe. Aussi, elle ne fait que former un petit groupe de privilégier, des princes auto-dominés. Le cursus utilisé est encore en inadéquation avec la réalité haïtienne. Il n’y a aucune laboratoire de recherche voir des recherche qui se veut d’appréhender les phénomènes du pays. De là, on assiste à une tendance de déracinement ou de bovarisme de certains intellectuels formés par l’UEH. En somme, tout ceci pose les conditions de bases pour l’émergence de ce qu’on appelle la colonialité du savoir. Cette dernière est vue comme étant la domination des savoirs extérieurs au détriment des savoirs locaux. Pour cela, nous dirons que l’Université non seulement n’a pas atteint sa souveraineté, de même qu’elle n’arrive pas à garantir la souveraineté nationale.

  • Réflexion finale : la 8e génération, élément de rupture épistémique et intellectuelle pour la souveraineté de l’UEH et de la société

Compte tenu de la situation alarmante généralisée au niveau de la formation supérieure, plus spécifiquement à l’UEH, nous pensons que notre dernière chance serait la 8e génération du pays. Celle-ci étant caractérisée par des personnes ayant pris naissance dans l’intervalle de 1990-2005 qui devrait entrer en affaires à partir de 2050. Cette catégorie devrait s’assurer de faire une rupture à tous les niveaux afin d’améliorer les conditions de vie de tous. Pour atteindre la souveraineté épistémique et intellectuelle au sein de l’UEH qui permettra de garantir la souveraineté nationale, cette génération doit :

  • déconstruire le modèle épistémologico-méthodologique imposée par le modèle américano-européen, pour reconstruire à partir d’autres postulats des méthodologies et de perspective théorique pouvant nous permettre de saisir notre réalité ;
  • faire en sorte d’intégrer la grande majorité (les malheureux) dans la production des connaissances et de faire en sorte de déconstruire l’UEH de par son essence inégalitaire, d’instrument de domination et de reproduction de l’inégalité sociale ;
  • assurer l’autonomie de l’Université comme entité autonome, de faire en sorte que toute réforme de l’université devrait prendre comme base le substrat réel de la société haïtienne ;
  • déconstruire le modèle politique tels que nous le connaissons tous ; s’assurer de l’intégration et la participation de la majorité dans la construction de la politique du bien-être consistant à éliminer l’exclusion.

Luckson Joassaint
Etudiant en Philosophie et Sociologie à l’UEH
joassaintlucky@gmail.com

  • Bibliographie sélective

BELLEGARDE, Dantes Louis. « L’Université, gardienne du Drapeau », pp. 185-191 In Dessalines a parlé, Société d’éditions et de Librairies, Port-au-Prince, p. 1948, pp. 428.

EUGENE, Woodkend. « Le projet bellegardien : une perspective épistémique et intellectuelle pour Haïti », Le Nouvelliste, No. 43481, 17 Mai 2007.

LOUIS-JUSTE, Jn Anil. « Université et Citoyenneté en Haïti », Fort-Jacques, 12 octobre 2003, p. 8.

LOUIS-JUSTE, Jn Anil. «  Réforme de l’Université d’État d’Haïti : Compétence professionnelle et Responsabilité citoyenne », 25 avril 2004, p. 3.

LOUIS-JUSTE, Jn Anil. « Haïti : Jeunesse, Université et Société », Cellule de Renouvellement pour le Développement Durable (CRDD) de Carrefour (7 août 2004), p. 7.

MIGNOLO, Walter. « La fin de l’Université telle que nous le connaissons », pp. 97-108 In Cahiers des Amériques Latines, No. 62, IHEAL éditions, 2009, p. 160.

1 Cet article est la reproduction d’une intervention réalisée à l’émission ATTENTION de la radio THERA 89.9 à Jérémie, à l’occasion de la fête du drapeau le 18 Mai 2020.

1 COMMENT

  1. « Il est mort nous sommes en vie
    Il est mort comme un feu de paille
    Il est mort de n’avoir su vivre
    La mort enfin l’a rendu libre
    … » Georges Moustaki

    C’est une très bonne analyse, tout en mettant au rancart les entrepreneurs politiques et le petit groupe au sein de l’UEH! Il ne serait pas mauvais de chercher à connaitre le devenir de nombreux membres influents de la FENEH, surtout un certain Charly… et Emmanuel Goutier. En le faisant, vous aurez beaucoup plus d’éléments pour un autre papier tout en jetant un regard sur le présumé petrovoleur Wilson LALEAU. Ils préféraient servir le système malpropre et antinational.

    Dans la mêlée, sous les faux démocrates, Charly s’est tiré d’affaires. Goutier avait connu une fin tragique. « Dans la soirée du mercredi 20 mai 2015, le directeur adjoint du Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales (Mict), Emmanuel Goutier, également professeur à l’Université Notre-Dame d’Haïti (UndH), a été abattu par plusieurs projectiles dans la zone de Delmas 65, par des bandits armés, non encore identifiés. » Après ses larmes de crocodile et sa tentative de se dédouaner à travers un livre, LALEAU est dans l’attente du procès Petro Caribe.

    Vous pourriez partir à la découverte de l’historien Roger Gaillard et sa position par rapport à l’occupation du pays en 1994 pour la restauration de la « démocratie. » Les vrais patriotes ont pris note de voir son principal bénéficiaire nan Kalabous bien avant la pandémie de Covid-19. Il faut remercier la policière Marie Christine, le journaliste Jean Léopold Dominique et l’avocate Mireille Durocher Bertin pour leurs bienfaits. Fanmi yo sanble te antere yo tèt anba.

    Il n’est pas mauvais de faire connaitre cette Catégorie « qui devrait entrer en affaires à partir de 2050. » Pour le présent moment, il reste à savoir si cette catégorie est déjà en contact étroit avec Jean Anil Louis Juste (li pat fatra ki paka fè Fimye tankou fo demokrat yo), Leslie François Manigat (nou bezwen yon Savan tankou l tou yon Dwat Nasyonal Patriyòt Eklere) et Tuneb Delpé. Yo tout mèt repoze nan lapè!

    Témoin historique

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