Pour une gouvernance avisée de la recherche et de l’enseignement supérieur en Haïti

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L’université, principal réservoir des techniciens et des cadres du pays, détient la noble mission d’assurer la formation, promouvoir la recherche, diffuser la culture et l’information scientifique.

Samedi 25 avril 2020 ((rezonodwes.com))– Depuis des décennies, l’université en Haïti affiche une avalanche d’irrégularités, anomalies et imperfections qui compromettent sa crédibilité, sa pérennité et sa mission fondamentale dans la société. Certains critiques qualifient la situation de chaotique tant les problèmes sont multiples et affectent toutes les entités, les facultés, les étudiants et les professeurs, avec des retombées négatives immédiates sur toutes les structures socio-économiques et politiques du pays.

L’absence d’harmonisation des politiques publiques et la méprise du rôle de l’Etat dans la société est tributaire de la précarité du système de formation supérieure en Haïti voué au déboire et à l’échec. En effet, l’université, principal réservoir des cadres du pays et dont la vocation serait la réflexion, la proposition et la définition de projets viables et soutenables, devait s’investir et se dévouer à jouer son rôle de vigile, à donner le ton, aider à comprendre et à orienter les politiques des gouvernements à travers des recherches et des analyses pertinentes de faisabilité pour la mise en œuvre des stratégies de développement durable.

En vue de relever le défi de taille qui consiste à bien canaliser les grands chantiers de la nation, les moteurs de la bonne gouvernance de l’université – nécessitant des standardisations et des réformes profondes – doivent être activés.

D’un côté, les partenaires nationaux et internationaux y verraient un signal palpable pour consolider et accroître les programmes de coopérations et d’échanges culturels. D’un autre côté, la réforme impose le recours à des informations fréquentes, pertinentes et précises sur les différentes entités tant du secteur public que privé; ce qui nécessiterait d’amorcer le détonateur d’une intensité de travail synchronisé entre les structures composant cette chaîne élitiste et déterminante dans le destin de la nation.

Des aménagements infrastructurels et des incitations – visant à canaliser des ressources humaines et des énergies positives intenses vers ce secteur crucial dans l’assise de la République – s’avèrent nécessaires pour emprunter de nouveaux sentiers au profit de la collectivité.

Des coopérations, sans coordination, sans supervision; des modifications s’imposent

Ce ne sont pas les coopérations qui manquent, surtout après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, pour permettre à l’université de se renforcer afin de contribuer de manière effective au rattrapage économique et au développement du pays. En 2011, par exemple, l’UEH entretenait plus d’une trentaine de coopérations avec des universités de l’Europe et de l’Amérique du Nord. En vertu des carences de supervision et de l’absence de transparence, il est difficile de disposer du nombre d’accords et de conventions signés par les universités privées. Toutefois, après le séisme du 12 janvier, une pléiade de partenaires de la formation supérieure braquaient leurs projecteurs sur le pays pour y apporter des encadrements logistiques et financiers aux instituts d’enseignement, qu’ils soient publics ou privés.

Par les coopérations bilatérales et multilatérales, un ensemble d’instituts avaient ainsi bénéficié de supports financiers et techniques pour reconstruire leurs espaces physiques et poursuivre avec les activités académiques. Malheureusement, l’offre qualitative du savoir tertiaire n’a pas connu des améliorations. Même très probable que la qualité en pâtisse, en raison de la carence des contrôles et de supervisions qui s’amplifiait dans ce contexte de déclin du leadership public. Il s’avère incontournable d’effectuer des analyses et des révisions en profondeur afin de permettre aux jeunes qui fréquentent l’université d’être efficients et compétitifs tant sur la scène nationale qu’internationale. Ce ne sont pas les coopérations culturelles qui accompliront cette mission, même si elles y investiraient des fonds conséquents. Il revient aux entités coiffant la formation supérieure, de concert avec les institutions publiques et privées, de concevoir et d’implémenter les programmes et la vision universitaire selon un plan stratégique multisectoriel.

Nécessité de modernisation de l’enseignement supérieur

Au lendemain de la catastrophe sanglante du 12 janvier 2010, de nombreuses «universités» privées additionnelles viennent fragiliser et saper les bases de la régulation du système de formation supérieure en Haïti qui était déjà très difficile à cerner. La plupart de ces universités privées, qualifiées avec raison d’écoles « borlette », pullulent à un rythme effréné et échappe au contrôle de la société. Un inventaire des établissements universitaires et de leurs curricula s’ordonne pour faciliter le régulateur de la formation supérieure en Haïti dans sa politique de mieux gérer le système et de dresser des stratégies efficaces à travers le contrôle et la synchronisation des cours et de tous les programmes implémentés dans le milieu universitaire haïtien.

La réforme de l’université ne peut être possible non plus sans l’identification des ressources potentielles dont dispose le système. Le niveau de formation des professeurs, leurs champs de spécialisation, leurs occupations et préoccupations principales, sont autant de paramètres à prendre en compte pour rationaliser les décisions de l’Etat dans la mise en œuvre de la politique de la réforme qui est une initiative ambitieuse et de longue haleine.

En 2012, un travail de recherche étoffé, réalisé par le Groupe de travail sur l’éducation et la formation (GTEF) sur le secteur de l’éducation avait proposé des pistes de restructurations en six points.

  • La mise en place d’une structure de gouvernance coiffée par un ministère dédié à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation; le soutien de la réforme de l’Université d’État d’Haïti; le développement et la consolidation du deuxième réseau public d’universités autonomes en région; la création d’un fonds national pour la reconstruction des universités; l’établissement d’un système d’incitations pour la recherche et l’innovation et la création d’un institut interuniversitaire dédié à l’étude de la région Amérique latine et Caraïbe.

Ce sont des propositions judicieuses, mûrement réfléchies par des acteurs et des institutions clés qui diagnostiquent dans l’objectivité les forces et faiblesses de ce secteur vital, en phase d’agonie. Mais, quel suivi concret en avait été fait de cette étude qui a relevé des déficiences du système tout en proposant un plan quinquennal d’opération pour la période 2010-2015 ? Au constat de la précarité et de l’aggravation des infrastructures, de la fragilité des entités et des pratiques archaïques « as usual », la réponse semble plutôt évidente.

Le diagnostic du délabrement révoltant de l’université devrait interpeller les forces vives du pays. Aucune société moderne ne fait fi de la combinaison théorique et empirique, passée au moule fin de l’académique, afin de concevoir et implémenter ses projets de développement selon les règles de l’art. La mission consistant à tisser des liens ancrés dans un savoir éprouvé; assurer le pont, l’intermédiation, la connexion entre les acteurs au sommet et implémenter une gouvernance guidée par des décisions avisées, est notamment du ressort de l’université. Autant accorder une attention particulière et prendre en main cette institution essentielle à l’ère de la technologie et de l’innovation.

Carly Dollin
carlydollin@gmail.com  

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